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Vers les relations publiques de crise
La complexité des crises, la défiance générale et la vitesse de propagation de l’information obligent à un nouveau contrat communicationnel en situation de crise, davantage en lien avec les publics, pour instaurer la confiance. C’est ce que l’Observatoire international des crises (OIC) appelle « les relations publiques de crise ». Explications avec Didier Heiderich, président de l’OIC, formateur et directeur d’un cabinet dédié à la gestion des enjeux sensibles et des crises.
L’OIC a été créé en 2000. Comment avez-vous vu évoluer la communication de crise ?
Didier Heiderich. Née il y a une trentaine d’années, la communication de crise était essentiellement balistique, c’est-à-dire qu’on transmettait un message vers un interlocuteur identifié, principalement via des communiqués de presse, des prises de parole et des messages clés. Tout ceci existe toujours, mais aujourd’hui, il ne suffit plus de s’adresser aux médias, de convaincre des leaders d’opinion, pour qu’une communication de crise soit effective. Avec le cabinet que je dirige, nous intervenons sur une cinquantaine de crises à chaud par an et, depuis quelques années, nous avons constaté l’importance grandissante des relations directes et prioritaires avec les publics, qui ne se satisfont plus d’une communication unidirectionnelle et encore moins d’« éléments de langage ».
Le contrat communicationnel a muté dans une co-construction où chacun est acteur de la communication, notamment avec l’usage des réseaux sociaux. Par ailleurs, toute action identifiée comme un jeu de communication est immédiatement rejetée par les publics. Il règne dans la société une défiance générale. Tout est devenu opinion et aucune opinion n’a plus de valeur qu’une autre. C’est un vrai problème. Les publics n’attendent pas la vérité, ils attendent la vraisemblance.
« Les publics ne se satisfont plus d’une communication unidirectionnelle et encore moins d’éléments de langage. »
Didier Heiderich, président de l’Observatoire international des crises.
Dans ce contexte, comment communiquer en cas de crise ?
D. H. Avant toute chose, il faut rappeler que la capacité d’une organisation à résister à une crise dépend fortement de la relation qu’elle entretient préalablement avec ses publics, plus particulièrement dans les activités contestées en termes d’acceptabilité. Ce préalable est formalisé sous le terme anglo-saxon de « Social Licence to Operate » ou SLO. Il s’agit d’un ensemble de méthodes et moyens destinés à faire connaître et accepter une activité, généralement contestée, par des groupes sociaux, qui seront autant de remparts en situation de crise.
Ensuite, concernant la communication de crise en elle-même, rappelons qu’au départ, le mot communication veut dire mise en commun. Il faut donc accepter pleinement le rôle de celui avec qui on veut communiquer et considérer la relation dans toutes ses nuances : relation de confiance, de défiance, étroite, difficile, cordiale, brutale, publique, intime…
« Les relations publiques de crise nécessitent de prendre en considération la réalité de l’émotion et des attentes des publics et leur diversité. »
Didier Heiderich, président de l’Observatoire international des crises.
À l’Observatoire international des crises, on parle de relations publiques de crise. Cela signifie accepter une responsabilité au-delà de la communication descendante que suppose la communication de crise classique. Les relations publiques de crise nécessitent de prendre en considération la réalité de l’émotion et des attentes des publics et leur diversité.
Un exemple ?
D. H. On peut par exemple parler du crash du vol Air France 447 Rio-Paris. L’appareil s’est abîmé dans l’océan Atlantique le 1er juin 2009. L’accueil des familles et des proches des passagers a été organisé dans le terminal T2 de l’aéroport Charles de Gaulle, à l’écart du public. Cette mesure a permis d’apporter aux familles et aux proches l’aide psychologique nécessaire grâce à la présence d’une cellule spécialisée, tout en les protégeant des caméras déjà sur place.
Cette relation directe avec les proches des victimes a également permis de créer une cohésion entre Air France qui avait perdu son équipage et les familles des passagers disparus. Sans cela, la compagnie n’aurait certainement pas résisté aux polémiques qui seraient nées de l’absence de relation avec les proches des victimes. Ici, il n’est pas question d’éléments de langage ou autres artifices, mais bien de relation.
Après le crash du vol AF-447 Rio-Paris qui a causé la mort de 228 personnes, Air France a su instaurer une relation directe avec les proches des victimes et leur a apporté une aide psychologique avec l’aide d’une cellule spécialisée.
Avec qui créer cette relation ?
D. H. Lors d’une crise, il y a plusieurs publics à prendre en considération, qui possèdent chacun leur objectif, leur agenda, leurs préoccupations et leurs rapports à la crise. En relations publiques de crise, nous les distinguons selon une matrice intérêt/légitimité. Il ne faut pas établir une relation avec tous les publics, ni tous les légitimer. Une part de communication de crise « classique » demeure ainsi, destinée aux commentateurs, désormais très nombreux sur les réseaux sociaux, ou simples spectateurs. Le principal objectif les concernant et d’éviter qu’ils nuisent à la réputation de l’organisation ou de l’entreprise en crise. La relation s’établit avec les publics prioritaires, qui sont impliqués, impactés, concernés par la crise (voir le tableau ci-dessous).
Comprendre la signification de la crise pour ces publics prioritaires, leur relation à la crise, les perceptions, les émotions qui les traversent a autant d’importance que la construction même du langage. Sur cette base, on pourra définir des modalités d’approche et une posture propre à chaque acteur ou groupes d’acteurs. Attention cependant à conserver la cohérence inhérente à toute communication de crise.
Comment considérer les collaborateurs ?
D. H. Il est essentiel de compter les collaborateurs internes parmi les publics prioritaires. Communiquer en interne revient à reconnaître l’importance des collaborateurs mais aussi de leur rôle dans la résolution de la crise. Les équipes fédérées peuvent devenir un bouclier protecteur face à l’adversité avec chaque collaborateur en capacité et en légitimité d’être porte-parole dans son cercle d’influence et de confiance. Enfin, quelle que soit la nature de la crise, une fois passée la vague médiatique, c’est en interne que se font ressentir les stigmates des événements. Il est illusoire d’imaginer persuader les publics externes si les collaborateurs n’adhèrent pas au récit délivré par la direction de l’entreprise.
Comment regagner la confiance des publics ?
D. H. C’est en coulisse que tout se joue. La relation avec les publics prioritaires intervient dès le début de la crise. Un contrat communicationnel est à instituer, un planning doit définir les étapes de communication et les étapes destinées à établir la relation. Il est primordial que cette relation directe et privée avec les services chargés de gérer la crise soit discrète, la moins visible possible aux yeux des publics commentateurs ou hostiles, ce qui aurait pour effet de la décrédibiliser et de la rendre inopérante.
Ensuite, il est inutile de chercher une confiance totale, au risque de provoquer au contraire de la défiance. Il faut se demander sur quels domaines stratégiques la confiance doit s’exercer : gestion de la crise, responsabilité, transparence, probité, capacité à résoudre les problèmes… C’est souvent difficile. La communication de crise est une communication de combat, il faut accepter de prendre des coups pour sortir vainqueur de la crise. Mais cela permet de construire une communication de crise digne et légitime, et souvent de limiter les terrains d’affrontements.
Article extrait du n° 585 de Face au Risque : « Communication de crise » (septembre 2022).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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