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Immeubles lods : sous les « verre et acier », l’amiante ressurgit
Le samedi 30 septembre 2023, en début de soirée, des flammes s’élèvent d’un appartement, dans un immeuble désaffecté de 7 étages de l’agglomération rouennaise. Trois heures plus tard, le bâtiment s’effondre. C’est l’un des mythiques immeubles « verre et acier » construits par Marcel Lods, concept si décrié, successivement récompensé de prix d’architecture, classé Monument historique, puis voué à la démolition. Parmi les 24 immeubles de ce type, neuf ont pris feu causant plusieurs morts.
Les sapeurs-pompiers, alertés à 18 h par un riverain pour fumée s’échappant d’un appartement du 1er étage du bloc R+7, dépêchent un engin-pompe, un bras élévateur articulé (BEA) et un chef de groupe. L’immeuble est désaffecté mais squatté. Les sapeurs-pompiers connaissent bien ce type de construction qui a connu des incendies meurtriers au fil des décennies.
L’intervention
L’incendie est attaqué traditionnellement par l’intérieur avec une lance, via l’escalier central non encloisonné. Rapidement, les trois fenêtres fumant au travers des volets s’embrasent.
Un premier message vers 18 h 40 indique un appartement totalement embrasé et des fumées envahissant l’ensemble de l’immeuble, laissant supposer une faiblesse de compartimentage. Des renforts sont demandés pour compléter les reconnaissances.
Mais tout va très vite… Quatre minutes plus tard, on signale des foyers secondaires aux 2e et 4e étages, laissant supposer des axes de développement verticaux, puis 5 minutes plus tard, « une propagation par gaines techniques à plusieurs appartements et niveaux » justifient une nouvelle demande de moyens de lutte.
Deux lances sont maintenant en manœuvre au 1er étage, mais il est difficile de progresser au-delà en raison des fumées et de la stabilité au feu précaire. Une attaque d’atténuation est conduite par l’extérieur, de plain-pied et sur échelle aérienne.
Le dispositif d’attaque se renforce à mesure que les moyens se présentent. Mais bientôt, tout le 1er et le 2e étages sont embrasés, laissant supposer que les structures porteuses baignant dans le brasier vont localement s’affaisser. Conjointement, les signes de développement du feu dans les étages apparaissent. L’attaque est alors menée de l’intérieur, avec trois lances par l’escalier, et par l’extérieur en « attaque d’atténuation » de plain-pied et sur échelle aérienne.
L’appartement d’où est parti l’incendie criminel s’est embrasé et les fumées envahissent l’ensemble de l’immeuble. Crédit : Sdis76
L’effondrement des immeubles
Vers 20 h, le commandant des opérations prévoit la ruine inéluctable du bâtiment et l’ordre d’évacuation est donné pour l’ensemble des sauveteurs engagés à l’intérieur.
Un premier périmètre de sécurité de 20 m est rapidement élargi à la limite de la rue, tandis que le dispositif d’attaque se renforce à l’extérieur. De nouveaux renforts sont demandés car, du second bâtiment de 9 étages auquel le premier est accolé, se dégagent des fumées à plusieurs niveaux. De même conception, il devrait subir le même sort…
La convection très importante propulse les fumées et braises haut dans le ciel, le vent tournant les poussant bientôt vers le nord, dans l’axe de la ville. Les deux bâtiments vont progressivement s’affaisser dans les flammes, le premier entre 20 h 30 et 21 h, le second entre 22 h 30 et 23 h. Conjointement, un 3e bâtiment semblable se dressant seulement à 14 m doit être protégé du rayonnement par un rideau d’eau.
Peu avant 1 h le 1er octobre, le feu est circonscrit. Il se résume maintenant à un tas de décombres d’acier tordu s’étant replié sur de nombreux foyers. Il faut faire intervenir des engins de chantier pour faciliter l’accès aux derniers points chauds et les réduire.
Suspicion de poussière d’amiante
En milieu de nuit, un communiqué à l’attention de la population est rédigé, puis diffusé par la mairie à la presse, tandis que les résultats d’une modélisation de la dispersion de poussières d’amiante dans le cadre d’un feu d’immeuble, réalisée par la Cellule d’appui aux situations d’urgence (Casu) de l’Ineris, permettent de définir une zone dans laquelle des prélèvements seront effectués.
