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Feu de tous les dangers à La Rochelle
Le 10 août 2023 en début de matinée, des fumées puis des flammes s’élèvent du sommet d’un ensemble de silos dominant le port maritime de La Rochelle-La Pallice (Charente-Maritime). Commence pour les sapeurs-pompiers une opération complexe, technique et dangereuse car le feu se développe à près de… 60 m du sol ! S’il est éteint en 15 jours, les opérations sensibles de désilage dureront plusieurs mois.
L’alerte est donnée par trois ouvriers
Des ouvriers procèdent depuis plusieurs mois à la réfection de la toiture des silos du port de La Rochelle-La Pallice. Ces travaux consistent en la pose à chaud d’une membrane étanche de polyane sur la toiture multicouches existante constituée d’un liner PVC, de bitume, de plaques de laine de verre et d’un bardage d’acier.
Arrivés sur le toit peu après 8 h le jeudi 10 août 2023, les ouvriers déplacent leur matériel de la cellule 302, terminée, à la 301, la dernière à réaliser sur le silo «Bertrand 2». C’est alors qu’ils voient une torchère fuser entre le toit du silo et le plancher de bois de la galerie, au sommet de la cellule 302. Celle-ci, considérée vide par l’exploitant, contient encore 5 m de céréales, auquel le feu pourrait se communiquer. Leur tentative pour éteindre ce début d’incendie est vaine, des détonations se produisent bientôt et ils rejoignent le PC exploitant (à 300 m dont 40 m d’ascenseur…).
Lorsque les sapeurs-pompiers arrivent, un important panache de fumée balaye déjà le sommet de l’édifice et bientôt, le feu s’étend sur plus de 100 m de galerie.
Un employé remonte effectuer une reconnaissance, mais il est stoppé par la fumée envahissant la galerie de liaison à 25 m du feu. Les sapeurs-pompiers sont alertés.
Un important panache de fumée balaye déjà le sommet de l’édifice lorsque les premiers secours se présentent à 8 h 18. Le site a été évacué à l’exception de six collaborateurs restés au bâtiment administratif, hors du périmètre de sécurité de 100 m immédiatement établi. Le plan d’opération interne (POI) est déclenché ainsi que le centre opérationnel départemental (COD).
L’intervention des sapeurs-pompiers
Une première lance est établie sur colonne sèche par la galerie de liaison entre les silos «Bertrand 1» et «Bertrand 2» (à l’ouest), à plus de 45 m du sol. Mais le plancher de bois est gagné par les flammes et cet axe d’attaque doit être abandonné.
La progression des sapeurs-pompiers est périlleuse sur ces structures et des équipes entraînées du SMP (Secours en milieu périlleux) et du Geld (Groupe d’exploration longue durée) sont engagées.
La progression des sapeurs-pompiers est périlleuse sur ces structures et des équipes entraînées du SMP (Secours en milieu périlleux) et du Geld (Groupe d’exploration longue durée) sont engagées.
En milieu de matinée, un référent « feux de silos » arrive de Reims par hélicoptère.
Un deuxième axe d’approche est créé à l’opposé de la galerie (à l’est) dans laquelle le feu se développe. Il est constitué d’une échelle verticale « à crinoline » rampant sur la paroi de la dernière cellule, sur 54 m ! Le matériel, ARI (appareil respiratoire isolant) et matériel d’extinction, est hissé par treuil sur le toit des silos à l’opposé est de l’incendie où une base avant est constituée.
Le feu s’étend sur plus de 100 m de galerie et ses fumées sont très denses. Craignant une altération de la visibilité routière, le pont de l’île de Ré, à 1 km de là, est fermé durant 2 heures à l’initiative de l’exploitant de l'ouvrage.
Le feu est également attaqué par cinq lances au plus fort du dispositif à partir de l’alignement de cellules contiguës, non concernées.
Le feu s’étend sur plus de 100 m de galerie et ses fumées sont très denses.
Un bras élévateur articulé est recherché. Le plus grand de l’Hexagone (60 m) est basé à Bordeaux… mais il est indisponible. L’exploitant trouve alors un bras élévateur « civil » de 70 m, non équipé de lance-canon, qui permet d’atteindre latéralement le silo.
