Les voyages d’affaires à l’étranger
L’abaissement des dernières barrières sanitaires liées au Covid-19 depuis 2022 s’accompagne d’un regain de mobilité à l’échelle mondiale. Dans un contexte international marqué par la permacrise – conflits armés, crises économiques, catastrophes naturelles et dérèglement climatique – l’attention portée aux ressortissants français en déplacement à l’étranger doit redoubler.
Risques au-delà des frontières
Du 5 au 20 juin 2023, pas moins de 16 alertes différentes sur 16 pays distincts ont été publiées dans la rubrique « Dernières minutes » de l’espace « Conseils aux voyageurs » du site du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE). Les motifs sont variés : troubles civils au Sénégal et au Liban, incendies au Québec et dégradation des conditions atmosphériques à New-York, risque d’enlèvement au Tchad, affrontements entre groupes criminels au Mexique, passage du cyclone Biparjoy en Inde et au Pakistan…
Évidemment, le filtre placé au niveau mondial fait que ces alertes des dangers et des menaces graves pesant sur les personnes sont plus fréquentes que dans l’Hexagone. Mais hors situation de crise majeure, comme celle connue lors de l’invasion de l’Ukraine ou plus récemment du séisme en Turquie, les risques pesants sur la vie des Français en mission dans le monde ne sont pas totalement éloignés de ceux auxquels leurs compatriotes sont quotidiennement exposés au sein des frontières nationales. Loin du spectre du terrorisme et de l’action violente, les premières causes de mortalité des ressortissants français sont accidentelles (avec, au premier chef, le risque routier) et sanitaires (notamment les pathologies cardio-vasculaires).
« Les préoccupations sont essentiellement de trois ordres : la sécurité des personnes, la sécurité des datas et la continuité de la mission. »
Laurent Lahollande, directeur sécurité chez Bouygues construction.
Du point de vue de l’entreprise, quelles sont les principales préoccupations liées aux missions des collaborateurs envoyés à l’étranger ? Tel était le thème d’une conférence donnée par l’Institut européen d’études en sûreté-sécurité pour les entreprises (Ieesse) en mars dernier. « Elles sont essentiellement de trois ordres, a répondu Laurent Lahollande, directeur sécurité chez Bouygues construction : la sécurité des personnes, la sécurité des datas et la continuité de la mission. »
Contextualiser les risques
Les grands groupes et multinationales déploient généralement leurs missions à l’étranger selon une stratégie et un calendrier bien précis, laissant le temps à la préparation. Pour les petites entreprises, c’est différent. Certaines n’ont parfois pas le choix, comme le remarque lors de la conférence Dominique Gérard, DG de Scutum Security First (SSF) spécialisée dans la sûreté à l’international : « Certains chefs d’entreprises me demandent : je viens de gagner un contrat dans une zone classée rouge écarlate. Je dois mettre en place des personnels rapidement, c’est une question de survie de l’entreprise. Comment faire ? ».
Dans tous les cas, la méthode consiste à contextualiser les risques. « Avant de se rendre dans un pays, il faut se poser les bonnes questions, analyse Laurent Lahollande. Que va-t-on y faire, pourquoi le collaborateur est envoyé là-bas, avec qui va-t-on travailler, pour combien de temps ? En fonction des réponses, il faut identifier les risques et les menaces. »
Un contexte parfois compliqué
Il faut donc prendre des précautions et prodiguer des recommandations selon la zone dans laquelle le collaborateur va évoluer et le contenu de sa mission. « Globalement, nous observons 18 rubriques pour apprécier les risques, confie le directeur sécurité de Bouygues construction. Le risque géopolitique, le terrorisme, la délinquance, les catastrophes naturelles, la pandémie, les capacités hospitalières… Ensuite, on étudie les dispositifs à mettre en place pour un rapatriement. »
Et de poursuivre : « Les questions de terrorisme et de criminalité sont relativement simples à aborder, avec l’aide de nos partenaires locaux. Par contre, au niveau d’un grand groupe, on est aussi obligé de se poser cette question : notre activité va-t-elle générer une menace pour nos propres acteurs dans cette zone, compte tenu de la concurrence, du pouvoir en place, de groupes divers et variés ? La réponse n’est jamais évidente. » Cette variabilité liée à la nature de l’activité de l’organisation missionnaire et au contenu de la mission induit que, pour une même destination, les risques envisagés sont souvent différents d’une entreprise à l’autre.
