La responsabilité du maire et de la commune en matière d’incendie
Le maire a notamment pour mission d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Une carence ou un manquement dans l’exercice de ses pouvoirs de police peut être de nature à engager la responsabilité de la commune. En matière d’incendie, cette responsabilité s’exerce en particulier dans le cadre de l’organisation des secours, de la défense extérieure contre l’incendie et du contrôle des établissements à risque.
Responsabilité dans le cadre de l’organisation des secours
En matière d’organisation des secours, le maire se voit confier un pouvoir de police générale. À ce titre, l’article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».
À noter que par exception, dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, c’est le préfet de police de Paris, et non le maire, qui est chargé du secours et de la défense contre l’incendie (article L.2521-3 du CGCT).
Dans son alinéa 5, l’article prévoit que la police municipale doit prendre « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies ». Elle s’appuie pour ce faire sur le service départemental d’incendie et de secours (Sdis) qui doit pouvoir intervenir dans de bonnes conditions. Les attendus en la matière concernent notamment :
- la durée d’arrivée des services de secours sur les lieux de l’incendie ;
- l’organisation des secours, en donnant la priorité sur le sauvetage à personne par rapport à l’extinction ;
- les moyens mis à disposition (humains, matériels et ressources en eau) ;
- l’extinction du sinistre, sa durée et les mesures de surveillance à mettre en place le cas échéant après l’extinction.
Faute de la personne morale autre que la commune
En cas de faute dans l’exercice des missions du Sdis, les dispositions de l’article L.2216-2 du CGCT prévoient que les communes sont civilement responsables des dommages résultant de l’exercice des attributions de police municipale, quel que soit le statut des agents qui y concourent (maire ou autre).
Dans le cas où le dommage résulte, en tout ou partie, de la faute d’un agent ou du mauvais fonctionnement d’un service ne relevant pas de la commune, la responsabilité de celle-ci peut toutefois être atténuée. Reste que la responsabilité de la personne morale autre que la commune dont relève l’agent ou le service concerné (en l’occurrence, le Sdis) ne peut être engagée que si cette personne morale a été mise en cause, soit par la commune, soit par la victime du dommage. À défaut, la commune demeure seule et définitivement responsable du dommage.
Décision de la cour d’appel de Douai
C’est cette hypothèse qui a été jugée, devant la cour administrative d’appel de Douai, à propos d’une habitation détruite par une reprise de feu. Un incendie qui s’était déclaré de nuit dans une maison avait été rapidement maîtrisé par les sapeurs-pompiers, avant de reprendre dans la matinée suite à un point chaud non détecté, provoquant la destruction complète de la maison. La cour a condamné la commune à verser aux occupants et leur assureur la somme de 350 000 €, et a rejeté la demande de la commune de mettre en cause le Sdis, car cette demande n’avait été formulée que devant le juge d’appel, alors qu’elle aurait dû l’être dès la première instance (CAA Douai, 11 décembre 2013, n° 12DA01301).
Fautes commises en intervention
Pour apprécier les fautes commises en intervention, il est notamment fait référence :
- au règlement opérationnel des Sdis, document qui précise les principes et les règles de la mise en œuvre opérationnelle des moyens relevant des Sdis (article 1424-4 du CGCT) ;
- au schéma départemental d’analyse et de couverture des risques (SDACR), qui en application de l’article 1424-7 du CGCT, dresse « l’inventaire des risques de toute nature pour la sécurité des personnes et des biens auxquels doivent faire face les services d’incendie et de secours dans le département, et détermine les objectifs de couverture de ces risques par ceux-ci ».
À titre d’exemple, une arrivée des sapeurs-pompiers en 26 minutes dans une commune rurale, soit 6 de plus que le délai moyen prévu par le SDACR, n’a pas été jugée anormale dans des conditions météorologiques particulières de chutes de neige (TA Versailles, 21 mars 2017).
En revanche, un délai de 35 minutes est excessif et constitue une faute de service de nature à engager la responsabilité de la commune (CAA Lyon, 8 novembre 2001, commune de Portes en Valdaine, n° 97LY02923).
Responsabilité dans le cadre de la défense extérieure contre l’incendie (Deci)
Selon l’article L.2213-32 du CGCT, le maire dispose également d’un pouvoir de police spéciale en matière de Deci (lire « La défense extérieure contre l’incendie » Face au Risque n°569, février 2021). Il doit s’assurer de l’existence, de la suffisance et de la disponibilité des ressources en eau pour la lutte contre l’incendie au regard des risques à prévenir. Ce pouvoir (article R.2225-7 du CGCT) consiste à:
- réaliser les travaux nécessaires à la création et à l’aménagement des points d’eau incendie (PEI) identifiés ;
- permettre l’accessibilité, et assurer la numérotation et la signalisation de ces PEI ;
- créer en amont des ouvrages, aménagements et travaux nécessaires pour garantir la pérennité et le volume de leur approvisionnement ;
- effectuer toute mesure nécessaire à leur gestion ;
- assurer les actions de maintenance destinées à préserver les capacités opérationnelles des PEI.
Dans le cadre de l’intercommunalité, la police spéciale de la Deci peut être transférée par le maire au président de l’établissement public de coopération intercommunale exerçant la compétence en matière de Deci. À noter que ce transfert présente un caractère obligatoire pour les communes appartenant à une métropole.
