Des transactions immobilières polluées par l’état des sols
Quels sont les droits du sous-acquéreur d’un terrain pollué à l’encontre du vendeur initial ? Les tribunaux sont amenés à statuer sur cette question lorsqu’un site est cédé plusieurs fois et que plusieurs propriétaires ou exploitants se sont succédé. Exemple à travers deux arrêts récents de la Cour de cassation.
La protection des sols
Le droit de l’environnement s’est concentré dans un premier temps sur la pollution des eaux et celle de l’air. Et depuis une période relativement récente, émerge une volonté de protéger les sols et c’est la raison pour laquelle il y a désormais réflexions et dispositions légales quant à l’artificialisation des sols, la gestion des déchets, etc.
La jurisprudence n’est pas en reste et les tribunaux sont régulièrement amenés à statuer sur la charge et la responsabilité de la dépollution des sols lorsqu’un site est cédé plusieurs fois et que plusieurs propriétaires ou exploitants se sont succédé.
En d’autres termes, quels sont les droits et recours du sous-acquéreur d’un terrain pollué à l’encontre du vendeur initial ?
Le problème est particulièrement complexe puisque les dispositions du code de l’environnement vont s’entremêler avec celles du code civil.
Deux décisions sont intervenues récemment pour éclairer cette problématique.
« Le problème est particulièrement complexe puisque les dispositions du code de l’environnement vont s’entremêler avec celles du code civil. »
Les droits du sous-acquéreur
Dans la première décision du 29 juin 2022, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi visant à casser une décision de la cour d’appel de Paris du 2 avril 2021. Elle avait statué sur une affaire qui mérite d’être examinée car l’arrêt définit avec précision quels sont les droits du sous-acquéreur.
La société SH2 HEM, propriétaire d’un groupe d’immeubles, a vendu son fonds de commerce de fabrication de peintures et de savons industriels. Cette activité relevait de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Ainsi, elle conservait la propriété des immeubles où l’activité s’était exercée, le fonds de commerce étant alors exploité dans les locaux de l’acquéreur situé dans une autre commune.
Le 17 juillet 2008, la société SH2 HEM a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de mise en demeure lui enjoignant de transmettre la copie de la proposition de l’usage futur du site conformément à l’article R.512-75 du code de l’environnement, ainsi qu’un échéancier pour sa mise en sécurité conformément à l’article R.512.74 du même code. Elle s’est acquittée de cette obligation
La société SH2 HEM a obtenu un permis de construire le 5 octobre 2009, et a chargé la société Socotec Environnement d’effectuer une évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS). Celle-ci lui a été remise en 2010, le plan d’occupation des sols alors en vigueur affectant la zone à l’activité industrielle et commerciale.
Socotec a conclu que le terrain pouvait être utilisé à des fins industrielles.
Le 28 février 2011, la société SH2 HEM a vendu les immeubles aux sociétés JML, Matt et Lorel.
Postérieurement à l’adoption d’un nouveau plan d’urbanisme rendant possible l’usage exclusif de la zone en logements, ces sociétés, par acte authentique du 4 août 2011, ont revendu les biens à une société civile immobilière (SCI), le sous-acquéreur, qui déposa une demande de permis de construire prévoyant un usage exclusif de la zone en logements.
L’évaluation quantitative des risques sanitaires, réalisée le 21 mai 2010 par la société Socotec, ne correspondait plus au projet envisagé dans le cadre du nouveau permis de construire sollicité par le dernier acquéreur.
Cette SCI a assigné :
- la société SH2 HEM en paiement de dommages-intérêts pour refus de dépolluer le site ;
- les sociétés venderesses JML, Matt et Lorel, sur le fondement de l’obligation de délivrance conforme et de la garantie des vices cachés ;
- et la société Socotec au titre de sa responsabilité délictuelle pour erreur manifeste d’appréciation des risques sanitaires.
Dans son argumentation, la SCI sous acquéreur a développé tous les fondements juridiques qui peuvent être invoqués en cas de cession successive d’un bien pollué.
Premier fondement : le contrat
Dans la convention avec les sociétés JML, Matt et Lorel, SH2 HEM s’était engagée à prendre en charge les frais de dépollution s’ils excédaient la somme de 200 000 euros.
→ Mais la Cour a jugé que cet argument était irrecevable car l’engagement portait sur une dépollution pour un site à usage industriel et non à usage d’habitation. De surcroît, le rapport de Socotec précisait que la dépollution était effective pour un usage industriel.
