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Télétravail : un mode d’organisation inégalitaire ou inclusif ?
La pérennisation du télétravail au-delà de la crise sanitaire implique de nouveaux enjeux concernant l’égalité homme-femme sur le plan professionnel. Les frontières entre activité professionnelle et vie personnelle étant redessinées, quel est l’impact du télétravail sur les situations individuelles envisagées sous l’angle du genre ?
Le 17 mars 2020 les Français se sont réveillés confinés. Les organisations ont alors mis en place à la hâte le travail à distance. Pour certaines entreprises, cela relevait du défi. Pour d’autres, d’une forme d’agilité, sans plus.
Vingt mois plus tard, le télétravail concernait encore 23 % des actifs français au cours du mois de décembre 2021 selon la Dares.
Une définition uniforme, des pratiques diverses
Le télétravail est défini de façon uniforme, quelle que soit l’organisation, le métier, le genre de celui qui l’exerce. C’est le code du travail, en son article L.1222-9, qui en dessine les contours : « Toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication. »
Le télétravail s’exerce de multiples façons, tant sur le plan spatial que temporel : à domicile, en tiers lieu, en mode nomade. Il peut être mis en place à temps plein ou en mode hybride.
Cependant, selon un sondage Odoxa d’avril 2020, des inégalités apparaissent dans « les conditions d’exercice, en fonction du lieu de vie et de la position sociale, du ménage ainsi que du sexe ». Quand il est exercé à domicile, il modifie l’organisation intra-familiale et peut contribuer à un accroissement de la charge de travail et à des situations de stress car les salariés sont confrontés à la nécessité d’organiser, au sein d’un même espace, la vie familiale et les missions professionnelles.
Une étude menée du 15 avril au 10 mai 2020 auprès de 169 télétravailleurs montre une augmentation de la charge de travail, des horaires de travail élargis, des réunions plus fréquentes, des interférences vie familiale-vie professionnelle et un investissement accru des femmes dans les tâches domestiques. La situation des femmes est particulière et mérite réflexion.
Les inégalités hommes-femmes
Rappelons au préalable que les inégalités de genre en milieu professionnels sont un phénomène antérieur[1] au télétravail contraint. Les écarts de salaire femmes-hommes sont en moyenne d’environ 17 %, selon l’Insee.
La première loi pour l’égalité entre hommes et femmes est la loi du 22 décembre 1972 relative à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes qui introduit dans le code du travail le principe « à travail égal, salaire égal ». Malgré les évolutions réglementaires (lois Roudy de 1983, Genisson de 2001, Copé-Zimmermann de 2011, Vallaud-Belkacem de 2014, Pénicaud de 2018), les inégalités hommes-femmes perdurent. « Depuis les années 1990, les inégalités professionnelles ne se réduisent plus et les tâches familiales et domestiques sont toujours majoritairement réalisées par les femmes (…). Ces inégalités ont été renforcées par la crise sanitaire de la Covid-19 »[2].
[1] « Les inégalités entre les femmes et les hommes se manifestent dans tous les champs sociaux : éducatif, professionnel, politique et familial » – Les mutations de la société française – Milewski, 2019.
[2] Boring et al., 2020, p. 118 – Diard, Hachard, Laroutis 2022.
Des inégalités creusées par le confinement
Les inégalités de genre étaient bien réelles avant le premier confinement mais elles ont été exacerbées par le télétravail confiné.
À travers notre étude conduite pendant le confinement, nous avons cherché à savoir si le télétravail contribue à creuser ces inégalités en modifiant les conditions de travail à domicile et la prise en charge des tâches domestiques. Nos résultats confirment partiellement cette hypothèse. En effet, plusieurs constats peuvent être effectués.
Parmi les femmes qui étaient en emploi au 1er mars 2020, deux sur trois seulement continuaient de travailler deux mois plus tard, contre trois hommes sur quatre. Ces femmes en emploi ont été autant en télétravail que les hommes, mais leurs conditions de travail ont été différentes. D’après l’enquête Coconel de l’Ined, le télétravail a révélé les inégalités profondes qui subsistent au sein des foyers. Les femmes et les hommes ne sont pas totalement égaux concernant le partage des tâches domestiques et de la charge mentale.
