Les commerces et enseignes de distribution renforcent leur sécurité

24 octobre 20239 min

Face à la multiplication d’attaques et de menaces très diverses, les commerces de toutes tailles accroissent leurs dépenses de sécurité.

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Commerces et enseignes de distribution, des besoins en sécurité croissants

Magasins pillés ou détruits pendant les émeutes urbaines de l’été dernier, recrudescence des vols dans les rayons, cyberattaques plus virulentes, incivilités plus nombreuses et plus violentes : les enseignes de distribution sont la cible de multiples actes de délinquance.

« Le marché de la sécurité est réellement porteur dans les commerces, surtout pour les solutions intégrant les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle couplée à la vidéosurveillance », souligne Franck Charton, délégué général de Perifem, association technique des enseignes de grande distribution, des commerces spécialisés et des centres commerciaux.

Après consultation de la Cnil, certaines utilisations de l’intelligence artificielle (IA) sont possibles. Par exemple, pour lutter contre les vols – en forte augmentation – commis dans les magasins équipés de caisses automatiques sans personnel où le client effectue toutes les opérations lui-même. Un nouveau système de ventes qui tend à se généraliser dans les supermarchés ou les hypermarchés. Les caméras peuvent ainsi détecter la fraude et alerter le PC de sécurité. Après le vote de la loi dite Jeux olympiques permettant, sur une période limitée, l’utilisation de caméras intelligentes, Perifem s’est rapprochée du ministère de l’Intérieur pour que les dispositifs soient en conformité et bien intégrés.

À deux exceptions près, les commerces préfèrent avoir recours à des sociétés de sécurité privée qui permettent une gestion des ressources humaines plus simple. Les deux exceptions sont Auchan (près de 2 200 agents) et Carrefour (1 500 environ) qui utilisent des services internes de sécurité. Ces deux enseignes mettent en avant une formation des agents mieux adaptée aux besoins spécifiques de la profession et une meilleure connaissance des sites. Néanmoins, cette approche tend à diminuer et les enseignes font de plus en plus appel à des sociétés extérieures.

Perifem se déclare très satisfait du rapport du Gouvernement qui est défavorable à l’intégration de la surveillance incendie, effectuée par des agents Ssiap, dans le périmètre réglementé de la sécurité, comme cela est déjà le cas pour les agents de sécurité et de télésurveillance ou encore les transporteurs de fonds. « Cela aurait introduit une complexité inutile », estime son délégué général.

Un marché globalement porteur

Le marché de la sécurité dans les enseignes de distribution s’élève à un peu plus de 1,7 milliard d’euros en 2022, en croissance de 6 %, selon une étude d’En Toute Sécurité. Et cette progression devrait se poursuivre dans l’avenir. Environ 540 M€ proviennent des dépenses en surveillance humaine et un montant équivalent en sécurité électronique (alarme, contrôle d’accès, vidéosurveillance, télésurveillance).

Les commerces de toutes natures représentent environ 15 % du marché total de la surveillance humaine et une large majorité du transport de fonds, selon les estimations d’En Toute Sécurité.
Les ventes sont néanmoins freinées par la nouvelle réglementation qui interdit la création de nouvelles grandes surfaces (supérieures à 5 000 m²), de sorte que la demande se porte sur le renouvellement d’équipements, davantage sophistiqués, ou provient des petites surfaces.
Le taux d’équipement en caméras et en matériel de lutte contre la démarque inconnue (étiquettes utilisant la technologie RFID, bornes de contrôle, etc.) est élevé dans les supermarchés et hypermarchés, fait remarquer Franck Charton. « La délinquance se déplace vers les sites les moins protégés », précise-t-il. Le taux de démarque inconnue – en augmentation ces dernières années – se situe au-dessus de 1 % des ventes totales, ce qui représente des sommes colossales.

Répartition des dépenses de sécurité et sûreté dans les enseignes de distribution.
Chiffres 2022 en millions d’euros.

Répartition des dépenses de sécurité et sûreté p.37 - Source : En Toute Sécurité

Autre tendance sur le long terme : la coordination des systèmes de sécurité électronique avec ceux dédiés à la lutte contre l’incendie. En revanche, il n’est pas question de remplacer les agents de sécurité par des caméras : les clients sont attachés à une présence humaine et expriment leur préférence pour un mix des deux.

Lorsqu’on leur demande ce qui contribue à la sécurité en magasin, les Français se montrent très attentifs à un bon éclairage du point de vente et plus de huit Français sur dix sont favorables à la vidéosurveillance dans les commerces, quel que soit le format : centres commerciaux (86 %), grandes surfaces alimentaires (84 %), commerces de proximité (81 %) ou magasins spécialisés (80 %), selon un sondage réalisé par OpinionWay pour Perifem en 2022.

Le commerce en France.

Le commerce en France p.37 - Source : Insee

Autre enseignement concernant la vidéosurveillance intelligente : 88 % des personnes interrogées accepteraient d’être filmées pour la lutte contre les incivilités et agressions, 86 % pour la lutte contre le terrorisme et 68 % pour faciliter la fluidité du passage en caisse.
En revanche, une majeure partie des Français se sent mal informée sur les techniques de vidéosurveillance en magasin (68 %) ou leurs droits en tant que citoyens (65 %). Ils admettent ne pas connaître les obligations des magasins sur les garanties à leur apporter en matière de vidéosurveillance.
Plus généralement, les consommateurs mettent la sécurité comme priorité : plus d’un tiers d’entre eux déclarent ne pas se rendre dans un quartier pour faire leurs courses à cause d’un sentiment d’insécurité. 51 % affirment avoir été témoin d’une incivilité dans un commerce.

