La prévention des chutes sur les chantiers du Grand Paris Express
Le Grand Paris Express est le nouveau métro automatique qui va relier les lieux de vie en banlieue, sans passer par Paris. Avec des travaux en surface mais aussi souterrains ou aériens, le risque de chute est bien évidemment une problématique sur les chantiers. Le point avec Bertrand Masselin, responsable de la sécurité et de la sûreté des chantiers pour la SGP.
Piloté par la Société du Grand Paris (SGP), maître d’ouvrage, le projet du Grand Paris Express consiste à réaliser environ 200 km de lignes nouvelles et 68 nouvelles gares. Ce qui représente actuellement environ 150 chantiers qu’il faut sécuriser et plus de 7 000 compagnons à encadrer et sensibiliser, notamment sur le risque de chutes.
Le Grand Paris Express est un projet hors norme. Quelles sont ses particularités d’un point de vue de la sécurité au travail et plus précisément du risque de chute ?
Bertrand Masselin. Nous sommes actuellement dans une phase de cohabitation, de multi-activités où de nombreux travaux se mêlent dans des volumes pour la plupart non isolés entre eux. Il faut prendre en compte les caractéristiques liées aux chantiers et la présence de compagnons d’entreprises voire de phases de travaux différentes. Il est donc primordial de traiter la sécurité de façon globale.
Avec l’avancement des travaux, nous nous retrouvons avec plusieurs types de chantiers, qui présentent chacun leur lot de risques :
- les chantiers de surface : quand on s’installe, qu’on commence à créer le génie civil, à creuser…
- les ouvrages profonds : entre 30 et 50 mètres de profondeur, pour la plupart encore à l’air libre ou au moins partiellement ;
- les chantiers souterrains : tunnels, gares au fur et à mesure de la construction avec fermeture des trémies, dalles intermédiaires…
- les chantiers aériens, à plusieurs dizaines de mètres de hauteur par exemple pour les viaducs.
Nous sommes donc bien évidemment confrontés à la problématique des chutes de plain-pied et de hauteur. Elles sont pour nous, comme au niveau national, la deuxième cause d’accident du travail. Pour les chutes de hauteur, nous prenons en compte les chutes de personnes, mais aussi les chutes de matériaux sur des personnes à l’aplomb, qui ont malheureusement été la cause d’un accident mortel.
La Société du Grand Paris a mis en place une procédure d’alerte systématique pour être informée immédiatement d’un événement sur un chantier.
Ici, le chantier de la gare Saint-Denis-Pleyel.
Quel est votre rôle dans la prévention du risque de chute en tant que maître d’ouvrage?
B. M. Nous avons une vision très pyramidale de la sécurité. À la base, il y a les entreprises qui réalisent les travaux. La méthodologie de travail, l’aménagement du poste, les équipements de protection individuelle : tout cela est du domaine strict de l’employeur.
Au-dessus, la coactivité et les risques importés et exportés sont gérés par une cinquantaine de coordonnateurs de sécurité et de protection de la santé (CSPS), prestataires qui travaillent sous la responsabilité de la Société du Grand Paris (SGP).
Le maître d’œuvre organise et dirige l’exécution des travaux sur un périmètre qui correspond à une phase de travaux. Il y a des maîtres d’œuvre infrastructures (génie civil, aménagement d’ouvrages) et des maîtres d’œuvre systèmes (travaux ferroviaires, aménagement de tunnels).
Encore au-dessus, se trouve le maître d’ouvrage, la SGP, qui a la vision globale du projet. Le but est de faire en sorte, par notre connaissance, d’éviter ce que j’appelle l’effet Tchernobyl : s’imaginer que la sécurité des entreprises s’arrête à leurs limites contractuelles. Pour avoir une sécurité efficace, il faut une unicité de doctrine pour que chacun aborde la sécurité de la même manière partout. La Société du Grand Paris a ainsi élaboré un référentiel de sécurité intitulé « Charte et référentiels sécurité des chantiers ». Il est imposé systématiquement dans tous les contrats conclus avec les entreprises de travaux et de prestations intellectuelles. Ce document, qui intègre des contraintes qui vont au-delà des dispositions réglementaires, est évolutif pour tenir compte de la réalité des travaux, des retours d’expérience issus des événements que l’on subit et des exercices réalisés avec les services de secours. La douzième version vient d’être notifiée aux entreprises.
