Chaussures de sécurité : des EPI qui marchent à petit pas
Le marché de la protection du pied se porte plutôt bien : si les ventes en volume ne progressent plus vraiment, elles augmentent en valeur en raison d’une demande se portant davantage sur des modèles plus confortables et sophistiqués.
Un marché en progression
Secteur phare de l’univers des équipements de protection individuelle (EPI), les chaussures de sécurité sont utilisées dans tous les secteurs économiques : depuis le BTP jusqu’à la restauration en passant par la logistique, l’énergie, les industries à risque, l’artisanat ou l’automobile.
Tous ces segments de marché ont néanmoins un point commun : une montée en gamme des produits.
« L’offre est de plus en plus qualitative : les utilisateurs sont à la recherche de la quadrature du cercle avec des chaussures légères, résistantes, belles… et pas chères », nous déclare Jean-Pierre Boutonnet, président de la commission technique « Chaussures de sécurité » du syndicat patronal Synamap et par ailleurs directeur commercial en charge de la France chez le fabricant spécialisé Lemaitre Sécurité.
C’est grâce à cette évolution que le marché est en progression, car les ventes en volume ont plutôt tendance à stagner. Elles ont atteint près de 700 M€ en 2022, selon les études menées par En Toute Sécurité et représentent ainsi entre 20 % et 25 % des ventes totales d’EPI selon les années.
Répartition des ventes d’EPI
par type de produits en 2022
Moins de poids et plus de design
La conjoncture économique actuelle et l’évolution globale de l’emploi ne sont pourtant pas très propices à leur développement. Néanmoins, une prise de conscience des préventeurs stimule la demande vers des modèles plus performants et mieux adaptés aux différents risques (chaleur, perforation, électricité, etc.).
« Depuis une vingtaine d’années, l’utilisateur a deux préoccupations : le poids et l’apparence. Cette tendance va même jusqu’à des chaussures personnalisées », souligne Jean-Pierre Boutonnet. Les couleurs peuvent être variables, tandis que les femmes sont considérées comme plus attentives au design des modèles. Certaines marques proposent des ébauches de semelles – un peu comme des ébauches de clé – qui sont ensuite adaptées à la personne après le scan de ses pieds et fabriquées sur une imprimante 3D.
Le niveau de la qualité se mesure à la nature des composants, comme la semelle à doublure thermique à mémoire de forme, une membrane imperméable, respirante et antibactérienne, une fermeture à glissière étanche, du métal amagnétique, etc. « L’objectif est de permettre à l’utilisateur d’être plus mobile et plus habile. Avec les impératifs de confort, le marché se rapproche de plus en plus de celui de la chaussure de sport », explique Nicolas Bialy, président du Synamap.
Quant aux métiers particulièrement pénibles ou dangereux comme la menuiserie, ils sont preneurs de modèles à la solidité encore davantage renforcée.
« Une chaussure de sécurité est désormais considérée comme intégrant une réelle valeur ajoutée. Il s’opère donc une certaine défiance vis-à-vis des produits bas de gamme. »
Nicolas Bialy, président du Synamap.
« Une chaussure de sécurité est désormais considérée comme intégrant une réelle valeur ajoutée. Il s’opère donc une certaine défiance vis-à-vis des produits bas de gamme », estime Nicolas Bialy. Les professionnels de l’intérim sont plutôt consommateurs de produits basiques, car leur utilisation est souvent de courte durée. Ces modèles d’entrée de gamme, commercialisés à partir de 20 €HT quand ils sont commandés en grand nombre, peuvent représenter jusqu’à un quart des ventes totales. Le cœur du marché se situe autour de 35 €HT (prix distributeur), mais il n’est pas rare de dépasser les 100 €HT pour des chaussures assez sophistiquées.
« On peut faire des économies avec des produits plus onéreux, car ils sont plus qualitatifs et ne nécessitent pas qu’on les remplace si souvent que du bas de gamme », remarque Jean-Pierre Boutonnet.
Par ailleurs, la demande devient plus forte sur certains segments de clientèle, comme les collectivités territoriales, jusqu’à une période récente assez peu regardantes sur ce sujet de sécurité au travail. De même, les métiers de second œuvre se convertissent progressivement à la chaussure de sécurité, alors que cet équipement est devenu obligatoire dans les ateliers des lycées professionnels.
Débuts timides des équipements connectés
L’avenir de la profession réside probablement dans les modèles connectés. Une question qui taraude tout le secteur des EPI : des vêtements aux casques et donc aussi les chaussures de sécurité.
Le sujet est complexe, car le prix est aujourd’hui très élevé pour une paire de chaussures : plus de 300 €. En fait, il faut intégrer un smartphone sans écran dans la chaussure, avec son système de recharge, sa carte Sim – ce qui implique souvent une modification physique du modèle et donc une nouvelle certification – sans oublier l’abonnement pour la transmission des informations. Cette solution permet de géolocaliser la personne en cas de comportement anormal (chute, incursion dans une zone dangereuse, par exemple) et de communiquer avec elle lorsqu’une alerte se déclenche.
