Les enjeux de la nouvelle réglementation bois
Dans le domaine de la construction, l’utilisation du matériau bois se développe de plus en plus sur des ouvrages multi-étagés. Ce contexte innovant pose la question de la sécurité incendie et de l’adéquation de la réglementation. La révision de cette dernière est cruciale pour l’avenir de la filière bois.
Une réglementation dépassée ?
Depuis 50 ans la construction bois en France s’est développée sur la base de deux cultures distinctes : une culture ossature principalement axée sur le logement individuel, et une culture charpente axée sur les ouvrages de plus grande portée comme les gymnases.
Mais plus récemment, sous l’impulsion de la réglementation énergétique et de la nécessité de réduire le bilan carbone de la construction, des ouvrages bois de plus grande envergure ont émergé. Le village olympique des JOP Paris 2024 en est une vitrine et, si des immeubles bois jusqu’à 50 m sont désormais possibles (par exemple la tour Hypérion à Bordeaux), les efforts de développement se concentrent surtout sur les ouvrages de 8 à 28 m.
S’il n’y a pas de sinistralité évidente à ce jour sur les ouvrages bois de moins de 8 m (malgré un parc aujourd’hui important d’écoles, d’hôtels et d’habitations), autorités civiles, organismes de contrôle et assureurs se posent la question de la sécurité incendie des ouvrages bois de plus de 8 m et de l’adéquation de la réglementation actuelle.
C’est un fait, le corpus réglementaire principal en matière de sécurité incendie a plus de quarante ans et, suite au choc de simplification de 2013, ces textes ont très peu évolué ces dix dernières années. Comment prendre en compte les nouvelles typologies d’ouvrages dans ce cas, surtout si un matériau de construction émergent présente la particularité d’être combustible ?
En fait même si le gros-œuvre béton était très majoritaire dans les années 1980, il faut rappeler que les textes ont été rédigés très précisément, en termes d’objectifs de sécurité et de règles de moyens, pour qu’aucune distinction ne soit faite entre les matériaux de construction, qu’ils soient en béton, en métal ou en bois. Et par ailleurs, cette égalité de traitement intrinsèque reste vraie à un niveau beaucoup plus général.
Pour être réputé traditionnel (ce qui est essentiel notamment du point de vue d’un organisme de contrôle), tout système constructif doit attester d’un référentiel collectif pour chacune des trois composantes majeures de l’acte de construire :
- la composante des produits de construction cadrés normativement et devant respecter la règlementation européenne (RPC) dès lors qu’ils circulent sur le marché ;
- la composante de conception d’un ouvrage, avec des outils normatifs européens (pour le dimensionnement de la structure), et des règlementations nationales pour l’incendie, l’acoustique, le thermique, le sismique… ;
- la composante de mise en œuvre avec des référentiels nationaux (NF DTU, recommandations professionnelles Rage…).
Il faut donc garder à l’esprit que le développement de la construction bois n’a pu se faire qu’en respectant le cadre normatif et réglementaire imposé à tous les principes constructifs et matériaux de construction. Du point de vue de l’incendie, un élément de construction à base de bois est testé en résistance au feu, ou du point de vue de la propagation du feu en façade, exactement de la même façon qu’un autre, il est soumis aux mêmes contraintes d’essais et au mêmes critères de classement.
Donc il n’est pas pertinent de parler d’une règlementation dépassée car celle-ci, en s’appuyant sur des outils normatifs communs, reste par conception applicable à tous types de matériaux. Mais l’inquiétude des autorités civiles en particulier n’est pas sans fondement, et leur demande pour une meilleure prise en compte du matériau bois dans la règlementation montre bien que des adaptations sont nécessaires, surtout dans un contexte de développement très rapide de nouveaux systèmes constructifs en bois ou associant le bois à d’autres matériaux en mixité.
« Les autorités publiques ont mis en place en 2021 un groupe de consultation visant à proposer une révision du règlement de sécurité des ERP. Les premiers projets (…) ont mené à de nombreuses demandes de révision de la part des acteurs du bâtiment. »
Une lecture des retours sur le terrain
Les évolutions réglementaires ont très souvent suivi des sinistres historiques. Des modifications importantes pour la construction bois ont déjà été induites indirectement par des sinistres importants : l’incendie de la Tour Mermoz à Roubaix en 2012 (Face au Risque n° 486, octobre 2012) et celui de la Tour Grenfell à Londres en 2017 (Face au Risque n° 535, septembre 2017), qui n’impliquaient aucunement le bois, ont entraîné une révision de la réglementation pour les habitations en 2019 sur l’usage de matériaux combustibles en façade. Le durcissement en réaction au feu pour les immeubles de la 2e famille et l’introduction des appréciations de laboratoires (APL) pour les 3e et 4e familles ont contraint les systèmes de façades avec matériaux combustibles à s’adapter, qu’ils soient en bois (ex : bardages) ou autres (ex : isolation thermique par l’extérieur à base de produits issus de la pétrochimie).
Du fait du principe d’antériorité qui s’applique à chaque révision des textes, il y a un parc d’ouvrages datant d’avant l’entrée en vigueur des arrêtés de 2019 qui ne répond plus aux exigences actuelles du point de vue des façades, dont certaines avec des parements bois. Les services de secours font état de leur préoccupation concernant les immeubles de la 2e famille : bardages combustibles à lame d’air non recoupée dont le départ est proche du sol, conjuguée avec des feux dont l’origine n’est pas spécifiquement liée à l’unité de vie (feux de parcs de stationnement ventilés ou de véhicules stationnés au rez-de-chaussée, feux de balcons ou de loggias lourdement chargés en potentiel calorifique) sont des facteurs qui peuvent produire des sinistres en façade rapides et difficiles à maîtriser.