Une équipe d’une quinzaine de personnes au sein de la maîtrise d’ouvrage gère ces sujets de manière transverse et les déclinent de manière opérationnelle sur chaque direction de ligne. Elles sont mes relais pour apporter leur expertise aux équipes opérationnelles, effectuer des visites de sécurité des chantiers…
Les chutes de plain-pied et de hauteur sont pour nous, comme au niveau national, la deuxième cause d’accident du travail.
Bertrand Masselin
Responsable de la sécurité et de la sûreté des chantiers pour la SGP
Que préconisez-vous pour prévenir les chutes de plain-pied ?
B. M. Nous savons qu’il y a beaucoup de chutes de plain-pied dans les zones d’approvisionnement logistique, notamment à cause de leur encombrement (obstacles au sol, vacuité des cheminements non respectée…), qui génèrent des traumatismes des membres inférieurs. C’est un sujet sur lequel on insiste beaucoup en termes d’organisation, de gestion des entreposages, du stockage, de la manutention : nous demandons des zones organisées, rangées, accessibles. Et préconisons l’utilisation de quais de déchargement pour faciliter l’accès aux camions.
Les nombreux cheminements piétons, horizontaux ou verticaux, sont également des situations à risques. Nous demandons qu’ils soient aménagés avec des dispositifs pérennes fiables, tels que des escalib par exemple, des passerelles de cheminements…, qu’ils disposent d’un balisage efficace et surtout, qu’ils préviennent tout risque de heurt avec les engins en circulation. Il faut privilégier des cheminements continus, unilatéraux, dotés d’une signalétique et d’un éclairage de sécurité énergétiquement secouru, assainis, praticables par tout temps et de faible déclivité (5 % max). Les entreprises qui assurent la gestion des sites de travaux s’assurent de la bonne mise en œuvre de ces dispositions et du maintien permanent des conditions d’accessibilité, de vacuité et de disponibilité.
« Pour prévenir les chutes de plain-pied, nous demandons des zones organisées, rangées, accessibles. Et préconisons l’utilisation de quais de déchargement pour faciliter l’accès aux camions. »
Que dit la charte concernant les chutes de hauteur ?
B. M. Concernant la protection contre les chutes de hauteur, comme dans les autres domaines, nous insistons d’abord sur la prévalence des protections collectives par rapport aux protections individuelles. Ensuite, notre vigilance porte principalement sur :
- l’utilisation de moyens adaptés pour les postes de travail en hauteur (nacelles, échafaudages…), à l’exclusion de moyens d’accès tels qu’escabeaux, échelles et marchepieds ;
- la mise en place de moyens de protection efficaces tels que des garde-corps ou des rings et non pas, comme on peut le trouver parfois, de simples piquets avec de la rubalise ou des grillages souples. Dans ce cas, il ne s’agit que de moyens de signalisation (balisage) qui imposent un éloignement minimum de deux mètres (par rapport aux bordures d’un talus par exemple) mais n’assurent aucune protection contre les chutes ;
- la protection des trémies, nombreuses quand on fait des ouvrages sous-terrain. Mises en place pour des besoins d’approvisionnement logistique vertical ou pour la suite des travaux (gaines de fluides, d’ascenseur, atrium…), elles peuvent être protégées par des garde-corps ou obturées via la pose d’ouvrages provisoires de type platelage, adaptés aux engins ou piétons selon les cas. Suite à un accident mortel sur l’un des chantiers, nous demandons notamment que ces platelages soient fixés par des dispositifs rendus visibles en toutes circonstances (avec de la peinture par exemple), pour avoir la certitude que les fixations sont bien en place. S’agissant d’ouvrages de première catégorie (en lien avec la sécurité), le chargé d’ouvrages provisoires de l’entreprise doit s’assurer que ces dispositifs sont correctement en place et qu’ils assurent leur rôle de protection collective. Parce que nous avons identifié que ce sujet d’importance méritait une vigilance particulière de la part de l’ensemble des acteurs et une plus grande mise en exergue, cette notion de gestion et suivi d’ouvrages provisoires a fait l’objet d’une disposition nouvelle lors de la mise à jour de notre référentiel, au mois de mai dernier.
Vous nous disiez prendre en compte également les chutes de matériaux. Quelles sont vos recommandations ?
B. M. Cela fait également partie des points de vigilance que l’on rappelle dans notre référentiel. Les garde-corps doivent disposer de plinthes conformes à l’article R.4323‑59 du code du travail, de manière à empêcher les chutes d’objets ou de matériaux. Et nous insistons sur la stricte interdiction de toutes tâches superposées. Quelles que soient les configurations, il faut s’assurer qu’il n’y ait jamais une tâche réalisée sous une autre dès lors que les isolements ne sont pas respectés ou que les protections collectives ne sont pas en place. Ces mesures doivent être finement anticipées lors des réunions préparatoires de coactivité, avec le CSPS notamment.
