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Sécurité intérieure de l’État : rebond spectaculaire des dépenses
Pour la seconde année consécutive, les dépenses liées à la sécurité intérieure de l’État connaissent une hausse importante en 2023. Une période faste qui pourrait bien s’achever dans les mois prochains.
Deux très bonnes années
Redevenue une des priorités budgétaires du pays après la parenthèse morose de la pandémie, la sécurité intérieure de l’État est actuellement dans une phase quasi-euphorique.
Ce marché qui regroupe des activités très variées comme les équipements de maintien de l’ordre, les vêtements de protection contre les risques chimiques et nucléaires, les appareils de détection d’explosifs, les solutions de protection des frontières ou encore la gestion des identités, a enregistré une augmentation de 8 % en 2022 pour frôler les 4 Mds €, selon les statistiques récoltées dans l’Atlas d’En Toute Sécurité.
Et 2023 devrait être dans la même veine avec une hausse de 7,4 %. Deux années fastes qui contrastent avec trois années de stagnation et un millésime 2020 catastrophique (-8,6 %) résultant de la priorité donnée par les pouvoirs publics à la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
« Tous les trois ou quatre ans, le marché connaît des évolutions cycliques de hausse et de baisse en fonction des menaces ou des événements prévisibles comme les Jeux olympiques », confirme Ludovic Ouvry, PDG de la société éponyme qui conçoit des vêtements contre les risques NRBC, principalement pour les forces spéciales.
Meilleure planification des achats
Sur le plan des menaces, on a ainsi constaté au tout début des années 2010 des dizaines de tentatives d’utilisation de drones pour livrer des stupéfiants ou des matériels illicites (cartes SIM, armes blanches) dans des prisons. Un contrat a ainsi été signé au premier trimestre 2022 avec les sociétés Cerbair et Keas pour équiper des dizaines d’établissements pénitentiaires en systèmes de brouillage de drones et de détection radiofréquence.
La menace drone « a été très sérieusement prise en compte sur l’ensemble des implantations, qu’il s’agisse des quartiers de haute sécurité, des prisons centrales ou des maisons d’arrêt », explique Antoine Pau, chef de projet lutte anti-drone au ministère de la Justice.
En prévision des Jeux olympiques, c’est au tour de Thales, associé à CS Group, de signer en mai 2022 le plus gros contrat anti-drones malveillants, d’une valeur de 35 M€. Remporté auprès de la Direction générale de l’armement (DGA). Il permet de détecter, classifier et neutraliser des micro et mini-drones pour la protection de grands événements temporaires ou, de manière permanente, des infrastructures critiques.
« Si la DGA planifie ses investissements longtemps à l’avance, le ministère de l’Intérieur est davantage dans l’urgence, au gré des événements, comme l’ont par exemple montré les commandes d’équipements de maintien de l’ordre dans la foulée du mouvement des Gilets jaunes. Mais justement cela est en train de changer », relève Ludovic Ouvry.
C’est ainsi qu’en 2019, le ministère commandait des grenades lacrymogènes en grande quantité, de même que plus d’un millier de LBD (lanceur de balles de défense), puis 170 000 balles en caoutchouc à Alsetex, filiale du groupe Étienne Lacroix depuis 2006. Il faut savoir que plus de 10 000 grenades lacrymogènes ont par exemple été tirées, seulement à Paris, le 1er décembre 2018 contre les Gilets jaunes.
La place Beauvau a compris la nécessité de mieux anticiper ses achats : en novembre 2022, le ministère de l’Intérieur lançait le plus important appel d’offre jamais programmé en matière de grenades lacrymogènes, portant sur plusieurs millions d’exemplaires pour un montant record de 38 M€, soit les besoins estimés pour quatre ans.
Évolutions des ventes d’équipements de sécurité intérieure de l’État en France
En millions d’euros
Pour l’année 2023 : estimation effectuée en octobre 2023
Source : étude d’En toute sécurité
Moins de sociétés rentables
Brad Taylor, directeur général de Delta Drone (devenue Tonner Drones début octobre 2023), une société qui se diversifie vers les applications militaires et de sécurité intérieure de l’État, de souligner : « C’est un secteur profitable et à forte valeur ajoutée ». L’entreprise s’est ainsi associée en septembre 2023 avec le groupe de défense ukrainien Techaviacom pour concevoir et vendre des drones à usage militaire. Un marché potentiel énorme puisque les drones sont devenus une arme essentielle dans cette guerre : pas moins de 10 000 appareils utilisés chaque mois ! Néanmoins, on constate que les entreprises rentables opérant dans la sécurité intérieure de l’État sont beaucoup moins nombreuses qu’au milieu des années 2010. Selon En Toute Sécurité, 66 % des entreprises de ce domaine dégageaient des bénéfices en 2022 contre 73 % en 2018 et 85 % en 2016. Cette dégradation résulte probablement des efforts importants de R&D nécessaires pour rester dans la course et du grand nombre d’acteurs sur ce marché.
Aux côtés de grands groupes comme Thales, Airbus ou Idemia, on trouve un petit nombre de poids moyens, mais surtout un gros peloton de sociétés familiales. Or, celles-ci grandissent moins vite et dégagent moins de moyens que celles soutenues par des fonds d’investissement. Ce sont d’ailleurs les petites structures qui rencontrent des difficultés financières, prises dans l’engrenage de la guerre des prix.
