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Feu couvant dans le navire Epic
Vendredi 2 septembre 2022, 18 h 37. Le centre de traitement de l’alerte du Sdis76 reçoit un appel concernant un dégagement de fumée au sein d’une cale d’un navire à quai à Petit-Couronne dans le port de Rouen (Seine-Maritime). Il s’agit du vraquier Epic, de près de 200 m de long, qui comprend cinq cales. L’équipage a donné l’alerte.
Feu de métaux
Le premier détachement arrive rapidement sur les lieux pour les premières reconnaissances. Il sera suivi de renforts, 20 minutes plus tard. Le dégagement de fumée est localisé dans la cale centrale, dont les portes sont fermées et qui contient 8 000 tonnes de débris métalliques destinés au recyclage en Turquie. Elle a été chargée quatre jours auparavant en Belgique par le commanditaire Derichebourg. Le navire était dans le port de Rouen pour charger les quatre autres cales par le même commanditaire.
S’agissant d’un feu de métaux, il ne peut être éteint avec des moyens classiques car l’eau entraînerait une réaction chimique, susceptible de générer une explosion (risque de création d’hydrogène). La première consigne est de ne surtout pas ouvrir la cale pour ne pas faire entrer de l’oxygène au sein de l’enceinte close et raviver le feu.
Quand le lieutenant-colonel Luc Taconnet du Sdis76, commandant des opérations de secours, arrive sur les lieux vers 19 h 45, il n’y a plus de dégagement de fumée, le feu est couvant. « Nous faisions face à plusieurs risques : celui d’emballement du feu au sein de la cale et d’une montée en température qui aurait pu endommager la structure du bateau et entraîner une rupture de confinement, avec épanchements d’effluents en Seine ou rejets atmosphériques, explique-t-il. L’objectif était aussi de préserver l’outil économique, que ce soit le navire ou la cargaison, et de permettre l’activité aux alentours sur le port. »
Refroidissement
Le navire dispose d’un système d’extinction automatique au CO2, mais celui-ci étant inopérant, des premières actions sont rapidement engagées :
- la coque du navire et les portes de la cale sont refroidies grâce aux lances des sapeurs-pompiers et à un remorqueur incendie du port de Rouen ;
- l’étanchéité de la cale est contrôlée, pour éviter que l’incendie ne prenne de l’ampleur avec l’apport de comburant ;
- le Sdis76 demande l’avis d’un expert en structure pour épargner l’environnement et l’outil économique. Expert qui, finalement, n’arrivera jamais.
Face au feu couvant, l’une des premières actions réflexes a été le refroidissement des portes de cales. Les sapeurs-pompiers, sur le navire, étaient par ailleurs appuyés d’un remorqueur.
Surveiller la situation
Il faut parallèlement monitorer la situation à l’intérieur de la cale, malgré l’impossibilité de l’ouvrir. En termes de température, pour évaluer le degré de développement du foyer, et de gaz de combustion. « Tout ça s’est fait de manière indirecte, avec des mesures sur les parois des panneaux de cale. Nous avons aussi rapidement fait voler nos deux drones avec caméra thermique, ce qui nous a permis de localiser la source de foyer, ne serait-ce qu’en 2D », raconte le lieutenant-colonel. Et par exemple réorienter le remorqueur vers la zone la plus chaude.
Le Sdis76 a par ailleurs acquis mi-2022 un réseau de mesures de toximétrie. Ces balises électrochimiques, qui permettent de savoir en temps réel s’il y a des risques pour les intervenants ou à distance, ont permis d’assurer qu’il n’y avait ni rejets gazeux, ni pollution.
Trouver une solution de secours
« Puisqu’on ne voulait pas ouvrir les panneaux ni mettre de l’eau – un cas similaire traité par noyage de la cale à Gand en Belgique avait conduit à la perte du navire deux mois plus tôt – la solution ne pouvait être que l’inertage, ce qu’on connaît bien puisque c’est très utilisé au sein des silos », nous confie Luc Taconnet. Alors que l’équipage fait de multiples essais pour rétablir son système d’extinction interne, parallèlement, l’objectif est de trouver un autre moyen d’inertage par l’azote.
