Réfrigération à l’ammoniac : pas sans risques

29 novembre 20239 min

Le Barpi (Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels) a mis à jour son étude sur l’accidentologie des sites utilisant le refroidissement à l’ammoniac. Si une stagnation des événements est noté, il n’en reste pas moins qu’il existe une marge d’actions pour les réduire.

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Un produit très courant

L’ammoniac, gaz parmi les plus synthétisés au monde et connu depuis l’antiquité, est utilisé dans la réfrigération. L’ammoniac est comprimé pour être rendu sous une forme liquide nécessaire à son utilisation en tant que réfrigérant.

L’ammoniac a été utilisé durant des décennies dans la réfrigération pour ses excellentes propriétés thermodynamiques. Puis il a été progressivement remplacé, à partir des années 1970, par les gaz réfrigérants chlorofluorocarbonés (CFC), moins performants thermiquement mais moins toxiques. Dans les années 1990, suite à la signature du protocole de Montréal en 1987 visant à interdire l’utilisation des CFC, l’ammoniac est revenu peu à peu au premier plan. Il est attendu une nouvelle évolution de son utilisation suite à l’interdiction progressive des HFC depuis le 1er janvier 2020.

L’utilisation de l’ammoniac en réfrigération implique de respecter la réglementation relative aux appareils à pression ainsi que, si les quantités utilisées dépassent 150 kg, la réglementation relative aux ICPE (rubrique 4735 de la nomenclature).

Le Barpi a mis à jour les deux précédentes synthèses ammoniac datant de 1995 et 2002.

L’accidentologie sur les neuf dernières années montre une stabilité relative autour de 11,6 événements par an (écart type de 2,5). L’agroalimentaire, particulièrement les abattoirs et les laiteries/usines de transformation du lait, est le secteur le plus représenté.

En raison de ses propriétés toxicologiques, les événements mettant en cause l’ammoniac ont des conséquences humaines dans 16 % des cas dans les ICPE, causant notamment des brûlures et des intoxications. Les événements impliquant l’ammoniac nécessitent le confinement ou l’évacuation des riverains dans 27 % des cas.

Fiche d’identité de l’ammoniac

Seuils toxicologiques Danger
SELS (60 mn) : 3 633 ppm
SPEL (60 mn) : 3 400 ppm
SEI (60 mn) : 354 ppm
H221 : Gaz inflammable (catégorie 2)
H280 : Gaz sous pression
H331 : Toxicité aiguë, par inhalation (catégorie 3)
H314 : Corrosion cutanée (catégorie 1B)
H400 : Danger pour le milieu aquatique – danger aiguë (catégorie 1)

Les dangers de l’ammoniac

L’ammoniac est nocif par inhalation et mortel à haute dose. En cas de contact, il provoque de graves brûlures de la peau et des lésions oculaires. Il attaque le cuivre et tous ses alliages, ainsi que le zinc. Ainsi, les installations frigorifiques fonctionnant à l’ammoniac sont réalisées avec des tuyauteries en acier.

Des rejets en quantités importantes

95 % des événements recensés sont des rejets, 13 % des incendies. Les quantités d’ammoniac rejeté ne sont connues que dans la moitié des événements. Les rejets d’une tonne et plus représentent encore plus de 10 % des événements (voir graphique ci-contre).

Répartition des quantités connues d’ammoniac rejeté accidentellement

200-999 kg
30 %

≥ 1000 kg
12 %

< 100 kg
30 %

100-199 kg
27 %

Dans 16 % des cas, les événements mettant en cause l’ammoniac ont des conséquences humaines causant brûlures et intoxications.

Les défaillances matérielles

Elles représentent près de 70 % des causes premières. Elles sont suivies des opérations de maintenance sur le matériel avec 18 % des cas et les montées en pression des installations de réfrigération menant à l’ouverture d’une soupape dans 10 % des cas (voir graphique ci-contre).

Nota : les défaillances sur les soudures en lien avec un organe ne sont pas comptabilisées dans l’organe en question.

Ces éléments montrent l’importance :

Nombre de défaillances
constatées par organe

En % sur 37 événements

  • de maîtriser les interventions sur les installations de réfrigération, qu’elles soient réalisées en interne ou par un prestataire externe ;
  • de réaliser une maintenance attentive sur les équipements composant ces installations de réfrigération.
Tuyauterie rompue peu après la bride et vue du caisson à la sortie du refoulement du compresseur d'ammoniac - Crédit: Dreal

Tuyauterie rompue peu après la bride et vue du caisson à la sortie du refoulement du compresseur d’ammoniac (site chimique).

Rupture d'un piquage (qui a été retrouvé sur le sol) dans une boulangerie industrielle - Crédit : Dreal

Rupture d’un piquage, retrouvé sur le sol, dans une boulangerie industrielle.

Des causes profondes trop peu souvent recherchées

En effet, celles-ci, qui comprennent les facteurs organisationnels et humains, n’apparaissent dans les rapports d’analyse que dans 60 % des cas.

Dans les événements où les causes profondes ont été recherchées, l’organisation des contrôles est en cause dans 9 cas sur 10, suivie de problèmes d’ergonomie dans 15 % des cas.

Des pistes à suivre

L’analyse des événements montre que ces installations demandent une compétence sans faille pour les concevoir, les maintenir et les exploiter. Cela implique la mise en place de dispositifs de sécurité ainsi que des procédures opérationnelles pouvant être contraignantes.

