Les technologies en appui de la mobilisation humaine

10 novembre 20228 min

Outre la mobilisation des ressources humaines nécessaires pour sécuriser l’événement, les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 représentent un défi technologique de taille. Quelles solutions vont venir en appui aux forces de l’État et à la filière de sécurité privée ? Éléments de réponse avec Olivier-Pierre de Mazières, préfet, délégué ministériel aux partenariats, aux stratégies et aux industries de sécurité (DPSIS).

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Moins de deux ans avant le début des Jeux olympiques 2024, la sécurité est au cœur des débats. L’ampleur du défi semble immense.

Olivier-Pierre de Mazières. Je lis souvent que les JO représentent l’équivalent de 40 Coupes du monde de football. Je ne sais pas si c’est vrai mais ça donne une idée de l’ampleur du phénomène. Un tel événement attire de nombreuses menaces. Tous les JO organisés jusqu’à maintenant ont fait l’objet de tentatives d’attaques, d’intrusion, de prises de contrôle. Pas forcément pour faire des victimes mais pour faire passer des messages, véhiculer une prise de position politique…

Ce sont les sujets classiques, auxquels il faut ajouter le sujet cyber désormais omniprésent. Les cyberattaques sur les sites des JO se chiffrent en plusieurs dizaines par seconde. Il faut donc être en mesure de sécuriser une bulle autour des sites de compétition et des zones à risques. Une bulle en 3D avec la sécurisation de l’empreinte au sol, de l’espace aérien et du cyberespace.

Au-delà des sites olympiques et des abords, c’est tout le pays qui va être mis en lumière. Les yeux du monde entier vont être braqués sur la France, cela peut aussi nous exposer à travers nos infrastructures : hôpitaux, OIV [opérateurs d’importance vitale, NDLR], services publics, entreprises stratégiques… Autant de cibles potentielles sur lesquelles il faudra être vigilants. Penser que la menace sera circonscrite aux seuls JO serait une grave erreur.

Quel va être le rôle des technologies de sécurité dans ce contexte ?

O.-P. de M. L’enjeu est celui de la mobilisation des industriels et fournisseurs de technologies de sécurité pour soulager ou accompagner la mobilisation humaine. Aussi bien pour la sécurité privée que pour les forces de l’État. Comment les doter d’outils technologiques qui vont leur permettre d’optimiser leurs missions ?

Les moyens existent, la question est plutôt celle du cadre juridique et du cadre des doctrines d’ emploi des forces. Les outils doivent être suffisamment robustes et fiables pour être efficaces dès la Coupe du monde de Rugby en 2023 puis pour les JO. On ne peut donc pas se permettre de choisir des technologies de rupture ou qui seraient à l’état de prototype.

Il y a aussi un sujet d’interopérabilité entre les forces. Il faut que ces moyens viennent en appui de la coopération, de la collaboration entre les différents acteurs de la sécurité. Ces technologies s’inscrivent elles-mêmes dans une logique de continuum. Tout cela dans un cadre juridique précis que l’on sait plutôt restrictif et prudent.

« Les technologies que nous sommes en train de tester sont strictement respectueuses du cadre juridique existant. »

Olivier-Pierre de Mazières, délégué ministériel aux partenariats, aux stratégies et aux industries de sécurité (DPSIS).

Vous travaillez sur des expérimentations technologiques pour les grands événements. Pouvez-vous nous en dire plus ?

O.-P. de M. Ces expérimentations portent sur des besoins opérationnels qui ont été définis par les forces de sécurité intérieure : la Police et la Gendarmerie, les Renseignements, la Sécurité civile, en collaboration aussi avec des partenaires comme les grands opérateurs de transport (ADP, RATP, SNCF) ou l’Anssi.

Nous avons publié des appels à manifestations d’intérêts, auxquels les industriels ont répondu en proposant des solutions technologiques. Nous avons reçu plus de 600 propositions. Un premier travail de tri a été effectué, en lien avec les forces de sécurité et le Comité stratégique de filière (CSF) des Industries de sécurité, pour déterminer les solutions qui répondaient vraiment aux besoins.

Les premières expérimentations ont débuté en avril dernier, en laboratoire et en conditions réelles. Il est important de rappeler que les technologies que nous sommes en train de tester sont strictement respectueuses du cadre juridique existant.

Si ce cadre évolue – le président de la République a annoncé fin juillet qu’il souhaitait un texte spécifique aux JO, notamment sur l’usage de la vidéo intelligente – nous pourrons ouvrir le champ des expérimentations.

Sur quoi portent les expérimentations ?

O.-P. de M. Le premier sujet identifié a été celui des postes de commandement : comment arriver à traiter des données hétérogènes, comme les communications audio, les images vidéo, divers documents écrits, et comment organiser la redescente des instructions vers le terrain. Ces logiques d’hypervision concernent les centres en tant que tels, mais aussi leur interopérabilité.

