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Fuite de mercaptan à Rouen, il y a 10 ans
Le 21 janvier 2013, une odeur nauséabonde se répand dans l’usine Seveso Lubrizol à Rouen (Seine-Maritime). Elle s’installe dans la ville puis dans la région et, à la faveur des vents tournants, arrive bientôt à Paris et dans le sud de l’Angleterre, inquiétant les habitants qui saturent d’appels les centres des pompiers.
Vers 10 h ce lundi 21 janvier 2013, une forte odeur nauséabonde se répand dans l’usine Lubrizol de Rouen (Seine-Maritime) puis dans le voisinage de l’installation classée Seveso seuil haut. Celle-ci produit des additifs pour les huiles et les carburants.
Les premières plaintes parviennent à l’exploitant qui déclenche son POI (plan d’opération interne) et prévient la préfecture et la Dreal.
À la faveur du vent qui tourne, l’odeur, apparentée à celle du gaz, se propage dans l’agglomération normande et inquiète la population indisposée. Les pompiers sont saturés d’appels.
En réalité cette odeur fétide est celle du mercaptan, un composé organique utilisé pour odoriser le gaz de ville – qui lui est inodore – dans le but de repérer les fuites. Si les mairies et les médias locaux sont prévenus par la préfecture à 13 h, celle-ci indique qu’aucun dispositif spécifique n’est nécessaire et les populations ne sont pas confinées.
Ce n’est que le lendemain, à 10 h, que le préfet déclenche la cellule d’information aux populations, puis le PPI (plan particulier d’intervention), dispositif destiné à faire face aux conséquences d’un accident industriel sur la population et l’environnement. Il faut dire que dans la nuit, c’est au tour des Parisiens de s’inquiéter puis, bientôt, des Britanniques puisque le vent porte l’odeur incommodante jusque dans le sud de l’Angleterre. C’est alors que les ministères de l’Intérieur et du Développement durable se mobilisent : la fuite de mercaptan ne présente pas de risques pour la santé, martèlent-ils. « Il peut y avoir des effets sanitaires légers, gênes, maux de tête ou symptômes passagers, mais il n’y a pas de danger », affirme Delphine Batho, ministre du Développement durable, qui se déplace à Rouen dans la soirée.
Des erreurs humaines et organisationnelles
Trois jours auparavant, le vendredi 18 janvier, chez Lubrizol, un opérateur se trompe de bouton sur un tableau de commande. Il démarre l’agitateur d’un bac servant à la fabrication d’un additif au lieu de mettre en route une pompe. De retour en salle de contrôle, il constate son erreur et retourne démarrer la pompe mais il oublie d’éteindre l’agitateur qui « reste en fonctionnement dans le bac vide », détaille le Barpi dans sa fiche Aria n° 43616. L’agitateur fonctionne tout le week-end sans que personne ne détecte l’anomalie. Et c’est l’élévation anormale de la température dans le bac qui est à l’origine de la fuite de mercaptan.
Ce n’est donc que le lundi matin, lorsque les odeurs se répandent, que l’alerte est donnée dans l’usine. Plusieurs tentatives pour neutraliser les émanations échouent. Enfin, le mercredi après-midi, les odeurs diminuant, « les employés des sites voisins sont autorisés à reprendre leur travail », indique le Barpi. La fin des opérations de neutralisation et la levée du PPI ont lieu le… 6 février.
Une communication de crise manquée
La préfecture a estimé que la concentration en gaz était suffisamment basse pour ne pas déclencher l’alerte et ce n’est que tardivement que les riverains ont été avertis. Pourtant, l’air était irrespirable. Les services d’urgence de Rouen puis de la région parisienne ont reçu plus de 12 000 appels.
« En Grande-Bretagne, malgré la distance, les pompiers ont immédiatement donné des consignes, invitant les habitants à laisser portes et fenêtres fermées en raison du nuage de gaz », avançait Michèle Rivasi, députée européenne d’Europe Écologie-Les Verts, dans les colonnes de 20 Minutes.
Les suites de l’événement
Lubrizol tire des enseignements techniques et organisationnels de cet accident.
De son côté, Delphine Batho présente le 11 avril 2013 un plan de mobilisation pour la prévention des risques technologiques. Il prévoit la mise en place d’une force d’intervention rapide qui permettra de réaliser des mesures de rejets accidentels par des laboratoires indépendants, de mutualiser les ressources des industriels et de mobiliser immédiatement une capacité d’expertise du ministère en matière de risque technologique.
La ministre du Développement durable veut aussi accélérer la mise en place des PPRT (plans de prévention des risques technologiques). Créés par la loi du 30 juillet 2003 à la suite de la catastrophe d’AZF, leur objectif est d’améliorer la coexistence des activités des sites industriels avec les riverains. À Rouen, il n’était toujours pas instauré et sur le territoire national, seuls 56 % des PPRT étaient alors approuvés. L’objectif de la ministre était d’obtenir 95 % des plans approuvés à fin 2014.
Le procès
Le 3 avril 2014, Lubrizol France est condamnée par le tribunal de police de Rouen à 4 000 € d’amende. Les juges ont estimé qu’il n’y avait pas eu de risque majeur mais seulement une nuisance olfactive temporaire. Moins de 20 consultations spécifiques ont été effectués à Rouen pour des symptômes de nausées, maux de tête et irritations des voies respiratoires.
L’association France Nature Environnement (FNE), qui s’était constituée partie civile, a obtenu 1 € symbolique ainsi que le remboursement de ses frais de justice.
Article extrait du n° 588 de Face au Risque : « Panorama des risques 2022-2023 » (décembre 2022 – janvier 2023).
Martine Porez – Journaliste
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