« C’est une alternative très intéressante que la profession examine attentivement. Néanmoins, ces équipements restent onéreux, si bien qu’ils sont pour l’instant réservés aux travailleurs isolés et employés comme une sorte d’appareil de type PTI amélioré », explique le président du Synamap.
« Il existe déjà ce genre d’équipement de communication que l’on accroche à sa ceinture. Si on peut oublier de porter sa ceinture, on ne peut pas oublier ses chaussures : c’est donc une garantie d’utilisation ! », complète de son côté le président de la commission technique du Synamap. « La chaussure connectée est une technologie d’avenir, mais son adoption à grande échelle prendra du temps, notamment à cause des contraintes économiques », ajoute-t-il.
Le recyclage
C’est une autre problématique pour le futur. Difficile d’aboutir à un résultat probant quand les chaussures sont souillées par des produits chimiques. Le fabricant Lemaitre Sécurité pense que la solution doit être trouvée dès la conception du modèle : il vient de lancer sa première gamme de chaussures avec le label Safetygreen, permettant de recycler 35 % de matières supplémentaires, notamment en intégrant de la fibre de bambou et des bouteilles en PET.
« La tendance à la montée en gamme incite les fabricants d’EPI à orienter leur production localement. D’ailleurs, dans les appels d’offres lancés par certains grands comptes, la fabrication en France compte pour 10 % de la note finale », explique Nicolas Bialy.
La course à la taille critique
Cependant, la concurrence est assez rude, avec la présence d’un plus grand nombre d’acteurs, pointe Jean- Pierre Boutonnet.
Les EPI sont une profession qui se mondialise à grande vitesse, quelle que soit la ligne de produits concernée et les chaussures de sécurité n’échappent pas à la règle. La bataille est intense entre les géants américains comme Honeywell, les groupes européens comme le britannique Bunzl et l’italien U-Power qui a racheté le français Jallatte, sans oublier des firmes asiatiques aux objectifs de conquête de marché ambitieux.
Le secteur des EPI se mondialise à grande vitesse, les chaussures de sécurité n’échappent pas à la règle et la France se défend plutôt bien.
Pour sa part, la France se défend plutôt bien. Une exception à souligner alors que ce n’est pas toujours le cas dans d’autres créneaux des EPI ou de la sécurité en général. On trouve des acteurs de taille différente. À côté de spécialistes comme l’alsacien Lemaitre Sécurité, créé en 1974 et racheté en 2009 par l’indien Rahman, ou Parade Sécurité, créée quatre ans plus tard et appartenant au groupe Eram, on trouve deux généralistes des EPI de taille plus conséquente : Delta Plus et Groupe RG.
Delta Plus, créé en 1977 et coté en bourse, connaît une croissance extrêmement rapide à coups d’acquisitions – une approche qui figure visiblement au coeur de sa stratégie –, notamment dans la chaussure de sécurité.
Au cours des trois dernières années, il a notamment racheté les activités de Netco Safety en France, puis l’italien Boots Company en 2020, de même que le fabricant italien Maspica et le mexicain Hunter Manufactura en 2022. Sa stratégie de montée en gamme s’illustre notamment par le rachat de Maspica qui fabrique un million de paires par an, dont 80 % sous la marque Sixton Peak, entièrement produits dans ses usines.
Avec les 38 M€ apportés par Maspica, la chaussure de sécurité devient le premier segment de Delta Plus avec 35 % de ses ventes sur un total de 420 M€ en 2022. La fabrication en interne est un leitmotiv dans cette entreprise basée à Apt (Vaucluse) avec un taux de 80 % dans la chaussure, sans compter 200 machines et équipements de test.
Le profil de Groupe RG est légèrement différent, puisqu’il s’agit d’un distributeur spécialisé dans les EPI, appuyé depuis 2021 par le fonds d’investissement Ardian Expansion, aux côtés de Latour Capital.
Créé en 1987, il affiche l’objectif de doubler de taille en quatre ou cinq ans. Lui aussi met l’accent sur la croissance externe : pas moins de dix acquisitions en trois ans. Il parvient à plus de 330 M€ en 2022, dont 30 % à l’international. Dans la chaussure de sécurité, où il est présent depuis sa naissance, il se positionne comme distributeur fabricant, avec la marque Ergos.
Ces deux mastodontes, dont la stratégie semble prometteuse, ne doivent pas faire oublier les difficultés de start-up qui ne parviennent pas à décoller. Zhor Tech, concepteur de chaussures de sécurité connectées, accuse une perte de 2,10 M€ pour des ventes de 0,30 M€. Quant à Wercup, elle aussi créée en 2014 sur un créneau similaire, elle a été radiée en décembre 2022.
Les acteurs de la chaussure de sécurité ne sont pas à l’abri d’un faux pas !
Article extrait du n° 593 de Face au Risque : « Évacuation et mise à l’abri » (juin 2023).
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