Dans ce secteur hautement sensible, les sociétés tirant les prix vers le bas sont souvent originaires d’Asie du Sud-Est. « Les acteurs offrant les tarifs les plus bas ne fabriquent pas en France, ne prévoient pas de formation ou de maintenance, si bien qu’à la fin, le matériel coûte plus cher car il faut opérer dans l’urgence en cas de problème », constate le PDG d’Ouvry.
Les clients ayant tendance à porter leur choix sur des équipements aux prix tirés vers le bas sont majoritairement issus de la sphère publique, qui représente d’ailleurs le gros du marché. Néanmoins, il n’est pas rare de voir des donneurs d’ordres privés signer pour des produits d’entrée de gamme, simplement parce qu’ils ont l’obligation, dans une relation plus globale avec un partenaire, de s’équiper en matériel de sécurité. Pour cette catégorie de clients, peu importe la qualité.
Des efforts importants en recherche et développement sont nécessaires pour rester dans la course, ce qui est plus difficile pour les nombreuses petites entreprises du secteur.
Indépendance technologique
« La guerre en Ukraine a montré l’importance de planifier les achats, de constituer des stocks stratégiques, tout comme la pandémie de Covid-19 l’avait souligné pour les masques de protection respiratoire. »
Ludovic Ouvry, PDG de la société Ouvry qui conçoit des vêtements contre les risques NRBC.
La France évolue cependant vers des solutions souveraines. « C’est le grand enseignement de la guerre en Ukraine : elle a montré l’importance de planifier les achats, de constituer des stocks stratégiques, tout comme la pandémie de Covid-19 l’avait souligné pour les masques de protection respiratoire », analyse Ludovic Ouvry.
« La résilience de la France dans le domaine des armes de guerre de petits calibres – dont Verney-Carron est le dernier fabricant – et l’indépendance de notre pays sur ce segment sont aujourd’hui plus que jamais nécessaires », renchérit Hugo Brugière, PDG de Cybergun lors du rachat en 2022 de Verney-Carron, fabricant des fameux flash-ball utilisés par les forces de l’ordre contre les émeutiers. Ce retour d’une certaine souveraineté et d’une capacité de production nationale se manifeste dans tous les pays industrialisés, y compris parmi des nations émergentes comme la Turquie. En France, on remarque aussi cette tendance dans les appels d’offre qui donnent une préférence nationale pour tous les types de matériels sensibles.
Diverses acquisitions ont eu lieu parmi les PME du secteur afin de constituer des pôles de compétence sur des niches de marché. Deveryware, concepteur de logiciels pour l’investigation et les services numériques pour la sécurité (aides aux enquêtes, systèmes d’alerte, etc.) a effectué plusieurs acquisitions pour dépasser la barre des 40 M€ avant de se faire lui-même racheter fin 2022 par ChapsVision, qui se présente comme le spécialiste du big data pour les applications de sécurité.
« Nous voulons protéger les intérêts de la France en acquérant une taille critique dans les logiciels souverains pour des clients régaliens. Il est crucial pour nos démocraties de disposer d’une alternative crédible à des sociétés américaines », explique Olivier Dellenbach, PDG de ChapsVision, qui vise un chiffre d’affaires de 250 M€ en 2024. Pour financer cette croissance ultra-rapide, il a levé 90 M€ auprès de plusieurs fonds en septembre 2023, après avoir déjà récolté 100 M€ l’année précédente.
Les fonds d’investissement sont d’ailleurs très actifs dans ce domaine sensible. C’est ainsi que XXII, une startup spécialisée dans la conception de logiciels de vision par ordinateur avec intelligence artificielle, notamment pour la détection de comportements suspects, a levé 22 M€ en mars dernier auprès de plusieurs fonds, dont celui du ministère des Armées.
« Nous avons désormais les atouts pour devenir leader mondial dans notre domaine : outre le financement, nous possédons une avance technologique et stratégique, une forte reconnaissance de nos clients et de nos partenaires, des cas d’application qui répondent à des enjeux opérationnels, économiques et sociétaux », affirme William Eldin, son PDG. La conquête de la taille critique sera néanmoins difficile face à des concurrents déjà bien installés comme le chinois SenseTime, l’américain Verkada ou l’israélien Briefcam.
Dans un marché en cours de mondialisation accélérée, la solution passe aussi par des partenariats de distribution ou industriels. Après son rachat par Cybergun, Verney-Carron a ainsi signé durant l’été 2023 un accord avec Rivolier, une PME créée en 1830 qui réalise 40 % de ses 107 M€ de chiffre d’affaires dans les matériels de sécurité pour les forces de l’ordre.
Le dynamisme de l’industrie se manifeste aussi par de belles performances à l’exportation. Cela est le cas pour de grands groupes comme Thales ou Idemia, mais aussi pour des PME familiales. Ouvry, par exemple, a généré un chiffre d’affaires de 20 M€ en 2022, dont 80 % à l’international, grâce à des ventes dans 45 pays.
Une preuve parmi d’autres que le savoir-faire français est reconnu mondialement.
Article extrait du n° 597 de Face au Risque : « Construction bois et sécurité incendie » (novembre 2023).
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