Le feu s’est propagé par la galerie au-dessus des cellules 301 à 308 remplies de blé ou d’orge.
Le feu de galerie supérieure est maîtrisé en fin d’après-midi, mais le toit des huit premières cellules est dégradé à des degrés divers et l’étanchéité de plusieurs n’est plus assurée. De la galerie, le feu s’est propagé au-dessus des cellules 301 à 308. Toutes sont emplies de blé ou d’orge. Les câbles alimentant les sondes sont détruits et il n’y a plus de moyen pour mesurer la température dans la matière stockée.
Des ouvertures sont pratiquées dans plusieurs cellules afin d’évaluer une
éventuelle propagation à la matière par chute de débris enflammés. Le risque d’explosion n’est pas écarté…
L’extinction
Plusieurs Sdis environnants sont sollicités pour constituer une réserve d’émulseur en vue de la constitution de « couvercles » de mousse. 13 000 l sont utilisés pour les tapis de mousse formés à la partie supérieure du grain.
Dès le début d’après-midi, trois tapis de mousse sont réalisés sur les cellules 302, 307 et 308. À terme, ce sont six générateurs de mousse haut et moyen foisonnement qui vont être alimentés. En fin de journée du 11 août, sept cellules font l’objet d’un « couvercle » de mousse, déversé depuis des ouvertures découpées dans les toitures des cellules. En simultané l’objectif est de réaliser l’inertage à l’azote sur les cellules les plus impactées afin de parfaire l’extinction au cœur de grain. Jusqu’à trois cellules en simultané seront inertées en même temps que les tapis de mousse sont entretenus afin de compenser la perte d’étanchéité des toitures et rendre efficace l’injection d’azote.
Le vent tournant va placer à plusieurs reprises les équipes d’attaque dans le panache de fumée, compliquant leur action et générant de l’inquiétude des riverains situés à quatre cents mètres. Les mesures réalisées en périphérie des habitations ne donnent pas de résultats significatifs.
Si la 2e ligne de silos peut être remise en exploitation une semaine après l’incendie, c’est une opération longue et complexe qui attend sapeurs-pompiers, exploitants et Dreal.
Point de situation schématique établi le 11 août 2023 à 23 h 58
Total : 70 236 tonnes de céréales
Source : Sdis17/PCS SicaAtlantique
La longue opération de désilage
Huit cellules sur dix sont chargées entre 78 et 100 %. Deux le sont à 9 et 33 %. Les cellules 309 et 310, non impactées par le feu, sont vidées les premières, dès le troisième jour. Des cellules impactées par le feu, la 307, chargée en orge, à la fermentation plus rapide, est désilée (vidangée) sous azote après tapis de mousse. Le 24 août, il ne reste plus que deux cellules à vider.
Si, dans certains sinistres, le contenu du silo impacté est vidé et étalé à l’extérieur, ici la multiplicité des silos à vider est trop importante (53 000 t). On utilise donc le réseau de désilage le plus court (par crainte de disséminer des points chauds dans les installations).
Trois opérations sont menées :
- des mesures de température (drone équipé de caméra thermique, descente de sonde par un sapeur-pompier sous ARI) et des mesures des taux de monoxyde de carbone et d’oxygène avec des appareils multigaz ;
- la mise en place de caméras thermiques en partie haute des cellules et sur le circuit de désilage ;
- le désilage sous azote.
Selon les actions d’extinction opérées en surface du grain, une croûte plus ou moins homogène se forme. Dans certains cas, la consistance de cette croûte empêche de polluer le reste du contenu. Dans d’autres cas, un effondrement conique se crée au cours de la descente de matière et davantage de grains sont mélangés et pollués.
La plupart des cellules étant remplies, leur vidange s’avère particulièrement longue et n’est pas encore terminée deux mois après le sinistre, à l’heure où nous écrivons cet article. Effectué sous le contrôle de caméras thermiques (le désilage est stoppé si la température atteint 100 °C), il est opéré sous inertage à l’azote.
L’inertage complet d’une cellule prend environ 48 heures, les opérations s’avérant plus complexes lorsqu’on atteint la matière mouillée, souillée de débris et pouvant encrasser les systèmes de tapis roulants, voire causer des dommages avec de gros débris (morceaux de sondes).
