Sûreté. Le cri d’alarme du Gicat à l’approche des Jeux olympiques de Paris
Le Gicat (Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres) tenait un point presse le mercredi 15 novembre sur le salon Milipol Paris 2023. L’optimisme n’était pas vraiment de mise à huit mois de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024.
Un virage à 180 degrés pour le Gicat en l’espace d’un an
C’était il y a un peu plus d’un an… Dans un communiqué datant du 20 octobre 2022, le Gicat (Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres) se félicitait de l’avancée des expérimentations du Comité Stratégique de Filière des industries de sécurité (CSF-IS), menées avec le ministère de l’Intérieur, dans le cadre des nouvelles technologies ayant pour but d’assurer la sécurité lors des Jeux olympiques de Paris 2024.
Par le biais de ce communiqué, le Gicat parlait alors de “réussite collective” tout en précisant les motifs de celle-ci :
“Ce programme (lancé en avril 2022) revêt un caractère inédit pour l’État et l’écosystème des industriels français de la sécurité.
Associant directement les forces de sécurité aux industriels, il porte un double objectif : permettre aux forces de sécurité intérieure d’expérimenter des solutions innovantes françaises ou a minima européennes tout en permettant la mise en valeur de l’ensemble des acteurs de la filière, et ce peu importe leur taille, par le versement d’indemnisations forfaitaires à chacun des industriels sélectionnés (…).
À ce jour, cet objectif d’inclusion et de mobilisation de la filière est donc une belle réussite collective de mise en place de technologies souveraines.”
Les motifs de satisfaction provenaient notamment du fait que depuis avril 2022 :
- plus de 700 nouvelles technologies ont été testées en vue d’un déploiement lors des JOP 2024 ;
- 192 de ces technologies ont fait l’objet d’une expérimentation (dans les domaines des drones et de la lutte anti-drones, la vidéosurveillance, la lutte contre les menaces NRBC ou encore la gestion de foule) ;
- 90 % de ces technologies expérimentées sur le terrain sont françaises ;
- 70 % de ces solutions ont été conçues par des PME ou des start-ups françaises issues du CSF-IS.
Treize mois plus tard, la donne a donc changé et pris un virage à 180 degrés.
Les attentes du Gicat lors de la création de la filière
Que s’est-il passé en l’espace d’une année pour que le Gicat change sa communication ? Le tout à seulement quelques mois des Jeux olympiques de Paris 2024 (JOP 2024)…
Des explications ont été données lors de ce point presse du mercredi 15 novembre, réalisée sur le salon Milipol Paris 2023 dont l’édition était d’ailleurs en très grande partie dédiée aux JOP 2024. Parmi les trois personnalités présentes autour de la table pour évoquer le sujet, figuraient notamment :
- Gérard Lacroix (à gauche sur la photo), délégué général adjoint “Sécurité” du Gicat ;
- Daniel Le Coguic (au centre sur la photo), senior-vice-président de Evident, responsable du programme pour la filière des industries de sécurité (CSF) ;
- Richard Lizurey (à droite sur la photo), conseiller du Comité stratégique de filière des industries de sécurité du Gicat (et ancien Directeur général de la gendarmerie nationale).
Le Gicat – par la voix de ces trois représentants – a fait le point sur les attentes initiales des industriels français de la sécurité. Au moment de la création de cette filière, en collaboration avec le ministère de l’Intérieur, les objectifs étaient notamment de parvenir à :
- Garantir la sécurité des JOP 2024 (athlètes, délégations et spectateurs) ;
- Améliorer et moderniser les capacités des forces françaises de sécurité intérieure grâce aux nouveaux matériels et aux nouvelles technologies conçus par la filière pour les Jeux olympiques de Paris 2024 ;
- Structurer la cybersécurité française ;
- Parvenir à exporter une “offre de sécurité française” à l’étranger pour les futurs grands événements.
Ce que déplore le Gicat à 8 mois des JOP 2024…
Que dénonce le Gicat à l’approche du plus grand événement sportif au monde dont la France aura l’organisation dans 8 mois ?
