La gestion des risques industriels passée au crible de la Cour des comptes

13 février 20246 min

Le 1er février 2024, la Cour des comptes a publié une enquête à propos de la « gestion des risques liés aux ICPE dans le domaine industriel ». Portant sur la période 2010-2022, l’enquête constate les progrès accomplis en matière de prévention des risques industriels tout en relevant de nombreux points d’amélioration.

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L’enquête de la Cour des comptes vise à évaluer la politique de gestion des risques industriels au travers de l’examen du régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) sur la période 2010-2022. A ce titre, elle émet sept recommandations.

En préambule, la Cour des comptes énonce qu’environ 80 % des ICPE implantées en France sont de nature industrielle, ce qui représente environ 400 000 sites industriels (les autres ICPE, de nature agricole, ont fait l’objet d’un précédent rapport publié en 2022). Parmi ces sites, plus de 1300 relèvent de la directive Seveso et près de 3500 de la directive sur les émissions industrielles.

Ce rapport d’enquête est important car il intervient dans le contexte de la réindustrialisation de la France et du développement de nouvelles filières liées à la transition écologique, le tout sur fond de simplification de l’action publique (loi “Industrie verte”, loi Asap…). Faisant référence  aux analyses d’accidentologie du Barpi, la Cour des comptes conclut que les risques d’accidents majeurs et les effets létaux associés pour les populations à court terme semblent faire l’objet d’une bonne maîtrise. Ce n’est pas le cas en revanche des risques sanitaires et de pollutions environnementales, qui apparaissent comme des risques chroniques dont les effets à long terme sont moins pris en compte par la gestion des risques industriels.

La juridiction rappelle en introduction le principe de base sur lequel est fondé le régime des installations classées : la responsabilité de l’exploitant, à toutes les phases de la vie de l’installation. C’est ce « principe de responsabilité et d’autosurveillance » qui « suppose d’être assorti d’un contrôle externe efficace : l’inspection des installations classées (…) ».

Des progrès dans la gestion des risques industriels

Mentionnant les deux accidents technologiques majeurs des deux décennies écoulées (l’accident d’AZF et l’incendie de Lubrizol – Normandie Logistique), la Cour des comptes évoque le renforcement progressif du cadre juridique de la prévention des risques industriels sur la base du retour d’expérience au travers de la directive Seveso (dernière révision en 2012), de la loi « Risques » (2003) et du plan d’actions gouvernemental « post-Lubrizol » (2020).

Au travers de couches successives, la réglementation est ainsi composée de « prescriptions techniques et organisationnelles, standardisées pour les activités peu risquées, et adaptées selon les risques caractérisés dans des études de dangers pour les sites les plus à risques et présentant une grande complexité ».

Les ICPE “à déclaration” sous les radars

La Cour des comptes mentionne cependant une faiblesse concernant le gros des rangs des ICPE, celles soumises à déclaration : leur recensement reste flou, tandis que les exploitants de ces ICPE méconnaissent leurs obligations (ou les contournent). Cela nuit à l’efficacité des contrôles.

La Cour des comptes signale pourtant que « les secteurs concernés sont porteurs de risques sérieux de pollutions tant chroniques (industries agroalimentaires, industries papetières, tanneries, stations-services), qu’accidentels (méthaniseurs, entrepôts) ».

Risques accidentels : des insuffisances persistent

Évoquant la phase finale d’élaboration des Plans de prévention des risques technologiques (PPRT), la Cour des comptes pointe des volets inachevés : la mise en sécurité des entreprises riveraines et des bâtiments publics, ou encore le renforcement du bâti (recommandations n° 1 et n° 2).

D’autre part, la juridiction signale que les ouvrages d’infrastructures de transport de matières dangereuses ne font pas l’objet de dispositions similaires, alors que les études de dangers de ces ouvrages « concluent à des effets létaux pour les populations » (recommandations n° 3 et n° 7).

La Cour des comptes fait observer que deux risques sont insuffisamment pris en compte par les études de dangers des installations soumises à autorisation : le risque NaTech et le risque de cyberattaque.

Des risques chroniques de pollution moins pris en compte

Mentionnant la tendance à la diminution des rejets des sites, le rapport évoque l’importance des pollutions environnementales des sols et des nappes phréatiques d’origine industrielle : « les moyens alloués au recensement des sites et à leur dépollution sont insuffisants », tandis que leurs « impacts sanitaires et environnementaux ne sont pas assez étudiés » (recommandation n° 4).

La question de l’encadrement des polluants émergents, tels que les Pfas, les nanomatériaux ou les particules ultrafines, se heurte bien souvent au faible niveau de connaissance et à l’absence de valeurs toxicologiques de référence. Ces nouvelles préoccupations sanitaires se doublent de risques pour l’environnement, « susceptibles d’être générés par des situations accidentelles, ou non accidentelles ».

Trois axes d’améliorations

La Cour des comptes met en avant trois axes pour de meilleurs résultats :

  • Augmenter les moyens de l’inspection des installations classées (recommandation n° 5)

Avec des missions élargies (éolien, méthaniseurs…) et des visites d’inspection plus nombreuses et plus ciblées, le corps de l’Inspection est en tension. Constatant que les augmentations d’effectifs annoncées dans la foulée du plan gouvernemental post-Lubrizol peinent à se traduire sur le terrain, le rapport déplore « des inspections plus courtes » et une baisse « des contrôles inopinés des rejets ».

  • Renforcer les sanctions

Observant que le procédé de mise en demeure d’un exploitant était relativement fréquent et efficace dans 80 % des cas (principalement pour les ICPE soumises à autorisation), le rapport note que le montant des sanctions « demeure modique au regard du chiffre d’affaires des grandes entreprises ou des avantages susceptibles d’être retirés de l’infraction ». La Cour des comptes prône notamment une coordination renforcée avec les parquets pour une action plus rapide et plus efficace.

  • Développer la culture de sécurité

Soulignant la mise en place de la journée « Tous résilients face aux risques » par le ministère de la Transition écologique, le rapport prône l’amélioration des canaux et méthodes d’information, notamment via la base Géorisques (recommandation n° 6), en direction des citoyens et des élus pour renforcer leur sensibilisation. Les impératifs de sûreté et d’information du public sont aussi examinés, la Cour des comptes reconnaissant  « une conciliation compliquée ».

En savoir plus

L’enquête complète, qui compte 152 pages et comprend 15 annexes, est consultable sur le site de la Cour des comptes.

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Bernard Jaguenaud, rédacteur en chef

Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef

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