Le 4 octobre, la fin de désilage de la cellule 308 se complique. Il reste un mélange de 2 000 t de grains et d’eau, collant et pâteux, qui bloque les tapis… Le moteur disjoncte à cause d’une trop grande résistance. Le 5 octobre, l’installation engluée est nettoyée avec une lance à eau haute pression, la bande transporteuse réalignée. Le désilage reprend le 12 octobre.
L’origine du feu
Elle est soumise à enquête. Lorsque les ouvriers arrivent sur le chantier, il n’y a ni fumée, ni odeur, ni flammes. Il n’y a pas de travail par point chaud, l’étanchéité des cellules par pose d’une membrane PVC se faisant à l’air chaud.
Mais certains outils fonctionnent grâce à des batteries lithium… Les détonations, les flammes « fusantes » et les éléments de batteries retrouvés alentours retiennent l’attention des enquêteurs.
Une intervention périlleuse
L’intervention est très technique, longue et riche en rebondissements ! Toute la partie supérieure des silos (galeries abritant les tapis de manutention) est « soufflable » et doit, en cas d’explosion, verticaliser le souffle et ne pas pulvériser les cellules de béton. C’est un des enseignements de l’explosion de Metz en 1982.
C’est ainsi que le toit des silos et les galeries sont à structure métallique et bardages légers.
Mais cette galerie supérieure renferme aussi l’alimentation d’éléments de sécurité : sondes, prises sur colonne sèche, dispositif d’inertage… Les sapeurs-pompiers vont devoir adapter leur stratégie de lutte à ces paramètres. Pour eux, à l’image de leurs confrères engagés sur l’incendie de Notre-Dame de Paris, ce feu à 54m hors de portée de leurs moyens aériens traditionnels, entraînant des problèmes d’alimentation en eau (pertes
Au plus fort du dispositif, le feu est attaqué par cinq lances à partir de l’alignement de cellules contiguës, non concernées.
de charge importantes), les place « entre feu et vide » à la merci d’une explosion ou d’un phénomène thermique survenant sous le toit des cellules.
Le 11 août vers 10 h, après un grondement, une torchère se forme à la tête de la cellule 308, poussant les sauveteurs engagés sur ces toits à rechercher un abri, le temps que dure ce phénomène. Serait-il dû à l’accumulation de gaz de combustion sous le toit de la cellule ?
140 pompiers et une trentaine d’engins sont engagés sur une longue durée, dans un milieu périlleux impliquant des mesures de sécurité spécifiques. Il n’y a pas eu de blessés sérieux dans leurs rangs…
Impact du sinistre sur l’activité périphérique
Plusieurs dépôts pétroliers se trouvent dans un rayon de 500 m.
Les premiers quartiers pavillonnaires sont à 400 m, mais plusieurs dépôts pétroliers se trouvent dans un rayon de 500 m : cinq établissements Seveso, un pipeline d’essence longeant les silos à 50 m et deux bacs d’hydrocarbures à 80 m dont les couronnes d’arrosage à l’eau sont déclenchées en autoprotection.
Dans le panache, visible à 40 km et marquant médiatiquement l’intervention, sont faits des prélèvements par les équipes Cmic (Cellule mobile d’intervention chimique), sans résultats significatifs.
L’incendie prive l’entreprise de 90 000 t de stockage, soit 30 % de ses capacités.
Les travaux de réfection seront longs. La notion de coût-efficacité avec l’évaluation du « sauvé » se développe chez les sapeurs-pompiers. Au coût de leur engagement sur un gros sinistre (matériel et personnel engagés) doit être opposée la valeur de ce qu’ils ont sauvé, coût humain et matériel, perte d’exploitation, etc.
53 000 t ont été impactés par l’incendie sur les 69 000 t contenues dans les 10 cellules, représentant une valeur totale de plus de 17 millions d’euros. Une société spécialisée, chargée du contrôle qualité, a défini après une série de tests que 70 % du grain pouvait être commercialisé et que les 30 % déclassés seraient utilisés à la méthanisation.
À 230 € la tonne, ce sont plus de 13,5 millions d’euros de marchandise qui ont été sauvés !
Article extrait du n° 598 de Face au Risque : « 2023-2024 : zones de turbulences » (décembre 2023).
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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