Start-up de la sécurité : un écosystème fragile
Malgré une grande panoplie d’incitations gouvernementales, les obstacles sont nombreux pour qu’une start-up parvienne à maturité et au succès commercial. Dans la sécurité, les vraies réussites sont encore plus rares.
Courtiser les start-up
C’est devenu à la mode, tant de la part des pouvoirs publics que des grands groupes ou encore des fonds d’investissement. Rien de plus valorisant que de démontrer que l’on soutient ces jeunes pousses. Cela signifie un certain dynamisme, une image rajeunie, une grande créativité… et permet parfois de décrocher le jackpot.
« Les multinationales n’ont plus du tout une attitude condescendante vis-à-vis des start-up comme cela a pu être le cas dans le passé. Au contraire, elles les regardent aujourd’hui avec convoitise », nous affirme Philippe Leclerc, responsable des programmes sûreté et sécurité de Safe Cluster, un pôle de compétences qui réunit environ 500 adhérents.
L’exemple américain
Dès les années 1990, la Silicon Valley californienne a popularisé le concept de start-up pour ce qui est de l’univers informatique. Il aura fallu les attentats de septembre 2001 aux États-Unis pour stimuler les initiatives dans la sécurité. Et depuis une dizaine d’années, on assiste à la prolifération de petites structures innovantes outre-Atlantique, parfois soutenues par les plus hautes autorités.
Le meilleur exemple à ce titre est la création de Palantir, spécialiste du big data pour les applications de sécurité, né en 2003 avec l’appui d’In‑Q‑Tel, le fonds d’investissement de la CIA. L’agence de renseignement a en effet pressenti qu’il ne fallait pas passer à côté de cette opportunité dans un domaine aussi stratégique que la gestion globale d’informations sensibles. Pari gagné : après des débuts difficiles, Palantir est aujourd’hui le leader mondial de ce créneau avec un chiffre d’affaires de 1,9 Mrd$ en 2022. Devenu rentable, il réalise 60 % de ses ventes avec des agences de renseignement, les forces régaliennes… y compris les services de renseignement français.
Un spécialiste français du renseignement
Un tel risque pour la souveraineté française a vite été analysé par les pouvoirs publics qui ont cherché une alternative nationale. Ils semblent l’avoir trouvé avec Preligens, une start-up parisienne créée en 2016 spécialisée dans le renseignement militaire par intelligence artificielle (IA). Dès l’année suivante, elle a travaillé pour la Direction générale de l’armement (DGA).
En 2020, le fonds d’investissement du ministère de la Défense a participé à une levée de fonds et la DGA a signé deux ans plus tard un contrat de 240 M€ pour que la start-up réalise une plateforme de traitement massif de données pour détecter et reconnaître, grâce à l’IA, des objets sur un terrain de conflit : avions civils ou militaires, types de véhicules, campements, etc.
Le graal de l’intelligence artificielle
Les exemples emblématiques de Palantir et Preligens dans des activités ultra-sensibles ne doivent pas masquer la multitude de jeunes pousses opérant dans des domaines de la sécurité plus classiques comme la vidéosurveillance, les drones ou même la sécurité incendie. Tous les secteurs de la sécurité sont en effet irrigués par des technologies de pointe, notamment en utilisant l’intelligence artificielle.
L’IA est le graal dans la sécurité, comme d’ailleurs dans toutes les autres activités économiques. On en trouve par exemple chez Artifeel, une start-up créée en 2021 qui propose une centrale d’alarme
radicalement différente dans sa conception : activée en permanence, elle alerte en cas de sollicitation intrusive, alors que les systèmes classiques alertent et se déclenchent en cas de sollicitation. Fin 2021, Sotel, un des principaux télésurveilleurs, a pris une participation dans son capital : « Nous avons perçu les importantes opportunités commerciales offertes par cette innovation disruptive », explique Vincent Andrin, PDG de Sotel.
On trouve aussi de l’IA chez Labcoor, créée en 2018, qui a conçu un système mobile de filtrage des personnes pour les sites sensibles. L’IA opère aussi des incursions dans les EPI avec des vêtements ou des chaussures connectées qui peuvent analyser le comportement anormal de leur utilisateur.
Elle est devenue la règle dans la vidéosurveillance pour détecter des comportements suspects ou des objets dangereux, de même que dans la reconnaissance faciale. C’est également le cas dans les drones de surveillance.
Les start-up ont plutôt tendance à proliférer dans les secteurs très morcelés comme les drones, la sécurité électronique ou la cybersécurité, mais peuvent aussi jouer un rôle d’aiguillon dans des activités plus concentrées comme la sécurité incendie ou les EPI. Créée en 2016, Shark Robotics propose par exemple de transformer la lutte contre les incendies avec ses robots capables de s’attaquer directement au point chaud d’un feu. Au début de cette année, la société vient de lever 10 M€ pour accélérer sa R&D et son développement commercial, déjà bien avancés.
2021 qui propose une centrale d’alarme radicalement différente dans sa conception : activée en permanence, elle alerte en cas de sollicitation intrusive, alors que les systèmes classiques alertent et se déclenchent en cas de sollicitation. Fin 2021, Sotel, un des principaux télésurveilleurs, a pris une participation dans son capital : « Nous avons perçu les importantes opportunités commerciales offertes par cette innovation disruptive », explique Vincent Andrin, PDG de Sotel.
