Sûreté portuaire : un marché récurrent

21 août 202310 min

Encadré par une réglementation internationale très précise, le marché de la sûreté portuaire se développe sans à-coup mais avec des exigences sans cesse croissantes dans un environnement particulièrement complexe.

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Sûreté portuaire : des activités multiples

Acteurs primordiaux du commerce international pour des produits prioritaires comme les hydrocarbures, les céréales ou l’automobile, les ports ont également une activité industrielle et logistique ou encore de transport de dizaines de millions de passagers.

Certains ports accueillent en effet d’importantes unités de production de raffinage, de pétrochimie ou produisent même de l’électricité. Autant dire qu’il s’agit de sites ultra-sensibles.

« Une grande partie des échanges commerciaux du pays passe par ses ports : ce sont des sites réellement stratégiques, où la gestion de la sécurité et de la sûreté est primordiale », nous explique Serge Marigliano, officier de sûreté portuaire du port de Marseille depuis 2018 et qui a occupé auparavant un poste similaire au port du Havre.

La France compte 66 ports de commerce maritimes qui sont des établissements publics de l’État. Ils assurent 80 % du trafic maritime de marchandises, soit plus de 350 millions de tonnes de fret par an. On recense également plus de 500 ports relevant des collectivités territoriales.

La situation est d’autant plus complexe que des acteurs venus d’horizons très différents se côtoient : forces de l’ordre (Police aux frontières, nationale et municipale, Gendarmerie), douaniers, sécurité privée, industriels, autorités portuaires, transporteurs, préfecture, etc. Il est donc primordial d’instaurer une coordination étroite.

66

C’est le nombre de ports de commerce maritimes, établissements publics de l’État, que compte la France.

Le code ISPS s’impose à tous les États

La configuration actuelle de la sécurité des ports résulte indirectement des attentats terroristes conduits par Ben Laden en septembre 2001 aux États-Unis.

Ils ont démontré que n’importe quel site civil au rôle économique majeur, de même que la population pouvaient constituer des cibles ayant un fort impact médiatique. Les infrastructures de transport (aéroports, ports, réseau ferroviaire et métro) accèdent alors au premier rang des priorités de sécurité.

Les États-Unis ont fortement poussé à un renforcement des mesures de sécurité portuaires et maritimes. Dès décembre 2002, la conférence de Londres de l’Organisation maritime internationale publie le code ISPS (International Ship and Port Facility Security) qui s’impose à tous les États contractants, aux autorités portuaires et aux compagnies de navigation.

Entré en vigueur en 2004, il prend en compte les actes illicites de toute nature : terrorisme, piraterie, sabotage, prise d’otages, immigration clandestine, trafics d’armes ou de stupéfiants, vols de marchandises. Il concerne aussi bien les installations portuaires que les navires effectuant des trajets internationaux.

Ce document incite à la coopération entre gouvernements, organismes publics et privés du secteur. Il crée une certification ISPS qui garantit que les normes de sûreté imposées sont respectées. Pour l’obtenir, il faut :

  • choisir un organisme de sûreté reconnu par l’État ;
  • nommer un agent de sûreté portuaire qualifié ;
  • réaliser une évaluation de sûreté ;
  • et établir un plan de sûreté. Inutile de préciser que les ports ne disposant pas de la certification ISPS sont voués à disparaître.

En France, les ports répondant à ces obligations reçoivent une déclaration de conformité de la part de la Direction des affaires maritimes, renouvelable tous les cinq ans, et les navires un certificat international de sûreté, pour cinq ans également. Des contrôles doivent être effectués par les autorités et des sanctions administratives ou pénales sont prévues en cas de non-conformité. Au sein d’un Comité local de sûreté, la préfecture a la haute main sur toutes ces questions.

« Aujourd’hui, les ports français sont bien protégés et se sont bien adaptés au code ISPS », estime Émilie Marionnet, gérante de l’agence de sûreté maritime et portuaire Surtymar, qui effectue notamment des audits de sûreté. « Entre deux audits quinquennaux, on ne note en général pas de dégradation du niveau de sûreté. Pas de bouleversement », ajoute-t-elle.

« Le développement dans les esprits de la culture de sûreté dans les ports à fait un pas de géant ces vingt dernières années, souligne pour sa part Serge Marigliano. D’ailleurs, la France a souvent poussé au-delà de cette simple application du code international ISPS par des mesures complémentaires visant un haut niveau de sûreté. »

« Outre les risques classiques d’atteinte aux biens et aux personnes, de nouveaux risques émergent tels que les attaques cyber ou les survols de drones malveillants. »

Serge Marigliano, officier de sûreté portuaire du port de Marseille.

Des moyens renforcés

Les ports sont divisés en plusieurs zones selon le degré de sûreté nécessaire : la zone publique et la zone non librement accessible au public qui implique un système de contrôle d’accès. Les installations portuaires sont elles-mêmes divisées en zones à risques modérés, élevés et restreints, avec des habilitations plus ou moins importantes. Une zone stockant des matières dangereuses étant évidemment davantage protégée qu’un lieu de stockage d’automobiles.

Ces installations – bâtiments ou quais – doivent assurer l’interface avec les navires, sans pour autant avoir en charge leur sûreté proprement dite. Celle-ci est du ressort de l’exploitant des bateaux, mais la coordination est évidemment nécessaire. La capitainerie, qui supervise la sécurité, exige les documents de sûreté d’un navire qui entre dans le port et lui attribue un emplacement selon le degré de dangerosité des marchandises.

