La vidéosurveillance à l’heure du rebond
Après avoir subi un petit ralentissement en 2020 lié à la pandémie de Covid-19, la demande pour la vidéosurveillance est repartie de plus belle. La période post-élection présidentielle devrait relancer les réformes.
La vidéosurveillance a décidément le vent en poupe : même pendant une conjoncture particulièrement défavorable, ce marché reste en progression.
C’est ainsi qu’en 2020 – année marquée par les confinements en raison de l’épidémie de Covid-19 –, le secteur a enregistré une croissance de 1,5 %, alors que l’ensemble de la filière sécurité a reculé de 3,1 %, selon les statistiques d’En Toute Sécurité. Des chiffres à comparer avec la chute historique du PIB de la France à – 8,3 %, selon l’Insee.
Un secteur en croissance
Le millésime 2021 a renoué avec la tendance des années précédentes : la croissance a été de 5,2 % pour dépasser un chiffre d’affaires de 1,6 Mrd € en cumulant les ventes des fabricants, intégrateurs, distributeurs et installateurs, selon les premières estimations d’En Toute Sécurité.
« La demande est restée à un niveau élevé. En 2020, les entreprises de vidéosurveillance ont continué à exercer leur métier, bien que les conditions sanitaires aient freiné certains projets. Depuis, les affaires sont bien reparties », nous déclare Patrick Lanzafame, président du GPMSE, syndicat qui regroupe les entreprises d’installation de sécurité électronique.
Le constat est identique pour Dominique Legrand, président de l’AN2V, association qui réunit 140 acteurs de l’univers de la vidéosurveillance : « Le marché a été figé en 2020, mais a connu un effet rattrapage l’année suivante. La tendance est toujours à la croissance si l’on prend un peu de recul », nous dit-il.
Des évolutions variables selon les segments de clientèle
Le véritable baromètre de la conjoncture est l’évolution de la demande émanant des bureaux d’études, car ils travaillent environ un an en amont de la concrétisation des projets sur le terrain. « Actuellement, ils sont débordés, signe que la croissance va encore s’accélérer dans les prochains mois », constate le président de l’AN2V.
« On remarque une multiplication des projets de vidéosurveillance en milieu rural. La loi Sécurité globale de 2021 permet en effet de mettre en place un PC départemental. »
Patrick Haas, directeur d’En Toute Sécurité.
On remarque par exemple une multiplication des projets de vidéosurveillance en milieu rural. La loi Sécurité globale de 2021 permet en effet de mettre en place un PC départemental agrégeant les systèmes de protection de plusieurs communes, ce qui n’était pas autorisé auparavant.
Monter un CSU (centre de supervision urbaine) n’est en effet pas à la portée de toutes les bourses. Il faut compter 0,50 M€ en investissement, auquel s’ajoute le fonctionnement, c’est-à-dire une masse salariale d’au moins une quinzaine d’opérateurs, ce qui fait monter l’addition très vite. D’où l’intérêt pour les petites collectivités locales de s’associer pour mettre en œuvre un projet commun.
Autres segments de clientèle ayant également le vent en poupe : les sites logistiques et les data centers, dont l’implantation se multiplie sur le territoire. « La demande devrait être soutenue pour les sites sportifs dans la perspective de la Coupe du monde de rugby de l’année prochaine et des Jeux olympiques de 2024. Le renouvellement des équipements de vidéosurveillance des stades devrait être significatif », prévoit Patrick Lanzafame. Sur un tout autre segment, celui des particuliers, les perspectives sont également attrayantes, avec une technologie tout à fait innovante comme la connexion d’une caméra surveillant l’appartement avec le smartphone de l’utilisateur.
En revanche, la banque perd du terrain, car le réseau d’agences se réduit comme une peau de chagrin.
Un impératif de réactivité
Si la pandémie n’a pas significativement affecté la profession, elle a cependant laissé des traces : elle a provoqué une prise de conscience de la part des donneurs d’ordres qui se sont rendu compte que les configurations existantes étaient insuffisantes et surtout qu’elles devaient s’adapter à des nouveaux besoins.
Pratiquement du jour au lendemain, les opérateurs de vidéosurveillance ont été incités à proposer de nouveaux services, comme le comptage des personnes portant un masque, le respect de la distanciation, la détection d’un individu dans un lieu alors que le couvre-feu est décrété, etc.
« La demande a évolué : il ne s’agit plus de déterminer un nombre de caméras nécessaires sur un site, mais d’exprimer tout d’abord un besoin, comme le comptage des personnes. Ce n’est qu’après que la configuration des matériels et des logiciels est examinée », souligne Dominique Legrand.
En outre, la vidéosurveillance – aujourd’hui qualifiée d’intelligente – est désormais utilisée pour des applications qui n’ont rien à voir avec la sécurité. Et souvent, ce sont les mêmes caméras qui fournissent des images pour des usages différents, comme la détection de vol dans un magasin et la fréquentation des rayons par les consommateurs.
