Désenfumage et compartimentage : un marché sous tensions
Depuis trois ans, la profession vit une période totalement inédite en raison de la succession des crises liées à la conjoncture nationale et internationale. Une situation qui nécessite encore plus de réactivité de la part des acteurs.
Des crises qui se succèdent
Effondrement de l’activité du bâtiment durant la crise sanitaire, hausse importante du prix des matières premières, puis inflation forte, attentisme des donneurs d’ordres : les crises se suivent à un rythme trépidant pour les professionnels du désenfumage, des cloisons et des portes coupe-feu.
« Cette succession d’événements ayant des conséquences de grande ampleur et intervenant à un rythme très rapproché est absolument sans précédent », nous explique Sylvain Belloir, président du GIF, Groupement des fabricants installateurs de matériel coupe-feu et d’évacuation des fumées, syndicat affilié à la FFMI.
En raison des confinements durant la crise sanitaire, la profession a tout d’abord souffert de la conjoncture dans le bâtiment, auquel elle est très liée. Ce secteur a ainsi connu un recul historique de 15 % en 2020, selon la Fédération française du bâtiment qui a comptabilisé une reprise inédite de + 12 % l’année suivante.
Autre facteur influençant le marché : l’investissement industriel. Si celui-ci a chuté de 9 % en 2020, il a rebondi d’environ 10 % l’année suivante, selon les statistiques de l’Insee.
Pour le désenfumage et les matériels coupe-feu, le coup d’arrêt a également été brutal en 2020
(- 11 %) mais la reprise très dynamique l’année suivante (+ 9 %) et plus modérée en 2022 (+ 5 %) pour arriver à un chiffre d’affaires d’environ 530 M€, en cumulant la fabrication, l’installation et la maintenance, selon l’étude menée par En Toute Sécurité. Les ventes de désenfumage représentent un peu plus de 300 M€ et le compartimentage près de 200 M€.
« Les perspectives économiques de la France sont moroses pour 2023, mais nous pensons que notre profession bénéficiera quand même d’un environnement un peu plus serein. »
Sylvain Belloir, président du Groupement des fabricants installateurs de matériel coupe-feu et d’évacuation des fumées (GIF).
Un rebond en partie artificiel
Néanmoins, ce rebond est un peu factice, selon les acteurs de la profession, car il résulte en partie d’une hausse significative des matières premières. Cela a été particulièrement criant pour les composants électroniques, l’acier ou l’aluminium, très utilisés dans les métiers du désenfumage et du compartimentage.
« Face aux premières augmentations de tarifs décidées par les professionnels, les clients ont tout d’abord été attentistes. Certains projets ont été retardés, voire annulés. Comme les hausses de prix se sont poursuivies dans la durée, les donneurs d’ordres ont finalement passé leurs commandes, parfois en remodelant leur projet pour qu’il rentre dans une enveloppe budgétaire contrainte », analyse Sylvain Belloir.
Aujourd’hui, l’inflation autour de + 6 % et l’explosion des prix de l’énergie ont introduit de nouvelles incertitudes. Sans oublier les pénuries d’essence en octobre dernier durant les mouvements sociaux dans les raffineries qui ont compliqué pendant plusieurs semaines le fonctionnement des entreprises occupées à remplir le réservoir de leurs véhicules et pénalisant la prospection commerciale.
On observe cependant un plateau pour l’augmentation des prix sur les produits standards comme les modules en acier, mais pas encore pour les produits à plus grande valeur ajoutée. Au total, la croissance du marché se fait grâce à la hausse des tarifs, alors que les volumes sont
stagnants, voire en baisse.
Les évolutions conjoncturelles sont assez proches pour les produits de désenfumage (lanterneaux, exutoires, etc.) et pour les cloisons et portes coupe-feu.
Répartition des ventes par segments de clients
en 2022
« Nous n’avons pas vraiment de visibilité sur l’avenir, car nos indicateurs restent flous. Nous ne pouvons pas encore mesurer l’impact de la guerre en Ukraine, dont on ne connaît évidemment pas la durée ni l’issue. Les perspectives économiques de la France sont moroses pour 2023, mais nous pensons que notre profession bénéficiera quand même d’un environnement un peu plus serein », prédit le président du GIF. Et de citer les grands travaux dont la profession est
en train de bénéficier : les chantiers du Grand Paris, de même que les infrastructures rénovées ou neuves pour la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques de 2024.
