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À Londres, le feu épate la galerie
Le 1er avril 2015, en fin d’après-midi, des fumées s’échappent des regards d’égout de Kingsway, avenue très animée du cœur de Londres. Les fumées s’épaississent, bientôt mêlées de flammes. C’est le début d’un incendie de galerie technique à effet domino qui perturbe plusieurs jours la vie économique de ce quartier.
C’est à 12 h 39 le mercredi 1er avril 2015 à Londres que les secours sont alertés sur Kingsway, face au bâtiment de l’Autorité de l’aviation civile (AAC). Les regards et grilles jalonnant le trottoir distillent au milieu des nombreux passants une fumée de plus en plus épaisse. Les pompiers effectuent des reconnaissances visant à localiser et identifier le sinistre, tandis que des renforts sont demandés.
Devant l’importance grandissante de la fumée qui noie bientôt l’avenue dans un brouillard irritant et sombre, il est décidé de stopper la circulation, d’établir un premier périmètre de sécurité de 25 m qui est rapidement élargi et d’évacuer les immeubles environnants. Cette dernière mesure entraîne la fermeture d’une centaine d’entreprises, de sept théâtres, d’un palais de justice et d’une station de métro, impactant environ 5 000 personnes.
Une fumée dense inonde l’avenue Kingsway, la circulation est arrêtée, un périmètre de sécurité est établi et l’évacuation des immeubles environnants est en cours.
Le feu, qui ravage une galerie technique courant sous la chaussée, est initialement alimenté par des faisceaux de câbles électriques et autres réseaux. Au cours de sa montée en puissance, il détériore une conduite de gaz de 200 mm environ, entraînant des fuites enflammées s’ajoutant au feu d’origine électrique. L’avancée du feu sous la chaussée est matérialisée par de nouveaux panaches s’échappant des grilles tout au long de l’avenue, puis de flammes.
Les services publics concernés, gaz et électricité, s’activent à procéder aux coupures d’énergies. Mais la complexité du réseau de distribution souterrain ne leur permet pas, quatre heures après le début du sinistre, d’y parvenir totalement. Pour les pompiers, la problématique est double. Outre les difficultés traditionnelles à engager des équipes dans une galerie souterraine devenue un vrai four, ils ne peuvent attaquer le feu qu’une fois le courant coupé.
Quant au gaz, il faut surtout veiller à ne pas souffler les torchères qui fusent maintenant aux angles des rues encadrant l’immeuble de l’AAC. Des lances sont postées en attente auprès des grilles d’accès, tandis que deux autres, dont une lance-canon, protègent les façades environnantes (7 étages) de la torchère la plus menaçante.
La nuit qui tombe révèle un quartier fantomatique, plongé dans l’obscurité et dans un brouillard de fumée piquante, privé de toute activité, seulement parsemé des multiples éclats bleus des engins de secours postés dans les rues.
Il faut attendre 21 h pour que le feu, combattu essentiellement depuis les grilles d’accès, soit sous contrôle, c’est-à-dire qu’il ne s’étende plus latéralement, bien que le gaz ne soit toujours pas coupé.
L’attaque du feu de la galerie sinistrée, surchauffée, emplie d’un amalgame de chemins de câbles effondrés, dure toute la nuit. C’est vers 10 h le jeudi que le feu est déclaré éteint. 70 pompiers ont été engagés au plus fort de l’intervention.
Le feu d’origine électrique s’attaque ensuite à une conduite de gaz entraînant des fuites enflammées.
Et une fois l’incendie éteint…
Si isoler l’alimentation électrique et le gaz de tout un quartier n’est pas aisé, la remise en service l’est tout autant. Il faut d’abord procéder à des reconnaissances minutieuses des sous-sols environnants, à des relevés de monoxyde de carbone et de concentration en gaz, avant de permettre le retour des occupants.
Des groupes électrogènes mobiles branchés sur le réseau permettent un lent retour à la normale, tandis que des dérivations sont réalisées à partir du réseau intact.
Le samedi, des investigations sont conduites dans la galerie sinistrée pour évaluer les dommages structurels, et l’éventuelle fragilité de la chaussée.
Tout le week-end de Pâques, les investigations dans la galerie technique, ses liaisons vers les sous-sols des immeubles et les sous-sols eux-mêmes sont soigneusement inspectés par les services de secours et les opérateurs avant que les bâtiments ne soient réintégrés et que le quartier reprenne vie.