Des faiblesses récurrentes
« Une bonne idée ne suffit pas. Il faut la mettre sur le marché au bon moment, mais dans un temps court, sous peine de se faire prendre de vitesse par des concurrents. »
Mickaël Wajnglas, secrétaire général de Spac.
Même avec une technologie de pointe et constituant une rupture, la réussite n’est pas automatique. Loin de là. « Une innovation n’est pas forcément le facteur clé de succès. Une bonne idée ne suffit pas. Il faut la mettre sur le marché au bon moment, mais dans un temps court, sous peine de se faire prendre de vitesse par des concurrents. Il est également impératif de réunir des fonds pour un montant suffisant », souligne Mickaël Wajnglas, secrétaire général de Spac, l’alliance d’une quarantaine d’entreprises de sécurité high-tech créée en 2020 pour les accompagner dans leur développement.
Il faut également tenir dans la durée : un an semble le délai minimal entre la mise au point finale d’un produit et son lancement effectif sur le marché. Le financement du projet, son industrialisation, le positionnement marketing, les réseaux de distribution, le recrutement des collaborateurs : autant de problèmes à résoudre et qui nécessitent de la patience et de l’énergie.
Le challenge est d’autant plus grand pour les start-up fondées par un ingénieur : celui-ci peut se contenter de concevoir une solution technologique mais n’est pas forcément très motivé par l’aspect commercial. Une règle absolue : il est indispensable de posséder une mentalité d’entrepreneur.
Dans le domaine de la sécurité, les start-up se développent plutôt dans les secteurs des drones, de la sécurité électronique ou de la cybersécurité, mais elles existent aussi dans ceux de la sécurité incendie ou des EPI.
Au total, un tiers des start-up parviennent à assurer leur survie en levant des fonds, selon une étude d’En Toute Sécurité, tandis que 10 % font faillite et que le sort des autres n’est pas encore scellé. Le taux de mortalité est particulièrement élevé sur un marché immature comme celui des drones.
« À leurs débuts, les jeunes pousses sont toujours fragiles, car elles manquent d’expérience. L’obstacle le plus important à franchir, c’est de rompre leur isolement », analyse Philippe Leclerc du Pôle Safe, qui rassemble
justement des grands groupes, des start-up, des universités, des centres de recherche, des donneurs d’ordres, etc. Un pôle de compétences permet ainsi de mieux identifier les attentes du marché, d’obtenir des conseils, des mises en relation, de connaître le cadre juridique, d’analyser l’acceptabilité sociale de l’innovation. Il n’est par exemple pas évident de lancer une application qui pourrait être considérée comme trop intrusive dans la vie privée.
Il est également important pour la start-up d’avoir une approche intégrant la notion de sécurité globale. « Une tendance forte se dégage depuis peu : la combinaison de la sécurité des systèmes physiques et digitaux, accompagnée de la traçabilité des informations sensibles », affirme Mickaël Wajnglas.
Textes législatifs à la traîne
« On possède des innovations créatives sans avoir le cadre légal nécessaire. Dans certains domaines, la France risque de prendre du retard par rapport à d’autres pays. »
Philippe Leclerc de Safe Cluster.
Le chemin vers la réussite est décidemment semé d’embuches. « Une des lacunes de l’écosystème de la sécurité, c’est le manque de tests grandeur nature et dans la durée afin de juger de la pertinence et de la viabilité d’une solution », affirme le responsable de Safe Cluster. Quelques expériences sont menées dans l’optique de la préparation des Jeux olympiques, mais cela reste encore très limité et le cadre juridique n’est pas très clair.
Ce dernier aspect semble le point noir de la France. « Les textes législatifs n’évoluent pas aussi vite que les technologies et ils sont souvent rédigés par des personnes qui sont en dehors de la réalité du terrain. L’inertie est forte, de sorte qu’on possède des innovations créatives sans avoir le cadre légal nécessaire. Dans certains domaines, la France risque de prendre du retard par rapport à d’autres pays », affirme Philippe Leclerc de Safe Cluster.
Et de pointer que l’industrie de la sécurité n’est pas une priorité du plan France 2030 lancé par le Gouvernement puisqu’il privilégie des secteurs comme l’énergie, la mobilité, la santé, l’alimentation ou le spatial parmi les 2 000 projets accompagnés. En fait, l’enjeu ne se situe plus au niveau national, mais plutôt à l’échelle de l’Europe. La guerre technologique est en effet devenue mondiale, avec les États-Unis et la Chine en embuscade.
Baptisé Icte, un fonds européen doté de 3,75 Mds€ a été lancé en début d’année avec l’ambition d’arriver à 10 Mds€ d’ici trois ans. L’objectif est de financer des opérations à hauteur de 200 à 300 M€ afin de créer des leaders internationaux. À son échelle, Safe Cluster est également engagé dans cette course internationale : il travaille avec des pôles de compétences équivalents implantés dans d’autres pays.
Article extrait du n° 591 de Face au Risque : « Analyser les risques » (avril 2023).
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