Responsabilité de la commune pour faute lourde
En ce qui concerne la jurisprudence, le Conseil d’État a d’abord considéré que la carence du maire engageait la responsabilité de la commune pour faute lourde, dans de multiples cas :
- défaut de pression à la bouche d’eau résultant d’une insuffisance d’entretien de l’installation (CE, 15 mai 1957, commune de Tinqueux) ;
- caractère inadapté du réseau de distribution d’eau au matériel de lutte contre l’incendie (CE, 15 juillet 1960, ville de Millau) ;
- absence de mesure prise pour assurer une alimentation en eau suffisante de la bouche, alors que la commune avait été informée par la compagnie des eaux d’une baisse de pression importante (CE, 2 décembre 1960, Strohmaier et compagnie Le Phoenix) ;
- impossibilité de fournir aux pompiers de l’eau sous pression dans les 15 premières minutes suivant leur arrivée, en raison de la vétusté de l’installation (CE, 14 octobre 1964, ville de Pointe-à-Pitre) ;
- défaut de fonctionnement de la bouche d’incendie la plus proche (CE, 23 mai 1980, Cie d’assurance Zurich).
Responsabilité de la commune pour faute simple
La jurisprudence administrative a par la suite évolué de telle sorte que la responsabilité de la commune peut être engagée pour faute simple en cas de défaillance du service de lutte contre l’incendie, notamment en raison :
- de l’impossibilité de faire fonctionner une motopompe (CE, 29 avril 1998, commune de Hannapes, n°164012) ;
- d’insuffisance de points d’eau dans un hameau ayant contraint les pompiers à s’approvisionner dans une mare distante de 400 mètres du sinistre (CAA Douai, 23 mars 2000, n°96DA01871) ;
- du mauvais fonctionnement du réseau communal de distribution d’eau entraînant l’aggravation de l’incendie (CAA Nancy, 23 septembre 1999, n°96NC01756) ;
- de l’insuffisance du nombre des poteaux d’incendie à proximité du lieu du sinistre, alors que la commune avait été informée de cette situation par lettre du Sdis (CAA Nantes, 9 novembre 2004, n°02NT00392) ;
- d’une pression d’eau largement insuffisante en raison de la défaillance des deux bouches d’incendie les plus proches du sinistre (CAA Nantes, 29 septembre 2009, n°08NT03245).
En revanche, en cas de propagation du feu si rapide que le bâtiment étant entièrement embrasé à l’arrivée des secours, les manquements de la commune au regard de la Deci sont sans incidence sur les dommages subis et ne sauraient engager sa responsabilité (CAA Lyon, 3 janvier 2013, n° 12LY00082).
Responsabilité dans le cadre du contrôle des établissements
Le maire dispose d’un pouvoir de police spéciale qui lui impose de faire respecter la réglementation propre aux risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP). Ce pouvoir est exercé subsidiairement par le préfet.
À ce titre, outre la délivrance des permis de construire, le maire accorde les autorisations d’ouverture des ERP (article R.143-39 du code de la construction et de l’habitation (CCH)) et soumet les ERP concernés à des visites périodiques de contrôle et des visites inopinées de la commission de sécurité (article R.143-41 du CCH et arrêté du 25 juin 1980).
En cas de manquements à la réglementation et en l’absence de travaux de mise en conformité
En cas d’incendie, la responsabilité civile d’une personne morale autre que la commune, comme le Sdis par exemple, ne peut être engagée que si cette personne morale a été mise en cause, soit par la commune, soit par la victime du dommage. Crédit : Mike Fouque/AdobeStock.
réalisés par les exploitants, il a le pouvoir d’ordonner, par arrêté motivé, la fermeture des ERP exploités en infraction aux règles de sécurité (article R.143-45 du CCH).
Absence de contrôle des ERP, des condamnations
Le maire qui, en n’accomplissant pas les diligences normales de contrôle des ERP, contribue à l’éclosion ou l’aggravation d’un incendie et peut voir sa responsabilité pénale engagée sur le fondement de l’article 121-3 du code pénal.
Ce fut le cas pour le maire de Saint-Laurent-du-Pont chargé d’exécuter l’arrêté préfectoral ayant accordé le permis de construire au dancing « Le Cinq Sept » dont l’incendie avait fait près de 150 morts (lire Face au Risque n° 567 de novembre 2020). N’ayant veillé à l’observation par l’établissement ni des prescriptions de cet arrêté, ni de celles du règlement de sécurité, il s’est rendu coupable des délits d’homicide et de blessures involontaires (Crim., 14 mars 1974, n° 73-92.507).
Dans les incendies de la clinique psychatrique de Bruz (20 morts et 1 blessé) et des thermes de Barbotan (20 morts et 11 blessés), c’est pour ne pas avoir sollicité de visite des établissements par la commission de sécurité, qui auraient permis de déceler les nombreuses non-conformités affectant les bâtiments et installations, que les maires de ces communes ont été condamnés (Trib. Corr. de Rennes, 30 septembre 1996 et Crim., 29 juin 1999, n° 98-81.413).
Article extrait du n° 585 de Face au Risque : « Communication de crise » (septembre 2022).
Morgane Darmon
Consultante experte au service Assistance réglementaire de CNPP Conseil & Formation
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