Les feux du 21e siècle
Nous avions appelé « feu du 3e millénaire » le feu de galerie technique à Paris XIIIe (voir encadré ci-dessus), tant il présageait ces feux d’équipements souterrains complexes. Nous sommes aujourd’hui rejoints par les pompiers londoniens qui décrivent le feu de Kingsway comme un « feu du 21e siècle » en raison de la multiplication, dans les grands projets urbains et architecturaux, de galeries véhiculant énergies et réseaux de communication.
La galerie du quai François Mauriac encadrait un quartier restructuré et distribuait rationnellement les énergies à la BNF et aux complexes immobiliers voisins. On n’avait pas songé à seulement compartimenter ce véritable complexe de trois niveaux, enterré et gorgé de combustible ! À Kingsway (Londres), le contexte est différent (le réseau de galeries, complexe et ancien, a grandi avec la cité), mais, aggravé par la présence de gaz, il conduit au même résultat.
Selon les premières investigations, le feu serait parti au niveau de l’immeuble de l’AAC dans une boîte de jonction électrique. La chaleur de l’incendie confiné dans une galerie de 2 m de haut détériore bientôt une conduite de gaz qui alimente l’incendie.
Les volumes de fumée produits par les isolants sont considérables, s’échappent par les multiples bouches jalonnant l’avenue et, par effet de canyon urbain, s’accumulent dans les rues bordées d’immeubles élevés. Le réseau disjoncte, les entreprises et commerces doivent fermer.
Les risques de développement de cet incendie, que l’on cerne encore mal, sont difficiles à anticiper dans le temps et l’espace et il faut évacuer. Sept théâtres, dont certains en représentation, ferment 48 h, ainsi que les commerces, bureaux et la Cour royale de justice.
La station de métro la plus proche (240 m environ) est fermée pour ne pas déverser son flot de voyageurs dans ce quartier qui devient irrespirable. Bien que le courant ait été coupé au bout de quelques heures, la lutte contre le feu est liée à la coupure du gaz, plus problématique encore. Les quelques torchères qui s’échappent de la chaussée seront soigneusement préservées, leur extinction accidentelle multipliant le risque d’explosion.
La mousse n’a pas été utilisée pour remplir les galeries. Son efficacité selon les pompiers aurait été diminuée par l’absence de compartimentage.
Lors du feu quai François Mauriac, la mousse, utilisée rapidement avant que les galeries ne soient trop surchauffées, avait permis de limiter la propagation à un sens, la mousse formant un bouchon dans l’autre. En revanche, appliquée par de multiples grilles d’accès sur près de 1 000 m de galerie transformée en four, elle était parfois violemment éjectée du sol par la puissance de l’incendie.
Le réseau souterrain
À Londres, l’investigation des galeries ne peut s’effectuer que lorsque la température est suffisamment descendue. Rapidement engagé, un hélicoptère de la Police équipé d’une caméra infrarouge a permis de localiser les points les plus chauds sous la chaussée.
Un robot, généralement utilisé pour la neutralisation d’explosifs et équipé d’une caméra, a également été envoyé dans les galeries pour une première reconnaissance visuelle de la zone avant l’engagement des sauveteurs.
Plusieurs chefs d’entreprises touchées ont découvert que l’activité de leur ville, de leur quartier, était directement dépendante de ce réseau invisible, ancien, véhiculant sous les trottoirs énergies et moyens de communication, en perpétuelle restructuration pour accueillir les nouveaux réseaux…
L’activité commerciale et tertiaire est à la merci d’un banal départ de feu qui peut (ici aggravé par le gaz) la perturber gravement. N’a-t-on pas vu à la suite d’un simple feu de poubelle sous une grande gare parisienne, un insidieux feu de câblages reporter à leurs règles à calculs, gommes et crayons, les techniciens SNCF privés de l’outil informatique de régulation des trains ?
Les conséquences financières
Accident électrique, incendie de câblages, fuite de gaz entraînant des torchères, fumée et coupure de courant entraînant arrêt des activités commerciales et évacuation des habitants. Cet incendie aux effets domino a plongé un quartier touristique dans une profonde léthargie de 48 h.
L’impact financier serait important : 1,3 million d’euros pour les théâtres, estimant que 10 000 spectateurs ont été touchés (deux soirées annulées). De son côté, la Chambre de commerce de Londres estime à plus de 55 M€ le coût du sinistre pour la centaine d’entreprises touchées.
Enfin, profitant du désordre ambiant, des coupures de courant et de la concentration des forces de police en un secteur, un gang s’emparait du contenu de 70 coffres (275 millions d’euros de bijoux et diamants) chez Hatton Garden Safe Deposit Ltd à quelques rues de là, le vendredi 3 avril !
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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