Lors des Jeux, il y aura des centres de commandement projetés, tactiques sur le terrain et des centres de coordination plus stratégiques au niveau départemental ou national. Même à Paris qui sera l’épicentre des JO, il y aura des salles de commandement sur chaque site de compétition ou à proximité, le centre de la préfecture de Police et un centre de coordination nationale. La montée en puissance de ces centres de commandement et leur interopérabilité est fondamentale.

Le deuxième sujet bien identifié, transverse à toutes nos problématiques, est celui de la cybersécurité, notamment le traitement de l’open source : comment détecter sur les réseaux sociaux des menaces éventuelles, des attaques potentielles. On touche là à l’activité de renseignement avec la Cyber Threat Intelligence.

Qu’en est-il des autres expérimentations ?

O.-P. de M. Elles concernent d’autres éléments clés comme la lutte anti-drone et, de manière plus générale, la sécurisation des espaces aériens très basse altitude autour des sites ou des zones de vulnérabilités. Avec par exemple des technologies qui vont permettre de repérer des drones ennemis, de les intercepter, de les brouiller.

La sécurité nautique des plans d’eau est aussi un sujet, avec des outils de visualisation sous-marine ou de bouée-drones de sauvetage. Des expérimentations concernent également la vidéoprotection : comment repérer et simuler des flux, par des cartes de chaleur, des analyses de points notamment sur de la cartographie 3D, avec ce qu’on appelle des jumeaux numériques. Par exemple des flux d’entrées dans les sites de compétitions, dans les stations de métro…

Lors de la finale de la Ligue des champions, l’une des difficultés était liée à la gestion de ces flux et ces foules. Mais le cadre normatif interdit de tester, par exemple, la détection de mouvements dits anormaux. Si une loi intervient, nous pourrons ouvrir le champ en 2023.

Enfin, dernier volet essentiel, le NRBC-E (nucléaire, radiologique, bactériologique, chimique et détection d’explosifs), avec par exemple des techniques permettant de détecter suffisamment en amont la présence de produits chimiques.

« Sur 170 expérimentations, 110 sont en cours ou terminées. 94 % sont d’origine françaises et 77 % émanent de start-up ou PME. »

Olivier-Pierre de Mazières, délégué ministériel aux partenariats, aux stratégies et aux industries de sécurité (DPSIS).

Où en sont les expérimentations ?

O.-P. de M. Sur 170 expérimentations (ce qui concerne 47 entreprises et un budget de 21,50 M€), 110 sont en cours ou terminées. 94 % sont d’origine françaises et 77 % émanent de start-up ou PME. Celles qui ne sont pas encore lancées le seront d’ici la fin de l’année. Les résultats sont plutôt concluants.

Le produit en tant que tel n’est pas forcément immédiatement recevable à chaque fois. Il y a des ajustements, par exemple des demandes concernent les fonctionnalités de la solution technologique, d’autres son ergonomie, sa cybersécurité. Les besoins peuvent également varier selon les forces.

On est au moment clé de la préparation du budget pour 2023. On est en train de réfléchir sur les acquisitions qui pourraient être faites sur cette base. Il y a aussi toute une dimension de formation des utilisateurs, de prise en main qu’il ne faut pas oublier.

C’est une gageure pour les entreprises de sécurité, mais également une opportunité…

O.-P. de M. Il y a évidemment un enjeu de sécurité pour les Jeux mais c’est aussi un enjeu pour les entreprises françaises de technologie. Elles peuvent profiter de cette vitrine, de cet accélérateur pour afficher leur excellence. Et pour développer un modèle de sécurité combinant ressources humaines et technologies, qui soit aussi un modèle de sécurité respectueux des libertés.

Les grands événements qui s’organiseront après les Jeux devront tous obéir à ce modèle de sécurité éthique. Si les industries françaises sont en mesure d’incarner – et on s’y emploie – ce dispositif à l’occasion des JO, cela leur donnera un avantage concurrentiel pour les événements à venir. Il y a là un enjeu de développement économique de la filière et de souveraineté industrielle pour la France.

C’est aussi une opportunité pour construire le continuum de sécurité de manière plus rapide. Le ministère lui-même va se mettre au diapason de ce mouvement avec la création, à partir de la DPSIS, d’une direction des partenariats de sécurité pour monter en puissance dans l’animation (notamment territoriale) du continuum et du lien entre les forces de sécurité de l’État et les acteurs privés de la sécurité.


Article extrait du n° 587 de Face au Risque : « Sûreté des JO 2024 : le grand saut » (novembre 2022).

Gaëlle Carcaly – Journaliste

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