Tout ceci se joue au centre opérationnel départemental (COD) activé vers 20 h le vendredi pour coordonner toutes les actions concernant l’incendie. « Se sont retrouvés en cellule de crise à la préfecture, le directeur du port de Rouen (Haropa), les inspecteurs Dreal, le Sdis, le service communication de la préfecture et nous-mêmes pour assurer la liaison et la mobilisation de moyens », racontent Clément Vivès, sous-préfet et directeur de cabinet, et Laurent Mabire, directeur adjoint du Siraced PC à la préfecture.
La caméra thermique du drone du Sdis76 a permis de surveiller la température ambiante de la cale concernée.
Un travail d’équipe
« On s’est rendu compte très rapidement qu’on allait avoir du gaz liquide à -180 degrés. Il a fallu trouver comment le transporter, comment le réchauffer pour le regazéifier sur place et trouver des tuyaux adaptés à la cale du navire pour l’injecter, se souvient Clément Vivès. Tout ça, ce sont des appels à de multiples interlocuteurs qu’il faut réveiller au milieu de la nuit pour obtenir les accords et trouver les bons opérateurs techniques… On a eu la chance d’avoir plein de bonnes volontés qui se sont penchées sur ce sinistre. Des personnes se sont rendues disponibles tout le week-end. »
Via l’activation du réseau Usinaid de France Chimie, grâce aux réseaux de connaissances de la Dreal, du Sdis et à la mobilisation des agents du port, la solution a été trouvée : Air liquide, spécialiste des gaz industriels, a fourni un camion de 25 000 l d’azote liquide et l’opérateur céréalier Sénalia le « skid » nécessaire pour réchauffer l’azote. Les ateliers d’Haropa Port de Rouen ont construit une bride spécifique pour injecter l’azote dans la cale.
L’inertage
Il a duré du samedi au mardi midi. « Pendant l’opération, nous avons monitoré les gaz par le biais de sorties de pipe de la cale pour vérifier qu’on n’avait pas d’ammoniac (dérivé de la décomposition des métaux) et on a cartographié continuellement la température pour vérifier qu’en fonction de la météo, de l’exposition au soleil, la température descendait bien au sein de la cale », précise le lieutenant-colonel Luc Taconnet. L’utilisation des drones a permis un suivi et une surveillance du sinistre par l’ensemble des acteurs, en temps réel et à distance.
Ouverture de la cale et déchargement
À l’ouverture de la cale le mercredi 7 septembre, aucune élévation de température en surface n’est détectée, il n’y a pas de dégagement de fumée. « Quand on a ouvert, on voyait très bien un cône d’expansion de fumée avec des traces de suie sur les panneaux de la cale. Cela a confirmé la zone de départ du foyer. On a ensuite procédé à l’extraction de la matière, explique Luc Taconnet. Le point chaud était certainement situé dans une zone à 6 m de profondeur, à l’interface entre la petite et la grosse granulométrie de métaux. Et certainement lié à des matériaux qui n’étaient pas du métal. À l’intérieur, on a trouvé du plastique, du bois, du tissu, du caoutchouc, des filtres à huile, des batteries. On ne connaît pas l’origine du sinistre mais il y avait suffisamment d’autres matériaux que le métal pour alimenter une combustion lente. »
Le Sdis a appris par la suite que l’équipage avait ouvert le panneau de cale avant leur arrivée. « Les personnels n’ont jamais voulu le confirmer mais c’est sûrement ce qui explique le dégagement de fumée. Ils ont probablement ouvert en début, milieu d’après-midi, ce qui a fait entrer de l’oxygène à l’intérieur et a ravivé un feu couvant depuis plusieurs jours. »
Un retour d’expérience positif
Il n’y a eu aucune victime et l’Epic n’a pas été endommagé. L’ensemble des débris ont été rechargés dans la cale et le vraquier a pu repartir le 22 septembre. Pendant tout le temps de l’opération, le trafic fluviomaritime a pu se poursuivre. Seules mesures de régulation : deux navires accostés à côté de l’Epic ont été écartés du quai pour éviter tout risque et faire un périmètre de sécurité. Et la navigation a été interrompue le mercredi au moment de la réouverture de la cale et du déchargement.
Repères
Article extrait du n° 591 de Face au Risque : « Analyser les risques » (avril 2023).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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