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Sécurité des expatriés : une activité portée par la montée des risques
La multiplication des conflits armés, des épidémies ou des catastrophes naturelles nécessite une protection accrue ou une évacuation rapide des expatriés. Un métier très pointu en croissance soutenue.
Des entreprises spécialisées
Le déclenchement du Covid-19 en Chine début 2020 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février dernier a mis en ébullition le petit monde ultra-discret des ESSD (entreprises de services de sécurité et de défense) qui assurent l’évacuation d’expatriés dans les zones à hauts risques.
Ces sociétés, qui se comptent en France à peine sur les doigts de deux mains, font appel à des personnels triés sur le volet, formés aux environnements les plus dangereux et possédant une solide expérience sur le terrain.
« Les intervenants sont essentiellement des militaires aguerris, issus des forces spéciales, y compris des hauts gradés, mais on en trouve très peu provenant du ministère de l’Intérieur », nous explique Christophe Bonamy, président du Cefsi (Club des entreprises françaises de sûreté à l’international) qui rassemble sept sociétés très spécialisées.
Ce marché, qui évolue au fil des crises, est néanmoins en progression continue et estimé par les publications d’En Toute Sécurité à près de 200 M€ par an. Un montant confirmé par les principaux intervenants du secteur.
« Il s’agit souvent de missions extrêmement complexes à organiser, notamment parce qu’il faut s’adapter à des conditions d’intervention très évolutives et imprévisibles », ajoute le président du Cefsi.
« En Ukraine, nous sommes passés en quelques jours seulement d’un plan de gestion de crise à la gestion d’une situation d’urgence. Les axes routiers qui étaient sûrs un jour ne l’étaient plus le lendemain. Idem pour les points de ravitaillement ou les lieux de repos », explique Richard Terzan, PDG de Risk&Co (groupe Anticip), un acteur historique dans ce domaine.
Même s’ils sont armés, ces personnels ne prennent jamais parti pour l’un ou l’autre des belligérants, mais doivent préparer des évacuations de civils en terrain hostile, organiser le passage de leur convoi aux points de contrôle mis en place par des combattants plus ou moins identifiables, faire preuve d’une grande capacité de médiation en fonction des forces en présence, etc.
« Même si l’on doit agir dans l’urgence, le contact préétabli avec des interlocuteurs locaux est obligatoire », affirme Nathalie Félines, PDG d’Erys Group, un acteur significatif sur ce marché. C’est ainsi que des entreprises du CAC 40 ont fait appel à des opérateurs russes pour procéder à des évacuations hors d’Ukraine. Des extractions ont même été réalisées à partir de zones occupées par les troupes russes.
La problématique n’était pas identique lorsqu’il a fallu évacuer les expatriés de Chine au début du Covid ou après une catastrophe naturelle, mais les principes sont les mêmes.
L’employeur pénalement responsable
Quelles que soient les circonstances, le maître-mot est « préparation ». En amont, il faut par exemple posséder une liste exhaustive des collaborateurs, de leur famille, de leurs adresses personnelle et professionnelle, de leurs moyens de communication disponibles, etc. Tout cela ne peut pas se faire dans la précipitation.
L’employeur est d’ailleurs pénalement responsable de la sécurité de ses collaborateurs à l’étranger, ainsi que l’a édictée la jurisprudence « Karachi » qui se réfère au jugement condamnant le groupe DCNS (aujourd’hui Naval Group) à de très lourdes amendes pour n’avoir pas assez pris de précautions pour éviter l’attentat de 2002 au Pakistan qui s’était soldé par la mort de onze de ses employés.
« Les directeurs sécurité sont de plus en plus en alerte sur la question des expatriés dans les zones à risque et ils sont davantage écoutés par leur direction générale », analyse Nicolas Chareyre, directeur général de SSF, filiale de sécurité à l’international du groupe Scutum.
« Les directions générales des grands groupes ont pris conscience des risques encourus dans les zones dangereuses et ont généralement mis en place de nombreuses mesures de précaution, mais ce n’est pas toujours le cas des PME où le risque est minimisé », affirme pour sa part Nathalie Félines.
Les habitudes sont cependant difficiles à changer. « La France a du mal à anticiper les risques. Cela reste un vrai problème culturel, mais on y vient petit à petit, au fur et à mesure que les crises éclatent », souligne pour sa part Christophe Bonamy.
C’est justement quand rien n’est prévu à l’avance que les interventions sur le terrain se compliquent. « Des entreprises françaises ayant des salariés en Ukraine n’avaient pris aucune précaution et ont paniqué durant les premiers jours de l’invasion russe. Elles étaient prêtes à tout pour les rapatrier et certains intervenants en ont profité pour gonfler exagérément leurs tarifs », affirme le président du Cefsi. On évoque même des prix qui ont été multiplié par cinq – voire davantage – à cette occasion par rapport à un niveau jugé courant de 20 à 30 000 € pour une évacuation. Trouver au dernier moment une voiture blindée sur place ou un bon connaisseur des tactiques de l’armée russe n’est certainement pas chose facile.