Les exploitants doivent par exemple :

  • mettre en place un contrôle et une maintenance effective et adaptée des installations afin d’éviter les problèmes matériels ;
  • mener une analyse de risques préalable, mettre à disposition des procédures adaptées et définir clairement les actions à mener en cas de fuite d’ammoniac, afin d’accompagner au mieux les opérateurs lors des opérations de maintenance ou de travaux. Il est important d’assurer une surveillance et un contrôle de bonne réalisation de ces opérations, y compris les opérations sous-traitées ;
  • mener une réflexion sur les choix de matériel, de leur configuration, ou de leur implantation au regard de la prévention des risques afin de réduire les conséquences des événements. Cette réflexion doit intégrer le volet « ergonomie ».

Les accidents emblématiques

Branges (Saône-et-Loire), 3 mars 2014, Aria n° 45008, Naf 10.12 : Transformation et conservation de la viande de volaille

Vers 5 h 15, dans une usine d’abatage et de découpe de volailles, le personnel de 2 ateliers évacue en raison d’une odeur d’ammoniac (NH3). Une fuite de 10 kg d’ammoniac en phase liquide est constatée sur une électrovanne des installations de réfrigération située dans les combles au-dessus des ateliers.

Deux techniciens de maintenance isolent la fuite après avoir cassé la glace qui s’était formée autour des vannes de sectionnement. Vers 6 h, le tronçon isolé est purgé. Vers 6 h 45, les employés d’un 3e atelier sont évacués. Un secouriste du travail appelle les secours. Une ventilation des locaux est mise en place. Vers 7 h 30, un technicien de maintenance réalise une détection d’ammoniac à l’aide de bandelettes. Les ouvriers d’un des 3 ateliers retournent à leur poste de travail. Les 2 autres ateliers sont réinvestis après une mesure des concentrations résiduelles par les pompiers (3 ppm mesurés pour une concentration tolérée de 10 ppm sur 8 h). Les secours évacuent 183 salariés, 30 sont vus par les secours et 6 sont transférés à l’hôpital pour observation.

La fuite serait due à un arc électrique sur la bobine de l’électrovanne qui aurait généré un trou dans le moyeu. Aucune trace d’usure n’est relevée. Les facteurs aggravants suivants sont relevés :

  • une organisation de l’évacuation peu efficace (pas d’alarme déclenchée, pas de consignes des responsables) ;
  • un mode opératoire inadapté pour l’intervention en cas de fuite de NH3 en phase liquide (difficultés à accéder aux vannes de sectionnement emprisonnées dans la glace, équipements de protection non adaptés).

L’exploitant prévoit de réviser la procédure d’intervention maintenance et celle d’évacuation, de les valider par l’exercice et d’acquérir des appareils de mesure de NH3. À terme, l’ammoniac sera remplacé par le glycol dans les zones de travail.

Étoile-sur-Rhône (Drôme), 6 juillet 2015, Aria n° 46817, Naf 10.71 : Fabrication de pain et de pâtisserie fraîche

Dans une pâtisserie industrielle, des travaux sont en cours pour étendre les installations de réfrigération. Deux sociétés sous-traitantes travaillent sur le site : le frigoriste et une entreprise de chaudronnerie. Vers 11 h 30 débute une intervention destinée à alimenter en ammoniac la nouvelle extension. La tuyauterie de transport d’ammoniac de l’installation en service est découpée en vue de réaliser un piquage. Son sectionnement provoque une fuite. Des concentrations supérieures à 1 000 ppm sont mesurées. Le dispositif d’alarme coupe les énergies et déclenche le signal d’évacuation. Les 128 personnes présentes sur le site évacuent. Le frigoriste isole la fuite en fermant la vanne de sectionnement de la tuyauterie endommagée. Les locaux sont ventilés. Trois employés ayant inhalé des vapeurs sont examinés à l’hôpital. Deux opérations devaient être réalisées avant la découpe de la tuyauterie :

  • la fermeture de la vanne de sectionnement ;
  • l’ouverture d’une seconde vanne située à proximité pour purger les résidus d’huile.

Deux vannes proches ont été manipulées de manière inadéquate

D’après le frigoriste, la vanne de sectionnement a été fermée par ses soins. Il a ensuite donné ses consignes pour l’intervention à un opérateur de l’entreprise de chaudronnerie. Mais cet opérateur n’a pas réalisé l’intervention, comme prévu initialement. C’est un second opérateur de l’entreprise de chaudronnerie qui est intervenu seul. Lors de l’intervention pour isoler la fuite, la vanne de sectionnement a été retrouvée ouverte ; la seconde vanne fermée. Le frigoriste affirme que le second opérateur de l’entreprise de chaudronnerie aurait confondu les deux vannes.

Plusieurs éléments ont été propices à la survenue de cet incident :

  • la nécessité de manipuler, dans un sens opposé, deux vannes situées à proximité l’une de l’autre ;
  • l’opérateur qui est intervenu n’était pas celui initialement prévu. Il n’avait pas reçu ses instructions du coordinateur des travaux ;
  • aucune disposition n’a été prise pour éviter le risque d’ouverture de la vanne de sectionnement ;
  • l’absence du frigoriste lors de l’intervention est une entorse au mode opératoire ;
  • l’état de la vanne de sectionnement n’a pas été contrôlé avant l’intervention.
En savoir plus

Retrouvez la synthèse ammoniac sur le site internet du Barpi.


Article extrait du n° 597 de Face au Risque : « Construction bois et sécurité incendie » (novembre 2023).

Vincent PERCHE - BARPI

Vincent Perche

Responsable de la cellule chimie, informatique et équipements sous pression du Barpi (Bureau d’Analyse des Risques et Pollutions Industriels)

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