Il n’y a que 26 % des femmes qui disposent d’un espace de travail personnel dédié contre 41 % des hommes. Elles doivent partager leur espace de travail avec leurs enfants ou d’autres membres du ménage. 48 % des femmes en télétravail vivent avec un ou plusieurs enfants au moment du confinement, contre 37 % des hommes. Ce phénomène s’accroît chez les cadres, avec 47 % d’hommes ayant leur propre espace consacré au travail en distanciel.
« Il n’y a que 26 % des femmes qui disposent d’un espace de travail personnel dédié contre 41 % des hommes. »
Tâches domestiques
Plus d’un tiers des personnes ayant des enfants ont eu des difficultés pour assurer leur suivi scolaire. Et cette difficulté a été plus fréquente pour les femmes, qui ont assuré une grande part de la prise en charge des enfants, et les familles monoparentales (Albouy et Legleye, 2020).
Selon une étude du Boston Consulting Group, le confinement et le télétravail n’ont fait qu’accroître les inégalités de genre : si 45 % des parents ont déclaré se répartir à égalité les tâches quotidiennes, depuis le début de la crise, le temps supplémentaire passé à réaliser ces tâches est de 17 % plus élevé pour les femmes que pour les hommes.
De même, une étude menée par Deloitte Global (septembre 2020) auprès de femmes de 9 pays (dont la France) indique que plus de 8 femmes sur 10 estiment que leur vie a été négativement perturbée par la pandémie de Covid-19. L’étude montre que la crise sanitaire a révélé le risque d’un retour à des rôles traditionnels : alors que la charge de travail a augmenté pour un tiers des femmes qui ont télétravaillé, beaucoup ont également dû faire face à une augmentation des tâches domestiques et de la garde des enfants, de manière déséquilibrée par rapport à leur conjoint.
« Plus de 8 femmes sur 10 estiment que leur vie a été négativement perturbée par la pandémie de Covid-19. »
Et après ?
La pérennisation du télétravail questionne sur les inégalités entre hommes et femmes et notamment concernant les tâches domestiques. Près de deux ans après le début de la crise du Covid-19, durant laquelle le nombre de télétravailleurs a atteint 41 % des salariés, le télétravail s’est imposé pour de nombreux salariés.
Fin 2021, 38 % des salariés du secteur privé pratiquaient le télétravail (vs 34 % fin 2020, 41 % en mai 2020, et 30 % fin 2019). Globalement, les télétravailleurs estiment être dans de bonnes conditions de travail (86 %).
Alors qu’un retour à la normale se profile dans le domaine sanitaire, près de la moitié des salariés déclare souhaiter travailler en mode hybride (baromètre Malakoff Humanis).
Un enjeu d’inclusion
Une autre étude quantitative conduite entre le 3 février et le 3 mars 2022 auprès de 211 collaborateurs travaillant à domicile (Diard, Hachard, Laroutis, 2022[3]) révèle des résultats ambivalents : les femmes seraient défavorisées dans la sphère professionnelle mais pas dans la sphère familiale par le travail à domicile. Les hommes, quant à eux, ont plus souvent bénéficié de possibilités d’évolution au sein de l’organisation mais se sont cependant davantage investis dans les tâches familiales.
Le télétravail à domicile est donc un enjeu d’inclusion de genre pour l’avenir. Ces résultats révèlent que l’organisation du travail est modifiée en fonction du genre, et suggèrent que la sphère personnelle est un terrain à investiguer lors de la mise en œuvre du télétravail à domicile.
[3] 65 % des répondants sont des femmes ; 89% sont salariés du secteur privé et 81% sont en CDI. Les répondants sont majoritairement des cadres. 63% appartiennent à des entreprises de plus de 250 salariés.
Article extrait du n° 585 de Face au Risque : « Communication de crise » (septembre 2022).
Caroline Diard
Docteur en sciences de gestion de l’institut Mines-Télécom Business School, Caroline Diard est professeur associé en management des RH et Droit à l’EDC Paris Business School. Elle intervient dans les domaines du droit du travail, politique de rémunération et dialogue social, vidéoprotection et télétravail. Elle a été précédemment DRH dans une société de biotechnologies et consultante.
Virginie Hachard
Enseignant-chercheur en Finance, Doyenne déléguée de la faculté, École de Management de Normandie, Laboratoire Métis
Dimitri Laroutis
Enseignant-chercheur en marketing, ESC Amiens, Laboratoire Cerm
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