42 000

C’est le nombre de personnes travaillant dans le port de Marseille. Celui-ci représente 1,5 fois la superficie de Paris.

L’étendue des sites est une donnée essentielle. Le port de Marseille représente par exemple 1,5 fois la superficie de Paris et 42 000 personnes y travaillent. Sans compter les milliers de passagers ou les yachts de riches propriétaires qui utilisent les infrastructures.

« Les dispositifs de contrôle de sécurité dans les ports se rapprochent des standards en vigueur dans les aéroports, malgré une multiplicité des différents modes de transports à traiter, sur des étendues bien plus vastes », affirme l’officier de sécurité du port de Marseille.

À l’instar d’une configuration bien installée depuis deux décennies dans les aéroports, les contrôles par des matériels à rayons X sont ainsi devenus courants dans les ports. De même, la traçabilité des marchandises doit s’effectuer sans faille. Il est nécessaire de réaliser fréquemment des exercices de simulation, notamment dans l’hypothèse d’un attentat. Les officiers de sûreté ont d’ailleurs l’obligation de signaler tout incident.

Le budget de fonctionnement de la sécurité d’un port – hors investissements en équipements – se monte à plusieurs millions d’euros par an, dont une part importante consacrée à la surveillance par agents. Leurs effectifs sont en général d’au moins une centaine dans les plus grands ports, soit salariés du port, soit travaillant pour une société privée extérieure.

Une exception à noter : le port du Havre est le seul en France à utiliser des gardes armés. Il bénéficie en effet d’un statut particulier depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, en raison des trafics en tous genres qui sévissaient à cette époque.

De nouvelles menaces

Outre des systèmes de contrôle d’accès plus performants et des clôtures renforcées, la vidéosurveillance acquiert une place de plus en plus importante. L’intelligence artificielle et des caméras panoramiques permettent par exemple de surveiller des zones sur un rayon de dix kilomètres.

« Le directeur sécurité s’appuie sur des technologies sûres et éprouvées, mais il se heurte parfois à des contraintes budgétaires et doit obtenir l’accord de nombreux interlocuteurs au sein de son organisation », tempère Émilie Marionnet de Surtymar.

« Le directeur sécurité s’appuie sur des technologies sûres et éprouvées, mais il se heurte parfois à des contraintes budgétaires. »

Émilie Marionnet, gérante de l’agence de sûreté maritime et portuaire Surtymar.

« Outre les risques classiques d’atteinte aux biens et aux personnes, de nouveaux risques émergent tels que les attaques cyber ou les survols de drones malveillants. Les directeurs de sûreté des ports et leurs équipes sont à l’affût de l’émergence de ces nouveaux types de risques et des évolutions technologiques permettant de les traiter efficacement », avance Serge Marigliano.

Le port de Calais utilise par exemple des drones pour surveiller le vaste périmètre du site afin de repérer l’immigration illégale. Eurotunnel a également adopté cette solution. Rappelons que 45 000 personnes ont rejoint les côtes anglaises en traversant la Manche en 2022 et plus de 200 ont perdu la vie depuis 2014.

Signe des temps, plusieurs ports ont recruté un RSSI (responsable de la sécurité des systèmes d’information) pour lutter contre d’éventuelles cyberattaques.

« Les questions de sûreté deviennent particulièrement complexes si bien que les autorités portuaires ont désormais tendance à faire appel à des cabinets extérieurs spécialisés pour effectuer les audits. Elles sont encore plus exigeantes sur la qualité de la prestation », souligne la responsable de Surtymar. On le comprend au vu des enjeux en question et des menaces qui se multiplient.

Control room workers monitoring cargo port - Crédit: ArgitopIA/AdobeStock

Signe des temps, plusieurs ports ont recruté un RSSI (responsable de la sécurité des systèmes d’information) pour lutter contre d’éventuelles cyberattaques (visuel généré par IA).

La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques sur la Seine pose des problèmes de sécurité inédits pour le ministère de l’Intérieur, mais aussi pour Haropa Port, la nouvelle structure créée en 2021 qui regroupe les ports du Havre, de Rouen et de Paris.

La cérémonie, qui débutera le 26 juillet à 20 h 24 et durera trois heures, se déroulera en présence de 100 000 spectateurs payants ou accrédités sur les quais bas et plusieurs centaines de milliers de personnes gratuitement sur les quais hauts.

Une parade fluviale interviendra sur une distance de 6 km avec le transport de 10 000 athlètes dans 91 bateaux, accompagnés d’une trentaine d’embarcations de sécurité, suivie par un spectacle sur la Seine et de la cérémonie protocolaire.

Le Comité d’organisation des Jeux (Cojop) devra prendre en compte les mesures de relocalisation et d’indemnisation des propriétaires des bateaux qui devront être déplacés temporairement.

Haropa Port, qui a pour consigne stricte de rester totalement discret sur les mesures de sécurité prises durant les JO, a d’ores et déjà augmenté son niveau de sûreté, ses capacités opérationnelles et sa vigilance sur les menaces potentielles. Actuellement, il assure le transport des matériaux lourds destinés à l’organisation des Jeux (élément d’un pont pour le village olympique, substrat de plantation des espaces paysagers, etc.).

En parallèle, il a engagé un vaste chantier sur les quais pour permettre l’assainissement des eaux usées provenant des 223 installations flottantes accueillant les épreuves sportives qui se dérouleront sur la Seine.


Article extrait du n° 594 de Face au Risque : « Éviter les chutes » (juillet-août 2023).

Patrick Haas

Journaliste et directeur d’En Toute Sécurité

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