Deuxième fondement
La SCI sous acquéreur en demande s’était appuyée sur les articles L.511-1 et suivants du code de l’environnement.
→ Mais la Cour a jugé que les obligations de réhabilitation dépendent de l’usage du site et de son éventuel changement. Et que, compte tenu de l’affectation à usage d’habitation d’un site industriel, cet article ne pouvait trouver application.
Troisième fondement
La SCI sous acquéreur s’est retournée contre son propre vendeur sur le fondement de l’obligation de délivrance (il s’agit de l’obligation de délivrer une chose conforme à celle promise), en estimant que ce vendeur aurait dû lui remettre un sol dépollué.
→ Mais la Cour a estimé que l’immeuble vendu n’a pas été présenté à l’acquéreur comme ayant fait l’objet d’une dépollution rendant son usage compatible avec la construction de logements d’habitation.
Le délai pour contester une obligation de délivrance est de seulement deux ans, ce qui est court et peut amener à choisir un autre fondement juridique comme celui des vices cachés.
Quatrième fondement
La SCI sous acquéreur a soutenu que le bien comportait des vices cachés.
→ Mais la Cour a jugé que la SCI avait eu connaissance de tous les rapports et coûts sur la dépollution et que son vendeur ne lui avait rien caché.
Le délai pour agir sur le fondement des vices cachés est de cinq ans.
Cinquième fondement
La SCI sous-acquéreur a tenté de mettre en jeu la responsabilité de la Socotec.
→ Mais la Cour a jugé que cette société avait correctement effectué son travail.
À la lecture de la décision, il se dégage la forte impression que la SCI sous acquéreur n’était pas de bonne foi.
Le vice caché
Cette décision du 29 juin 2022 de la Cour de cassation est à rapprocher d’une décision de la même juridiction en date du 30 septembre 2021. Celle-ci a jugé qu’à défaut de clause relative à l’absence de pollution dans l’acte de vente, l’inconstructibilité d’un terrain en raison de la présence d’hydrocarbures constitue non un défaut de conformité, mais un vice caché de la chose vendue.
Les circonstances sont à peu près identiques : le 29 mars 2010, la SAS Total Mayotte a échangé une parcelle de terrain située à Kaweni, commune de Mamoudzou, avec la SARL Nel qui l’a revendue le 31 mai 2010 à la SCI Station Kaweni, laquelle l’a donnée à bail à la SAS Sodifram.
Vis-à-vis de la société Nel, la société Total s’était engagée à dépolluer le terrain et avait fourni un rapport l’attestant. Mais Nel n’avait pris aucune obligation vis-à-vis de la société Kaweni.
En raison de la pollution du terrain découverte en octobre 2013, causée par la présence d’hydrocarbures, la SAS Sodifram (le preneur) et la SCI Station Kaweni (le sous-acquéreur et bailleur) ont, par acte d’huissier du 22 octobre 2015, fait assigner la SAS Total Mayotte devant le tribunal de grande instance de Mamoudzou en indemnisation de leurs préjudices et un appel a été formé devant la cour d’appel de Saint-Denis.
Celle-ci, par décision en date du 4 février 2020, a donc condamné la société Total Mayotte à indemniser les sociétés Kaweni et Sodifram, au motif que le bien vendu n’étant pas conforme à ses caractéristiques, le vendeur avait manqué à son obligation de délivrance. La société Nel a été condamnée sur le même fondement par la cour d’appel.
Cependant, la Cour de cassation devait censurer cette décision le 30 septembre 2021. Elle considérait qu’il eut fallu fonder la condamnation sur l’existence d’un vice caché en ce qui concerne la société Nel.
L’enchaînement des obligations
Ces deux arrêts aideront certainement les professionnels à comprendre quel est l’enchaînement des obligations afférentes à un terrain pollué.
Ces décisions ne préjugent pas de la responsabilité du notaire à la fois au titre de sa qualité de rédacteur d’acte et au titre de son devoir de conseil. Il est en effet surprenant que l’une des parties n’ait pas eu la tentation d’assigner ce professionnel du droit.
Article extrait du n° 586 de Face au Risque : « La réglementation incendie en reconstruction » (octobre 2022).
Thibault du Manoir de Juaye
Avocat à la Cour, spécialiste de la sécurité et de la sûreté dans l’entreprise
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