L’impact des émeutes urbaines

Alors qu’en 2005, les émeutes urbaines s’étaient concentrées sur la destruction de véhicules, en juin 2023 elles ont pris pour cibles prioritaires tous les types de commerces. C’est ainsi que plus de 400 agences bancaires (dont 40 % en Île-de-France), plus de 200 commerces alimentaires, plus de 480 bureaux de tabac (dont la moitié en Île-de-France), sans compter un millier d’équipements PMU (caisses, bornes, tablettes d’information) et 400 points de vente de la Française des Jeux, ont été touchés. Et certains ont été totalement détruits. Des hôtels ont même été dégradés.

Conséquence : des difficultés pour redémarrer l’activité malgré le soutien des pouvoirs publics ou des organisations patronales. En Île-de- France, 43 % des commerçants citent les émeutes pour expliquer une période de soldes d’été assez morose, selon un sondage réalisé en août 2023 par la chambre de commerce et d’industrie.

« Les magasins ont été visés par les émeutiers en fonction de leur position géographique, pas en raison de la faiblesse ou non de leur système de sécurité. Néanmoins ceux qui ont été détruits par le feu étaient ceux qui n’étaient pas équipés correctement en systèmes de sécurité incendie » analyse le délégué général de Perifem. Et de noter que les contrats de maintenance et d’audit de sécurité ont repris de plus belle après les émeutes.

Une remise en cause des dispositifs habituels a ainsi été adoptée, notamment le stockage de palette en bois à l’extérieur des bâtiments.

Évolution de la délinquance

Une nouvelle forme de vol devient un véritable fléau pour les magasins de vêtements dans certaines zones urbaines : le vol massif et au grand jour par des bandes organisées« Nous assistons à une explosion de ce type de délinquance. Elle est notamment favorisée par le manque de traçabilité des marchandises. De plus, les bandes se déplacent très rapidement d’une région à une autre ou repartent à l’étranger », explique Yannick Rouvrais, directeur sécurité d’une enseigne de vêtements. Les bandes, dont la composition peut aller jusqu’à une quinzaine de personnes, repèrent tout d’abord le fonctionnement du magasin et agissent généralement sans violence. Difficile de lutter contre ce genre de pratique : la présence de caméras est certes dissuasive, mais celle des agents de sécurité l’est moins, car ils ne sont pas en nombre suffisant. Il est plutôt indispensable de mieux connaître les pratiques, les profils des délinquants et d’avoir une bonne connexion avec l’univers de la justice pour que l’affaire ne soit pas traitée comme un simple vol à l’étalage mais comme un véritable délit entraînant un préjudice réellement important.

Paris, France - June 30th, 2023: The Nike store - Crédit: Yann Vernerie/AdobeStock

Alors qu’en 2005, les émeutes urbaines s’étaient concentrées sur la destruction de véhicules, en juin 2023 elles ont pris pour cibles prioritaires tous les types de commerces. Ici, un magasin Nike de Paris, le 30 juin 2023.

Autre pratique qui concerne les grands magasins ou les hypermarchés : au moment de la fermeture, un voleur prend des objets et s’enfuit à toute vitesse dans la rue, prenant très souvent de court les agents de sécurité même si l’alarme antivol retentit. Pour les petits larcins justement, les professionnels du commerce se félicitent de la nouvelle circulaire, publiée par le ministère de la Justice durant l’été dernier, instaurant une amende forfaitaire de 300 € en cas de flagrant délit et dispensant les commerçants d’un dépôt de plainte souvent sans effet.

« Les vols à l’étalage ont bondi de 15 % en 2022 et trois commerçants sur quatre déclarent avoir été victimes de vol ou tentative de vol » souligne la confédération des PME, qui militait depuis de nombreuses années pour la création de cette amende forfaitaire, tout comme Perifem.

Une catégorie de magasin a vu les attaques diminuer : les bijouteries. De 875 braquages en 2016, on est descendu à quelques dizaines aujourd’hui. « Ces dernières années, nos adhérents ont investi beaucoup pour se protéger », explique Sandrine Marcot, présidente déléguée de l’Union de la bijouterie-horlogerie, affirmant que 30 % du budget de ce type de magasin est consacré à la sécurité : outre la vidéosurveillance et les agents de sécurité, elle évoque les sas d’entrée et les produits marquants codés.

Elle pointe une évolution des attaques : des réseaux organisés venant d’Europe de l’Est agissant sur commande pour réaliser des braquages, souvent spectaculaires. Les cyberattaques visant spécifiquement les bijouteries deviennent également une pratique émergente. Elle vise à paralyser les systèmes informatiques pour s’adonner ensuite au chantage. On en n’est pas encore au piratage des systèmes de sécurité afin de déverrouiller les sas d’accès et d’éteindre l’alarme et les caméras. « Les constructeurs de matériel de sécurité ont pour l’instant bien pris en compte ce type de risque, mais nous devons anticiper », ajoute Sandrine Marcot. Les informaticiens sans scrupule seront-ils bientôt le pire danger pour les bijoutiers ?

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Patrick Haas

Journaliste et directeur d’En Toute Sécurité

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