Risques technologiques : « rendre obligatoire la télédéclaration des incidents et accidents industriels »
A la base du retour d’expérience pratiqué par le Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels (Barpi), il y a la collecte des événements survenus sur les sites industriels. Entretien avec Pierre de Franclieu et Vincent Perche, respectivement chef et adjoint au chef de Bureau, autour des pratiques de déclaration en cours par les ICPE, de la distinction incident-accident et du futur outil de télédéclaration en projet.
Dans le dernier inventaire réalisé par le Barpi, le directeur de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) se félicite « d’une meilleure remontée d’information des incidents ». Comment cela s’explique ?
Pierre de Franclieu. Il est important de rappeler que la base Aria (Analyse, recherche et information sur les accidents) des incidents et accidents industriels n’est pas statistique. Son contenu est davantage qualitatif, puisqu’elle ne prétend pas à l‘exhaustivité. Il est nécessaire d’avoir une observation de long terme pour en cerner les tendances. Ceci étant, le Barpi s’organise pour avoir un maximum d’informations qui lui parviennent, en nombre d’événements, et en qualité d’information pour un événement particulier. Cela passe par la sensibilisation des fédérations professionnelles et notamment le rappel de l’obligation réglementaire liée à l’article R512-69 du code de l’Environnement : tout exploitant d’ICPE (Installation classée pour la protection de l’environnement) doit informer l’inspection des installations classées lorsqu’un incident ou un accident intervient sur un site. Un rapport d’analyse est obligatoire en cas d’accident, facultatif en cas d’incident. Nous avons aussi mieux structuré notre réseau de correspondants en Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) en vue de la collecte, de l’analyse et du partage du retour d’expérience. Nous pensons ainsi avoir une meilleure détection des incidents industriels. Depuis 2020, nous hiérarchisons par ailleurs mieux les événements qui nous parviennent, en les cotant de façon quasi automatique en incident ou en accident selon l’échelle de classification européenne des accidents industriels.
« En vertu de l’article R.512-69 du code de l’environnement, tout exploitant d’ICPE doit informer l’Inspection des installations classées lorsqu’un incident ou un accident intervient sur un site. »
Pierre de Franclieu, chef du Barpi.
Quel est l’enjeu lié à cette remontée d’informations sur les incidents ?
Vincent Perche. Il faut comprendre que lorsqu’un exploitant commence à analyser un accident, c’est un peu un constat d’échec car il est trop tard. Un accident, c’est un cumul de plusieurs dysfonctionnements. Si l’on insiste beaucoup sur la remontée et l’analyse des incidents, c’est parce que cela permet de réagir avant qu’il ne soit trop tard. Ce travail d’analyse est effectué en premier lieu par l’exploitant et pour son propre bénéfice. Il est important qu’il comprenne lui-même l’intérêt d’analyser un événement, de rechercher les causes premières et les causes profondes, afin qu’il puisse lui-même corriger une situation et éviter qu’elle ne se reproduise. Le Barpi récupère ces informations pour aller plus loin dans l’analyse d’un événement. Le but est que celle-ci soit la plus poussée possible et qu’on puisse la partager avec l’ensemble des acteurs.
« Lorsqu’un exploitant commence à analyser un accident, c’est un peu un constat d’échec car il est trop tard. »
Vincent Perche, adjoint au chef du Barpi.
Dans l’inventaire, un point d’amélioration est noté concernant « l’identification des causes profondes menant à l’événement, notamment dans les établissements Seveso où elle n’est atteinte que dans 40 % des cas »…
P. d. F. 40 %, c’est ce qui est remonté au Barpi. Mais peut-être que des analyses très approfondies et pertinentes sont faites sur les 60 % restant. A ce titre, une action nationale des Dreal a eu lieu en 2023, qui a consisté à inspecter une centaine de sites Seveso sur cette thématique. Nous sommes en cours d’analyse des retours.