Concernant la chute des matériaux, nous insistons sur la stricte interdiction de toutes tâches superposées.
Bertrand Masselin
Responsable de la sécurité et de la sûreté des chantiers pour la SGP
Comment vérifiez-vous que ces mesures de sécurité sont bien mises en place ?
B. M. La sécurité est l’affaire de tous. Nous concernant, les équipes opérationnelles des directions de projets sont formées pour qu’elles puissent apprécier de manière autonome la sécurité et visitent régulièrement leurs chantiers, tout comme les CSPS. Nous avons également donné autorité aux équipes de la maîtrise d’ouvrage et aux CSPS de pouvoir suspendre les travaux dès qu’ils constatent une situation dangereuse, sans attendre qu’elle soit « grave et imminente ». En 2022, environ 200 arrêts temporaires de travaux ont été recensés.
La sécurité est également contrôlée par l’Inspection du travail et la Cramif, tandis que la mise en œuvre de notre référentiel fait l’objet de campagnes annuelles d’audits réalisés par Afnor.
Vous avez annoncé en mai 2023 un renforcement des mesures de sécurité sur les chantiers. Cela concerne-t-il les chutes ?
B. M. Indirectement oui. L’une des mesures rend par exemple obligatoire la détention du Passeport sécurité intérim (Pasi) BTP pour les intérimaires, qui représentent un quart des compagnons et la moitié des victimes d’accidents du travail sur le Grand Paris. Ce dispositif consiste en une attestation délivrée aux intérimaires après une formation de deux jours qui leur permet d’avoir la capacité d’analyser leur poste de travail, d’appréhender les conditions de sécurité et les risques en présence, parmi lesquels le risque de chute notamment. Nous allons également mettre en place un conseil de la sécurité des chantiers. Composé d’experts et d’indépendants, il aura pour mission d’analyser l’accidentologie, d’examiner les mesures envisagées et de faire des propositions en lien avec les risques en présence.
Les nombreux cheminements piétons, horizontaux et verticaux, demandent une vigilance particulière. Les entreprises en charge de la gestion des sites de travaux doivent s’assurer de leur sécurité et du maintien permanent des conditions d’accessibilité et de vacuité.
Ici, livraison et installation de huit escaliers mécaniques sur le chantier de la gare Villejuif-Gustave Roussy.
Le partage d’informations est primordial sur un tel chantier…
B. M. Je crois beaucoup au partage du retour d’expérience pour éviter que les accidents ne se reproduisent. Il est très compliqué de savoir ce qui se passe sur le terrain et on sait que tout ne nous remonte pas. Mais en tant que maître d’ouvrage, nous nous intéressons notamment à l’analyse des presque accidents à haut potentiel de gravité et nous menons un réel travail pédagogique pour inciter les entreprises à nous les remonter.
Lors de la survenue d’un événement et avant même un retour d’expérience complet, si je vois qu’il y a un élément causal qui doit être appréhendé collectivement sans attendre, j’envoie une alerte de sécurité à tout l’écosystème du Grand Paris : groupements d’entreprises, maîtres d’œuvre, CSPS… Il s’agit, de manière anonyme, d’exposer les faits et de formuler immédiatement des premières recommandations. Par exemple, récemment, un échafaudage en bordure d’un tablier de viaduc, en cours de montage avec deux ouvriers dedans, a basculé dans le vide parce qu’il était insuffisamment lesté. Heureusement, il est venu prendre appui sur le tablier et est resté en équilibre instable, ce qui a permis aux deux ouvriers de sortir indemnes. Une grue a ensuite permis de le remettre d’aplomb puis d’en finaliser correctement le montage. L’échafaudage n’a pas chuté, les collaborateurs non plus, mais potentiellement, cela aurait pu être extrêmement grave. La cause principale est un défaut de contrôle de l’adéquation qualitative et quantitative des contrepoids mis en œuvre. J’ai donc adressé un message d’alerte afin d’appeler à la vigilance sur des situations similaires. C’est en s’efforçant de travailler le plus en amont possible sur les causes racines des accidents qu’on fait en sorte qu’ils diminuent.
Article extrait du n° 594 de Face au Risque : « Éviter les chutes » (juillet-août 2023).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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