« L’employeur est pénalement responsable de la sécurité de ses collaborateurs à l’étranger, ainsi que l’a édictée la jurisprudence “Karachi”. »
Géolocalisation à haute précision
En fait, ces dernières années, les entreprises ont multiplié les décisions de simple bon sens : diminuer le nombre d’expatriés en donnant la priorité à l’embauche de collaborateurs locaux, faire partir des célibataires plutôt que des familles entières dans les zones à risque.
Elles ont également adopté les outils de veille conçus par la plupart des ESSD, intégrant des modules d’intelligence artificielle. Cette formule par abonnement permet au directeur sécurité ou à sa direction générale d’être alertés sur les signaux faibles d’une potentielle crise à venir. Il est possible de recevoir des informations sur une région particulière d’un pays, sur une ville ou même sur un site industriel. Durant les premières semaines de la crise du Covid en Chine, en janvier 2020, des sociétés occidentales très implantées dans ce pays ont par exemple bénéficié d’un outil de veille délivrant plusieurs rapports par jour, tant la situation était mouvante.
Des plans d’évacuation d’urgence avec des « fiches réflexes » peuvent être élaborés en amont, de même que l’organisation d’exercices réguliers de simulation ou de diverses actions de sensibilisation du personnel concerné.
Des outils de géolocalisation de haute précision sont mis à la disposition des expatriés pouvant être exposés à des risques afin de tracer leurs déplacements.
« L’apport des nouvelles technologies est devenu déterminant et leur installation doit se faire hors du temps de la crise, tout en respectant la réglementation RGPD ou les positions de la Cnil », explique Nicolas Chareyre.
Les messageries de groupes sur WhatsApp – faciles à mettre en place et très rassurantes – tendent également à se généraliser.
En cas de catastrophe naturelle, les autorités ou des services de secours peuvent utiliser des systèmes de communication de masse – jusqu’à plusieurs centaines de milliers de personnes – proposés par des entreprises, à l’instar de l’américain Everbridge ou de divers opérateurs téléphoniques. Pour sa part, le ministère français des Affaires étrangères propose un service online, baptisé Ariane, qui permet aux voyageurs inscrits de recevoir des messages d’alerte par e-mail ou SMS.
« Ces dernières années, les entreprises ont multiplié les décisions de simple bon sens : diminuer le nombre d’expatriés, faire partir des célibataires dans les zones à risque. »
« Show-off » ou « low profile »
Les méthodes d’intervention françaises sont extrêmement différentes de celles des groupes anglo-saxons. « Nos entreprises s’appuient largement sur des acteurs locaux, alors que les groupes anglo-saxons comptent surtout sur leur propres forces qu’ils veulent très dissuasives en mobilisant des équipements lourds et visibles, comme des véhicules blindés dotés d’un armement puissant », analyse Christophe Bonamy.
« Pour employer des anglicismes, les anglo-saxons sont dans le show-off, alors que les français sont dans le low profile, c’est-à-dire dans la vitesse d’exécution et la discrétion », complète Nicolas Chareyre. En Ukraine, les évacuations en bus à l’apparence anonyme ou en simples voitures ont été fréquentes.
Néanmoins, la méthode des ESSD tricolores – même si leurs compétences sont reconnues – n’est pas systématiquement adoptée par les autorités françaises : elles font en effet appel à des firmes anglo-saxonnes pour la protection de leur ambassade dans plusieurs pays à hauts risques. De plus, l’armée française est encore largement utilisée pour assurer la sécurité de ce type de site, alors que ce sont des groupes privés qui assurent la protection des ambassades américaines ou britanniques. « Nous souhaitons une externalisation afin que ces missions de sécurité soient confiées à des sociétés privées. Si ce processus était engagé, la taille des ESSD françaises pourrait être multipliée par trois ou quatre. Et nous serions alors pleinement compétitifs », affirme le président du Cefsi.
Les géants comme G4S, DynCorp ou Garda, qui bénéficient de contrats massifs de la part des États, sont en effet moins chers que les entreprises françaises de taille nettement plus petite. Si le chiffre d’affaires des premiers se comptent en centaines de millions de dollars, celui des firmes hexagonales se chiffre en une petite poignée de dizaines de millions d’euros, voire seulement à quelques millions d’euros. C’est ainsi qu’Amarante tourne par exemple autour de 35 M€ par an, Geos (groupe Adit) et Erys Group autour de 20 M€, Risk&Co (groupe Anticip) de 10 M€, alors que Sentinel et Heracles sont en-dessous.
Mais l’on trouve aussi une pépite atypique : International SOS, fondée en 1985 par deux français installés à Singapour. Devenue le leader mondial des services d’évacuations médicales en cas d’épidémies ou de catastrophes naturelles, elle s’est diversifiée dans la sécurité des voyageurs … en s’associant avec le britannique Control Risks.
Article extrait du n° 584 de Face au Risque : « Reconnaissance faciale » (juillet-août 2022).
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