Progressivement, le dispositif incendie est allégé (2 lances-canons sur moyens aériens) tandis que le volet « amiante » et particules fines est renforcé. Outre l’extinction, le dispositif hydraulique a, en l’attente de moyens spécifiques civils, la mission de retenir le maximum de particules en rabattant les fumées.
En milieu d’après-midi du 1er octobre, des relevés d’eaux d’extinction sont effectués, le débit nécessaire étant encore de 7 000 l/min.
Près de 120 sapeurs-pompiers et plus de 60 engins ont été engagés durant cette opération hors normes et multiforme.
Le risque amiante identifié (faux plafonds, cloisons, flocage, colles), des masques FFP3 ont été distribués aux intervenants non porteurs d’ARI, et les tenues d’intervention ont fait l’objet d’analyses et de décontamination.
Deux bâtiments Lods à structure d’acier, aux planchers et cloisons en panneaux de bois aggloméré et aux façades en panneaux sandwich pleins de mousse de polyuréthane vont s’affaisser dans les flammes. Crédit : Sdis76
Origine du feu
Elle est criminelle. Trois mineurs de 14 ans, arrêtés 18 jours après les faits, ont reconnu avoir répandu le contenu d’un bidon d’essence au premier étage et avoir ensuite alimenté l’incendie avec des objets trouvés sur place (immeuble squatté). Dans un environnement aussi favorable, le feu a gagné l’ensemble de l’appartement, puis s’est développé vers les niveaux supérieurs via les gaines techniques et autres vides existant entre cloisons.
Initialement attaqué par l’intérieur par une lance, puis deux, tandis que des reconnaissances sont tentées vers les étages supérieurs enfumés, l’absence de victimes potentielles et le développement incontrôlé du feu dans les étages contraint les sapeurs-pompiers à évacuer l’immeuble et reporter leur attaque à l’extérieur (lances sur moyens aériens et lances-canons). Le feu va alors envahir l’ensemble du premier immeuble, ce qui conduira à sa ruine 2 heures 30 à 3 heures après le début du sinistre. Un périmètre de sécurité empêchera que des sapeurs-pompiers soient atteints par les chutes d’éléments de structures.
Le même scénario se reproduit sur le second immeuble communicant, de neuf étages, empli d’abord par les fumées dans sa partie supérieure, puis par les flammes sur l’ensemble de ses niveaux. Là, des reconnaissances sont effectuées mais aucune attaque initiale par l’intérieur n’est engagée. Il s’effondrera vers 23 h. Le feu, alors réduit à l’état de tas de décombres en plein air, est moins dangereux pour les constructions environnantes.
Le traitement des décombres
Une cellule d’urgence de l’Ineris est engagée, déterminant une zone à contrôler sous le panache. Il n’y aura pas de présence d’amiante relevée, malgré les débris parfois conséquents remarqués sur le sol autour de la zone incendiée.
Le traitement des décombres s’étalant sur près de 1 500 m², visant à « piéger » le dégagement de particules d’amiante, s’opère d’abord avec les moyens des sapeurs-pompiers durant la phase finale d’extinction, rabattant les fumées au moyen de lances-canons. Sous la responsabilité de Rouen Habitat, la gestion, la sécurisation et l’enlèvement des décombres sont effectués par des sociétés spécialisées. Trois brumisateurs projetant un brouillard de fines gouttelettes couvrent l’amas de décombres, jusqu’à ce qu’une société spécialisée les traite en deux phases :
- le 23 octobre, elle applique une couche de « fixateur » suivie d’un « surfactant », film recouvrant les décombres et piégeant les éventuelles dispersions d’amiante ;
- le découpage et l’évacuation contrôlée des déchets amiantés programmés en janvier 2024 devraient se terminer en juillet-août 2024.
Pendant l’incendie, des prélèvements d’air visant à mesurer la toxicité des fumées ont été réalisés par les sapeurs-pompiers. Leurs résultats étaient négatifs.