La norme ISO 31030
En septembre 2021, en plein Covid, la norme « Gestion des risques liés aux voyages » a été publiée en vue de formuler des recommandations aux organismes sur la manière de gérer les risques pour l’organisation et ses voyageurs. Un outil très utile dans le domaine de la sûreté. Cependant, Dominique Gérard a éprouvé le besoin de l’améliorer : « SFF a décliné cette norme en 700 questions afin d’aider les entreprises à connaître réellement leur performance dans le domaine du TRM (Travel Risk Management). Nous avons audité cinq grands groupes à l’aide de cet outil. Les résultats sont très bons. Cependant, on a constaté des manques : il y a par exemple toute cette population de voyageurs qui va conquérir des nouveaux marchés, souvent en zone sensible, et qui oublie de passer par l’agence de voyage du groupe, qui oublie de se déclarer sur l’outil d’assistance, et que l’on retrouve dans un quartier mal famé… »
Certains réflexes restent donc à parfaire. Un moyen de pallier ces carences est d’inscrire quelques principes dans le règlement intérieur de l’entreprise. Comme celui de déclarer systématiquement sa position à l’entreprise dès que le voyageur change d’endroit, ou bien l’interdiction de conduire à l’étranger.
Localiser et communiquer à distance
L’une des bases de la sécurité des voyageurs d’affaires à l’étranger est de pouvoir localiser les personnes à distance et d’avoir un moyen de communication fiable, en temps réel. Pour cela, il existe des outils. C’est l’un des volets de l’activité de SSF.
« Nous avons développé des outils communicants, que l’on adapte en permanence aux besoins des entreprises, détaille Dominique Gérard. Lorsqu’apparaît une alerte sur une zone, nous avons la possibilité d’interroger tous les collaborateurs situés dans un certain périmètre. Le tracking peut être effectué via un smartphone, ou un téléphone satellite. C’est un outil qui satisfait au RGPD, sur la base d’une action volontaire du voyageur. En cas d’incident, ces outils permettent d’identifier tous les collaborateurs qui pourraient être impactés. Et on peut traiter, en demandant si tout le monde est en sécurité. Et si ça n’est pas le cas, déclencher une demande d’intervention, selon un process défini en amont. En cas d’urgence, la rapidité est capitale. »
« Nous avons développé des outils communicants, que l’on adapte en permanence aux besoins des entreprises. »
Dominique Gérard, DG de Scutum Security First (SSF).
Différents profils de voyageurs
La contextualisation et l’analyse de risque est une chose, la personnalité et la psychologie des voyageurs est un autre facteur dont il faut aussi tenir compte. « À l’étranger, il y a un maître-mot pour le voyageur occidental : la perte des repères », met en avant Laurent Lahollande. En effet, là où atterrit le collaborateur, il n’y a parfois pas de connexion internet ou d’électricité, l’accès à l’eau peut être contraint, la nourriture locale est parfois… exotique ! « L’inconfort génère de l’anxiété, l’anxiété entraîne un certain nombre de comportements ou de réactions hostiles car on ne trouve pas forcément les réponses adaptées… Il peut se créer un effet panique pour quelqu’un qui se trouve déstabilisé. Il est nécessaire d’anticiper tout ça ». S’il est relativement simple de le faire pour les expatriés et leurs familles au travers de procédures routinisées, ça l’est moins pour deux autres catégories de voyageurs : les missionnaires, ceux qui partent souvent en voyage à l’improviste. Et les sous-traitants, qui sont parfois amenés à suivre le maître d’oeuvre dans son activité à l’étranger. Dans ces derniers cas, le passage d’informations et la sensibilisation sont essentiels.