L’analyse en temps réel d’un événement est devenue prioritaire, par exemple afin de déterminer s’il est nécessaire de faire une intervention sur place. Mais l’analyse peut également porter sur un incident ayant déjà eu lieu, de sorte qu’il faut un outil évolué de recherche et de sélection des images pour effectuer une enquête rapide et efficace. L’utilisateur peut aussi avoir besoin d’une analyse prédictive. Cela peut être le cas lorsque la police fixe la taille de son dispositif d’intervention en vue d’un événement à risque – le réveillon de fin d’année, par exemple – afin de lutter contre la délinquance et les incendies de voitures, en se basant sur les données accumulées depuis plusieurs années.
Ces nouveaux usages supposent des logiciels puissants, utilisant la technologie de l’intelligence artificielle (IA). Ils nécessitent donc des compétences pointues en informatique, ce qui n’est pas à la portée de tous les intégrateurs de solutions. Parallèlement, on note depuis deux ans l’irruption de nombreuses start-up spécialisées dans l’IA pour les applications de sécurité. L’environnement économique et financier leur est favorable, car les fonds d’investissement et les « capital- risqueurs » ne manquent pas pour les soutenir.
Une baisse des prix récurrente
Conséquence de la pandémie, les dépenses des entreprises de vidéosurveillance ont augmenté, en raison de sources d’approvisionnement perturbées, de coûts de transport supplémentaires, d’achats d’équipements sanitaires, etc.
« Conséquence de la pandémie, les dépenses des entreprises de vidéosurveillance ont augmenté. Pourtant, les prix de vente n’ont pas été réévalués. »
Patrick Haas, directeur d’En Toute Sécurité.
Pourtant, les prix de vente n’ont pas été réévalués. « Les hausses de coûts n’ont pas été répercutées auprès des clients, souligne Patrick Lanzafame. La pénurie de composants perturbe la production et le bout du tunnel ne sera pas en vue avant la fin 2023-début 2024. Les entreprises qui tirent bien leur épingle du jeu sont celles qui disposent de stocks importants. »
Ce phénomène, largement imprévisible, a nécessité la mise en place de principes de précaution : pour les nouveaux contrats, certaines sociétés de sécurité proposent d’inclure une clause d’imprévisibilité, ce qui provoque parfois des négociations serrées avec les donneurs d’ordres.
En cas de rupture dans la chaîne d’approvisionnement – cela se produit par exemple à cause de la guerre en Ukraine, pays concepteur et fabricant de systèmes de sécurité performants –, les industriels français sont contraints de se tourner vers des produits moins ergonomiques.
« Comme l’offre est très large, il existe toujours une solution de contournement pour pallier ce type de problème », explique Dominique Legrand qui, lui non plus, ne constate pas d’augmentation des prix, mais au contraire perçoit la poursuite d’une baisse en vigueur depuis trois décennies. Une tendance similaire à ce qui se produit dans la micro-informatique où les tarifs sont moins élevés, alors que les performances techniques grimpent.
Évolution du marché de la vidéosurveillance en France
Une réglementation en retard sur d’autres pays européens
Seule ombre au tableau : le contexte réglementaire comporte des lacunes. Depuis des années, la profession se bat pour obtenir l’autorisation de la reconnaissance faciale dans les lieux publics. Actuellement, cela est interdit en France, principalement parce que la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) s’y oppose, en application du droit en vigueur.
Des expériences très locales ont eu lieu, dont la plus connue s’est déroulée lors du carnaval de Nice en février 2019. Néanmoins, les pouvoirs publics ont annoncé fin 2021 que la reconnaissance faciale ne sera pas utilisée lors des Jeux olympiques de 2024, ce qui aurait pourtant pu constituer une vitrine mondiale pour la technologie française de sécurité électronique.
La France apparaît donc très en retard sur ce plan par rapport à d’autres pays européens à l’instar de l’Espagne ou de la Grande-Bretagne où la reconnaissance faciale est opérationnelle. En fait, cette situation pourrait changer. La Cnil a publié en février dernier un projet de position sur la vidéosurveillance intelligente soulignant tout d’abord qu’aucun dispositif du code de sécurité intérieure n’encadre les conditions de mise en œuvre de cette technologie. La Commission affirme que la capacité d’analyser automatiquement des données doit « respecter l’ensemble de la réglementation applicable en matière de données à caractère personnel », c’est-à-dire le RGPD et la loi Informatique et Libertés (lire aussi l’article “Caméras augmentées : faut-il libérer l’intelligence artificielle ?“).
Ce genre de sujet sensible ne pouvait être traité sereinement et en profondeur quelques semaines seulement avant les élections présidentielles. Une fois cette échéance passée – et celle des législatives –, il est probable que la nouvelle équipe gouvernementale va s’emparer de ce thème. La période courant juste après de tels événements politiques est propice à des modifications sociétales importantes.
« Si ce dossier était refermé sans solution adaptée aux évolutions de la demande, la profession se trouverait dans une position intenable », avertit le président de l’AN2V.
Répartition des ventes par segment de clients en 2022
Selon Patrick Lanzafame, président du GPMSE, avec les prochains événements sportifs organisés en France, le renouvellement des équipements de vidéosurveillance des stades devrait être significatif.
Étude réalisée par En Toute Sécurité.
Article extrait du n° 582 de Face au Risque : « POI-PDI : être opérationnel » (mai 2022).
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