Les mesures visant la dispersion de particules d’amiante dans l’air ont été effectuées dès le lendemain par une société privée. Des cinq campagnes de prélèvements effectuées les 1er, 3, 6, 10 et 11 octobre, aucune n’a révélé la présence d’amiante. En revanche, les prélèvements réalisés sur les balayeuses ayant nettoyé la chaussée dans les heures suivant l’incendie ont révélé la présence de particules d’amiante.
Les quatre machines qui avaient été employées dans le périmètre défini par les autorités sanitaires après le sinistre ont toutes été traitées selon le protocole amiante.
Les deux premiers immeubles se sont affaissés mais il faut protéger le 3e qui se dresse à seulement 14 m. Crédit : Sdis76
La spécificité des Lods
On peut considérer que la stabilité au feu des bâtiments a été satisfaisante, chacun s’écroulant entre 2 heures 30 et 3 heures après le départ de feu. L’ensemble des occupants dans ce cas aurait pu être théoriquement évacué. Mais ce serait faire abstraction du compartimentage défectueux inhérent à ces constructions modulaires, qui aurait sans doute ralenti ou entravé les évacuations en enfumant les circulations et l’ensemble de l’escalier, pouvant conduire à un drame… L’enfumage de l’escalier non encloisonné et la multiplicité des points de propagation a empêché les sapeurs-pompiers de combattre traditionnellement le feu par l’intérieur. Le report de l’attaque à l’extérieur, celle-ci s’opérant presque exclusivement par les baies, du sol ou du haut des moyens aériens, ne peut permettre le contrôle du feu et les bâtiments seront perdus.
On peut s’étonner qu’un groupe d’immeubles vides, désaffectés, peut-être « meublés » aléatoirement dans quelques parties squattées, provoque un incendie aussi violent, aussi générateur de flammes, conduisant à la ruine de sa structure d’acier. Il s’agirait alors d’un feu de contenant comme cela pourrait se produire avec un immeuble à structure bois.
La construction est légère : ses concepteurs estimaient que son poids était 1/5e plus léger qu’une construction traditionnelle. C’était une sorte de « Meccano », d’éléments fabriqués en usine et boulonnés sur place. Mais les planchers étaient faits de panneaux de bois aggloméré, tout comme les cloisons, et les façades réalisées en panneaux sandwichs emplis de mousse de polyuréthane. Ces bâtiments, même désaffectés, renfermaient donc un considérable potentiel calorifique !
On peut imaginer que l’incendie se produisant dans un immeuble habité (comme pour tous les autres cas d’incendie survenus dans ce type de construction) aurait été plus rapidement détecté et plus facilement contrôlé.
Les constructions modulaires
Le 6 février 1973, un incendie criminel éclate dans un établissement scolaire parisien, rue Édouard Pailleron. Sa ruine rapide a entraîné la mort de 16 élèves et 4 adultes, jetant l’anathème sur ces CES qui seront dénommés « Pailleron ». Un certain nombre brûlera ensuite à travers le pays, sans entraîner de victimes, des aménagements améliorant leur stabilité au feu et surtout leur rapidité d’évacuation ayant été entrepris.
Il s’agissait là aussi de répondre dans l’urgence à la demande d’établissements scolaires de la fin des années 1960, et la construction modulaire en acier était LA solution…
Hélas, ce type de constructions modulaires entraînait des vides entre cloisons, renfermant les poteaux porteurs. Ces vides étaient parfois emplis de plaques isolantes combustibles.
Les poteaux porteurs étaient alors directement soumis à la violence du feu, et de véritables couloirs de fumées et de flammes traversaient l’ensemble de l’édifice, répandant au passage le feu dans les volumes de faux plafonds auxquels ils étaient reliés ! Un piège redoutable interdisant tout engagement de sapeurs-pompiers par l’intérieur.
Jusqu’à près de 120 sapeurs-pompiers et plus de 60 engins ont été engagés dans cet incendie. Crédit : Sdis76
Article extrait du n° 599 de Face au Risque : « Gérer les risques émergents » (janvier-février 2024).
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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