V. P. Il faut savoir que le Barpi exerce des actions structurantes auprès du corps des inspecteurs. Nous participons au cycle de leur formation. Nous leur expliquons la démarche d’étude des rapports d’analyse réalisés par les exploitants, pour inciter ces derniers à aller jusqu’à ces causes profondes. . Comme l’a évoqué Pierre, la DGPR intervient aussi auprès des syndicats professionnels et de leurs adhérents pour effectuer un travail de pédagogie afin d’améliorer la qualité et de la profondeur de leurs analyses. Enfin, la DGPR définit chaque année des actions nationales pour les inspecteurs, qui sont souvent issues de points de vigilance constatés dans l’accidentologie d’un secteur d’activité. Ce fut le cas en 2022 sur les traitements de surface par exemple.
Comment faire en sorte de limiter le biais de l’information en provenance des exploitants, afin qu’elle circule mieux vers les autorités ?
P. d. F. Notre objectif est de dématérialiser la déclaration d’incident ou d’accident de l’exploitant, et de rendre obligatoire cette télédéclaration. Il y a un projet de décret en cours d’élaboration pour modifier l’article R512-69 en ce sens. Ce système de télédéclaration obligatoire, à la fois souple et efficace, simplifiera le respect de cette exigence par les exploitants, et devrait améliorer la remontée d’information vers le Barpi et la capacité de pilotage de la DGPR.
V. P. L’intérêt premier concerne les exploitants. Grâce à la télédéclaration, ils seront guidés afin de répondre à leurs obligations réglementaires. Cela permettra aussi de faire gagner du temps aux inspecteurs et aux agents du Barpi car les informations seront centralisées dans une seule et même base de données. Une fois que l’exploitant aura rempli sa télédéclaration, cela permettra de pré-flécher le classement de l’événement, de l’indiquer à l’exploitant, de lui rappeler ses obligations, les délais d’exécution, et de le relancer si nécessaire.
« Notre objectif est de dématérialiser la déclaration d’incident ou d’accident de l’exploitant, et de rendre obligatoire cette télédéclaration. »
Pierre de Franclieu, chef du Barpi.
Sur la définition de la notion d’incident, le récent rapport de la cour des Comptes sur la gestion des risques industriels insiste sur la clarification nécessaire du terme. Comment procéder ?
P. d. F. L’article R512-69 du code de l’Environnement introduit en effet une distinction entre accident et incident, sur l’obligation de rapport d’analyse systématique en cas d’accident. Mais la notion d’accident n’est pas définie dans le code de l’Environnement. Au travers de l’action nationale de l’Inspection de 2023, nous avons constaté que beaucoup d’industriels possèdent leur propre façon de qualifier le classement de leurs événements, et leurs modalités d’information de la Dreal. La question de savoir s’il faut mettre des critères précis pour distinguer un incident d’un accident n’est pas simple, en raison notamment de la diversité des installations concernées.
V. P. Pour opter en faveur d’un incident ou d’un accident, on peut se poser la question : est-ce qu’il y a eu une atteinte aux intérêts protégés de l’article L511-1 du code de l’Environnement ? Si la réponse est « oui », alors il s’agit d’un accident. De plus, même si le champ de compétences des inspecteurs des installations classées concerne les conséquences qui se produisent à l’extérieur des sites, notre algorithme de classement automatique prend également en compte ce qui se passe à l’intérieur d’un site. Si à la suite d’une explosion, on déplore 3 morts à l’intérieur d’un site ou la destruction de la moitié de l’atelier, l’événement sera donc classifié comme accident. Nous avons étendu les critères de la directive Seveso pour classer un accident comme « majeur » en intégrant aussi les conséquences à l’intérieur du site dans le classement en accident. Ces critères ne sont pas règlementairement inscrits dans le code de l’environnement. Les inspecteurs et le Barpi les utilisent pour une question d’homogénéité de traitement de la totalité des sites industriels, mais il n’y a pas d’obligation formelle pour les exploitants de les adopter
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