Par ailleurs, l’incendie du centre de données de Strasbourg d’OVHcloud en mars 2021 a marqué les esprits sur la nécessité de mieux protéger des risques incendie les data centers, les sites sensibles, et plus généralement les autres types de bâtiments. Plus loin de nous, la réaction a été la même pour les équipements coupe-feu après l’incendie meurtrier de la tour Grenfell à Londres en 2017.
Sylvain Belloir se montre plus circonspect concernant les perspectives 2024, année où de nombreuses grandes infrastructures auront déjà été rénovées. Il évoque même un « léger trou d’air » pour la profession en 2024.
Priorité à l’efficacité des équipements
« Dans ce contexte exceptionnel pour le moins mouvant, les entreprises se doivent d’être plus agiles, davantage à l’écoute des clients et toujours plus innovantes », ajoute-t-il.
Il rappelle que le GIF et CNPP ont mené une importante étude, publiée en 2021, basée sur plus de 400 essais pour trouver les méthodes afin d’optimiser l’efficacité des équipements et bien mettre en valeur l’utilité de la réglementation.
La priorité est aux économies de consommation en ces temps d’énergie coûteuse. Ainsi, les donneurs d’ordres sont à la recherche de lanterneaux apportant une bonne lumière naturelle tout en limitant l’échauffement des locaux pendant les périodes de canicule, grâce, par exemple, à des solutions d’ombrage. De même, certains fabricants commercialisent des produits adaptés à la grêle, phénomène qui sévit de plus en plus fréquemment dans certaines régions.
Avec le réchauffement climatique ressenti par les utilisateurs, les systèmes de ventilation pulsant de l’air frais se développent plus rapidement que d’autres solutions plus standardisées, tout comme les matériels d’isolation thermique.
L’heure est également à l’innovation dans les portes et cloisons coupe-feu, essentiellement métalliques, en verre, en aluminium ou en bois. La tendance est aux portes multifonctions, alliant la protection incendie passive aux qualités acoustiques, thermiques, mais aussi de sécurité (anti-effraction et anti-balle), ce qui suppose une connexion avec des dispositifs électroniques, comme le contrôle d’accès, l’alarme ou la vidéosurveillance, sans oublier évidemment une liaison avec les systèmes sprinkleurs.
Les portes coupe-feu de très grande dimension (5 m par 5 m ou même plus) sont également une nouvelle tendance et ouvrent de nouveaux marchés. Les utilisateurs sont également attentifs à l’aspect esthétique, souhaitant que ces matériels s’intègrent harmonieusement dans l’environnement architectural des locaux.
Les portes coupe-feu de très grande dimension sont une nouvelle tendance et ouvrent de nouveaux marchés.
Une industrie nationale bien structurée
Comme c’est le cas pour tous les métiers de la sécurité incendie, le marché français du désenfumage et des matériels coupe-feu est très réglementé et donc mature. La concurrence venue d’Europe de l’Est ou de l’Asie reste très marginale. « Les coûts de transport sont trop importants, ce qui limite fortement l’arrivée de nouveaux entrants, notamment sur les produits d’entrée de gamme », souligne Sylvain Belloir.
On note cependant quelques velléités de la part d’entreprises du sud de l’Europe, mais surtout sur des matériels à forte valeur ajoutée, notamment dans les produits verriers.
Certains fabricants réalisent de belles performances à l’exportation, à l’instar de Baumert, filiale de groupe Gorgé, spécialiste sur le créneau très pointu des portes anti-incendie dans le domaine nucléaire. L’entreprise vient par exemple de signer un contrat pour fournir la centrale nucléaire d’Hinkley Point au Royaume-Uni.
Les intervenants sont relativement peu nombreux, ce qui contraste par exemple avec les installeurs d’extinction mobile qui sont légion. Dans le désenfumage, les deux principaux protagonistes sont Kingspan Light + Air, avec ses quatre filiales françaises Skydôme, Essemes Services, Colt et Kingspan ex-Ecodis, et le groupe français Soprema avec sa filiale Adexsi, composée des marques Bluetek et Souchier-Boullet.
Dans les matériels coupe-feu, le marché est formé par un trio de tête composé d’Assa Abloy, Malerba et Novoferm Lutermax, et d’autres marques comme Fichet, Doortal, Wicona, Souchier-Boullet, etc.
Article extrait du n° 588 de Face au Risque : « Panorama des risques 2022-2023 » (décembre 2022 – janvier 2023).
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