Par ailleurs, la question de la sécurité incendie des ouvrages bois respectant les référentiels en vigueur n’est pas remise en cause à notre connaissance concernant la mise en sécurité des occupants, ni sur la sécurité des intervenants pendant la durée réglementaire de résistance au feu de l’ouvrage. Les inquiétudes sont plutôt portées sur la sécurité des intervenants après la durée réglementaire de stabilité, et indirectement sur la préservation des biens. Il est notamment question de la gestion des points singuliers et du risque de propagation du feu dans le système constructif en bois, avec des contraintes de surveillance post-incendie accrues quant aux risques de reprise de feu. Il faut également citer un aspect non négligeable : à savoir la protection incendie en phase chantier. Le très récent sinistre de l’école de Montfermeil en est un exemple (Face au Risque n° 594, juillet-août 2023). Tant que les protections passives sur les éléments bois concernés ne sont pas en place, ce type de chantier peut être particulièrement vulnérable en cas de départ de feu volontaire ou accidentel (travaux par point chaud).
L’actualité réglementaire
Faute de mise en place d’un chantier réglementaire en réponse à leur préoccupation, certaines autorités civiles ont émis des doctrines locales relatives à la construction bois, avec des règles de moyens en surcouche de la réglementation en vigueur (doctrine PREF 33 10/20, doctrine BSPP 7/21).
Les acteurs de la construction bois ont exprimé leur inquiétude sur les impacts économiques importants de ces doctrines, ainsi que sur le climat d’insécurité juridique induit par une disparité de prescription sur le territoire national.
Dans ce contexte, les autorités publiques ont finalement mis en place en 2021 un groupe de consultation, suivi d’un groupe de rédaction visant à proposer une révision du règlement de sécurité des ERP (sachant que ces travaux seront vraisemblablement pris en référence pour l’évolution prévue des arrêtés pour l’habitation et le code du travail). Les premiers projets de modification des dispositions générales au niveau des articles GN, GE, CO et AM ont été diffusés de façon restreinte à différents acteurs fin avril 2023 avec un délai de deux semaines pour observations. Les modifications assez conséquentes sur ces articles ont mené à de nombreuses observations et demandes de révision de la part des acteurs du bâtiment, la question se pose donc à ce jour de la tenue de l’agenda de parution prévu fin 2023 (et une entrée en vigueur courant 2024).
Des réponses sous la forme d’études collectives
Pour avoir une vue d’ensemble il faut savoir que dès 2009, les organisations professionnelles de la filière bois ont programmé puis lancé des études structurantes en matière de sécurité incendie des ouvrages bois multi-étagés. Avec le soutien financier de l’État français, cela a permis de faire émerger des référentiels collectifs aujourd’hui plébiscités par la profession. En matière de résistance au feu, cela concerne par exemple les solutions d’écrans thermiques sur parois bois de l’annexe nationale de l’Eurocode 5 (NF EN 1995-1-2/NA) permettant de justifier des solutions de protection de REI15 à REI90.
« Dès 2009, les organisations professionnelles de la filière bois ont programmé puis lancé des études structurantes en matière de sécurité incendie des ouvrages bois multi-étagés. »
Guide « Bois, construction et propagation du feu par les façades », version 4, juillet 2023, CSTB et FCBA.
Autre référentiel : le guide « Bois, construction et propagation du feu par les façades » à valeur d’APL basée sur une dizaine d’essais Lepir2. Ce guide régulièrement mis à jour (dernière version en date de juillet 2023) permet de justifier des façades ossature bois jusqu’à 50 m de hauteur et remplace les solutions bois réputées périmées de l’IT 249 (arrêté du 24 mai 2010).
Bon à savoir : le site catalogue-bois-construction.fr est un outil technique accessible à tous qui recense de nombreuses solutions standardisées de parties d’ouvrages bois et leur performance, notamment au feu, ainsi que les référentiels techniques associés (volet BoisREF).
Dans le contexte actuel, et pour répondre aux préoccupations exprimées, les organisations professionnelles de la filière ont décidé de recenser et de hiérarchiser les principaux freins actuels au développement de la construction bois. Le centre technique FCBA a ensuite été missionné pour mettre en place et piloter une étude importante visant à lever ces freins (lire l’encadré Le projet SEIFBois ci-dessous), sur la base d’évaluations et de propositions optimisées.
Une période cruciale pour la construction bois
Les mois qui viennent seront déterminants. Il est important que la révision réglementaire aboutisse et vienne clarifier la situation au niveau national avec un retrait des doctrines locales. Mais elle ne doit pas permettre d’interprétations ni discriminer les matériaux de construction. Comme les études visant à lever les freins demanderont quelques années pour aboutir sur des référentiels exploitables, il est également crucial que la réglementation révisée puisse intégrer un maximum de points d’ouvertures vers des solutions alternatives. L’ouverture aux APL (réaction au feu, bois apparent, élément rapportés en façade…) est un outil à privilégier dans ce sens : sur la base de campagnes d’essais, de modélisation numérique et autres outils d’ingénierie de sécurité incendie, elles permettent de greffer sur une base prescriptive, des référentiels évolutifs génériques, donc souples et économiques.
Article extrait du n° 597 de Face au Risque : « Construction bois et sécurité incendie » (novembre 2023).
Grégoire Pianet
Ingénieur Construction et expert Feu FCBA
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