Lorsque le professionnel en mission à l’étranger fait du tourisme sur son temps libre et qu’il a un accident de voiture, c’est la responsabilité de l’entreprise qui est engagée.
Mission vs tourisme
Un cas de figure est à envisager lors de la mission, le « bleisure » (contraction de business et de leisure). Le cas se présente lorsque le professionnel en mission à l’étranger décide, sur son temps libre, de prendre du bon temps et de basculer en mode touriste. Le collaborateur peut ainsi décider de prendre l’avion ou le bateau pour visiter une partie du pays où il est basé. Et il arrive parfois des problèmes : accidents de voiture, affaires de mœurs…
« Contrairement à ce que certains avocats avancent, ces incidents sont de la responsabilité de l’entreprise, considère Laurent Lahollande. Cela fait partie des choses à anticiper par la direction sûreté, en listant les zones, les établissements et les activités sûres. »
Un autre facteur est aussi venu s’inviter dernièrement dans la contextualisation des risques : la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. L’affaire du financement de plusieurs organisations terroristes par le cimentier Lafarge, en vue de maintenir l’activité d’une usine en Syrie, fait actuellement scandale. Au niveau des personnels envoyés en mission dans le monde, les questions du respect des droits fondamentaux et de la discrimination peuvent être évoqués lors de l’examen d’une candidature au départ. Est-il ainsi raisonnable d’envoyer un membre de la communauté LGBT accompagné de ses proches travailler en Arabie saoudite ? L’autre versant du problème étant : n’est-il pas discriminatoire, de la part de l’entreprise, de prononcer un avis défavorable à l’expatriation de ce collaborateur en raison de ses orientations sexuelles ou de genre ? Vaste sujet.
Une fois que la mission s’est déroulée, il est toujours utile pour l’entreprise de veiller à ménager un sas de décompression et de resynchronisation à la vie locale pour le collaborateur revenant de l’étranger. Il est aussi utile de contrôler et nettoyer les appareils électroniques emportés. Un debriefing sur le déroulement de la mission fournira toujours un retour d’expérience intéressant.
Les Français à l’étranger en mission professionnelle – En chiffres
Population
Le nombre de Français établis hors de France et inscrits au registre consulaire était de 1 683 915 au 1er janvier 2023. L’inscription au registre n’étant pas obligatoire, le nombre de Français établis hors des frontières est estimé à 2,5 millions.
En détention
Au 31 décembre 2021, 1 507 Français étaient détenus ou retenus dans le monde :
- 43 % pour des infractions de droit commun, 7 % pour des affaires à caractère sexuel ;
- 26 % pour des infractions à la législation sur les stupéfiants ;
- pour 24 % de ces détentions, les motifs ne sont communiqués ni par les autorités locales, ni par les détenus.
Pays concernés
Sur les 193 pays membres de l’ONU, 12 pays regroupent 63 % des Français inscrits au registre consulaire. On y retrouve tous les grands pays voisins de la France, des pays aux forts liens historiques et culturels (Maroc, Algérie, Israël, Canada, Allemagne), ainsi que la première économie du monde, les États-Unis.
En 2021, l’Afrique du Nord et le Proche- Orient représentaient la 3e destination des Français en mission (15,2 %), après l’Europe (UE et non-UE) et les Amériques.
Papiers
15 000 laissez-passer sont délivrés chaque année par les consulats à des Français qui ont perdu ou se sont fait voler leurs documents de voyage, afin de leur permettre de rentrer en France.
Article extrait du n° 594 de Face au Risque : « Éviter les chutes » (juillet-août 2023).
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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