Premièrement, un manque évident de retour sur investissement. Dans un entretien accordé à L’Usine Nouvelle, en marge de cette conférence de presse, Gérard Lacroix a confié que les industriels français avaient “reçu pour environ 20 millions d’euros de commandes” alors qu’ils espéraient “une base de commande dix fois supérieure quand les premières études ont été lancées”.
Deuxième élément du groupement à charge contre les pouvoirs publics : la préférence du ministère de l’Intérieur d’investir pour des technologies déjà existantes et/ou conçues par des fabricants étrangers… Alors que les industriels de la filière française de la sécurité ont investi pour 9 millions d’euros dans le développement des technologies en vue de Paris 2024.
L’idée d’une “souveraineté nationale” en faveur d’une industrie française, qui était le point d’origine de la création de cette filière sécurité, est ainsi remise en cause aux yeux du Gicat. “La stratégie de filière a été et est encore maltraitée par l’État” constate en ce sens l’un des intervenants présent lors de cette conférence de presse.
Un manque de temps déjà acté
Troisième élément que le groupement dénonce : le manque de temps pour l’expérimentation des solutions retenues. La crainte est qu’une validation (désormais) tardive par le ministère de l’Intérieur pour les technologies qui seront déployées sur les JOP 2024 provoque une possible – voire probable – faille lors de leur usage sur le terrain par les forces de sécurité intérieure.
“Les expérimentations pour les Jeux olympiques ont débutées en avril 2022 pour un événement organisé en juillet 2024… Soit deux ans au lieu de quatre ou cinq ans minimum en moyenne par rapport à ce qui se fait à l’étranger pour ce genre d’événement”, explique un de ces interlocuteurs.
À date, les nouvelles technologies de vidéosurveillance qui seront potentiellement déployées dans huit mois n’ont par exemple toujours pas été retenues d’après le Gicat. Ce qui fait craindre au groupement que très peu – ou quasiment aucune – de ces nouvelles technologies ne sera mise en place pour les Jeux de Paris 2024 pour les forces de sécurité intérieure.
“Le mot d’ordre de départ était : anticiper, innover, collaborer. Toutes les expérimentations ont donc été faites en fonction des besoins des forces de sécurité intérieure et pour optimiser le temps des forces d’élites (BRI, GIGN, Raid)”, note l’un des représentants du Gicat. Et celui-ci de poursuivre sur cette course contre-la-montre : “Pour imager, nous aurions pu ou dû faire un 5 000 mètres… mais nous allons devoir réussir un sprint de 100 mètres” pour tenter de rattraper le temps perdu.
Encore un léger optimisme en vue de Paris 2024
Outre le temps, l’autre grande crainte du Gicat est le manque de budget pour financer dans un laps de temps relativement court le recours à ces nouvelles technologies.
“J’ai la crainte, ou plutôt la certitude, que le budget va manquer. Je veux cependant rester optimiste pour une ouverture de budget en janvier 2024” qui constituera la dernière fenêtre de tir, explique Gérard Lacroix.
À ce manque de temps et de budget, l’autre risque est de voir une dépense compensatrice de dernière minute visant à “l’achat de n’importe quelles technologies dans l’urgence”. D’autant plus qu’un manque d’effectif dans la sécurité privée durant cet événement est acté depuis plusieurs mois déjà.
“Il aurait était possible de compenser une partie de ce manque de personnels humains par des technologies”, regrette l’un des interlocuteurs en guise de conclusion, tout en admettant toutefois “qu’il n’aurait dès le début pas été possible de tout compenser de toute façon”.
Reste désormais à savoir quelle sera l’issue dans les mois à venir pour ces innovations françaises expérimentées en vue des JOP 2024, mais aussi quel en sera l’héritage à l’issue de cet événement… le Gicat craignant d’ores et déjà, qu’en l’état actuel, cet héritage “reste limité”.
Eitel Mabouong – Journaliste
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