L’an 2021 fait long feu à Saint-Chamas

25 mai 202216 min

Le 26 décembre 2021, un incendie éclate dans un centre de recyclage de déchets à Saint-Chamas, au nord de l’étang de Berre. Après 26 jours d’engagement des pompiers, le feu est déclaré éteint le 20 janvier 2022. Mais pas vraiment ! Alors que la nuit tombe, les structures démantelées sont à nouveau éclairées par les flammes… Un second « feu éteint » sera décrété par la préfecture des Bouches-du-Rhône le 17 février 2022, soit 54 jours plus tard !

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Le 26 décembre 2021, vers 9 h, le Sdis13 (service départemental d’incendie et de secours  des Bouches-du-Rhône) est alerté par des riverains de la société Recyclage Concept 13. Le feu fait rage à plusieurs endroits de l’énorme stock de plus de 30 000 m³ de déchets de type DIB (déchet industriel banal). Ils sont répartis dans les trois hangars accolés et sans recoupement s’étendant sur une superficie de plus de 3 000 m².

Le sombre et épais panache est visible à 50 km. Le feu, par endroits, atteint la toiture et se communique à l’installation photovoltaïque qui couvre les deux principaux hangars.

Des renforts sont demandés. On s’engage d’emblée dans une opération de très longue durée. Les poteaux d’incendie sont rares dans ce secteur et le poteau privé du site est hors service. Un cours d’eau passant à 200 m fournira une source d’alimentation pérenne.

Il n’est déjà plus possible de tenter de faire la part du feu dans cet immense tas d’une hauteur moyenne de 10 m sans rupture de matière.

Un arrosage massif à l’aide de lances-canons est décidé, après que plusieurs kilomètres de tuyaux de gros diamètre ont été établis vers l’unique point d’aspiration. L’espace est exigu autour des bâtiments et il n’est pas possible de sortir et d’étaler la matière pour la noyer.

Les bardages d’acier et de panneaux translucides occultant les façades tombent, offrant plus d’accessibilité au feu, mais soumettant conjointement ce brasier aux régimes du vent. Le Mistral, vent de nord, ne souffle pas et, aidé par la convexion, le panache s’élève en altitude.

Incendie de Saint-Chamas - Crédit : René Dosne-Face au Risque

Le vent tourne

À partir du 27 décembre, le vent s’oriente au sud-est. Il place plusieurs communes sous la fumée qui maintenant retombe au sol, le feu ayant perdu sa virulence initiale. C’est dans un véritable brouillard que les communes de Saint-Chamas (8 000 habitants), Istres (43 000 hab.) et Miramas (26 800 hab.) sont plongées.

Les prélèvements d’air effectués sont préoccupants. On atteint 150 μg/m³ de particules fines (le seuil d’alerte est à 80 μg/m³), entraînant des mesures de prévention auprès des habitants : pas de sortie pour les personnes fragiles, pas de sport de plein air, pas de récréation dans les écoles à la rentrée des vacances de Noël…

Durant quatre jours, ce régime de vent va perdurer, entraînant par ailleurs l’arrêt de trois entreprises au vent.

La société Recyclage Concept 13 exploite une installation de recyclage de déchets divers, cartons, bois, pneus, métaux.

Les rives de l’étang de Berre sont à 1,5 km, le premier lotissement est à 200 m et les lisières de la commune de Saint-Chamas à 250 m.

Grossièrement broyée, la matière est dirigée via une bande transporteuse dans 3 hangars métalliques d’un seul tenant, totalisant près de 3 000 m². Hauts de 12 à 15 m, les 3 hangars d’acier et de bardage abritent environ 30 000 m³ de déchets !

Il n’existe pas de compartimentage réel entre ces 3 hangars et des débordements extérieurs aux bâtiments constituent une continuité combustible.

Plus de 2 000 m² de panneaux photovoltaïques coiffent les toitures des hangars 1 et 2.

Au regard de la réglementation, le volume de déchets stockés ne doit pas dépasser 1 000 m³.

Problème de rétention

Les consignes de la Dreal sont de ne pas arroser massivement, puisqu’il n’y a pas de rétention, pour éviter une pollution des sols… Il faut dans ce type d’incendie choisir son vecteur de pollution : soit l’air, soit le sol !

Ce sont bientôt une soixantaine de sapeurs-pompiers et une douzaine d’engins qui se trouvent au chevet de ce tas fumant ou brûlant selon le vent…

Le maire de Saint-Chamas, directeur des opérations de secours (DOS), prend un arrêté pour qu’un bassin de rétention soit créé.

Le 31 décembre, les travaux de terrassement sont achevés, après la pose d’un film plastique assurant l’étanchéité, c’est un bassin de 4 000 m³ qui est prêt à recevoir les eaux d’extinction.

Incendie de St Chamas - Création d'une rétention - Crédit : Sdis13

Création d’un bassin de rétention de 4 000 m³ – Crédit : Sdis13.

Commence alors une opération de noyage massif au moyen de trois lances sur échelles aériennes et trois lances-canons.

Un robot d’extinction est également dépêché ponctuellement pour s’engager sous les structures menaçant ruine, ainsi qu’une lance-canon sur engin grande puissance. L’objectif principal de cette manœuvre, au-delà du refroidissement de la masse en feu est de diminuer au maximum le volume des fumées afin de protéger au mieux les populations qui sont exposées au panache.

Ce dispositif hydraulique est alimenté à partir de deux points respectivement à 350 et 850 m, entraînant l’établissement de 6 km de tuyaux !

Échec de la mousse

Une action mousse est engagée, à partir d’une réserve de 10 000 l d’émulseur fournie par le département de l’Aude. L’action d’étouffement par constitution d’un tapis de mousse est cependant anéantie par la pluie. Elle tombe le 1er janvier et… détruit le tapis.

Les prélèvements d’air sont maintenant négatifs et le vent soufflant du nord pousse les fumées vers l’étang de Berre, épargnant l’essentiel des zones habitées.

Il faut diminuer au maximum le volume des fumées afin de protéger les populations exposées au panache – Crédit : Sdis13.

Incendie de St Chamas : Crédit Sdis13

Étaler la montagne de déchets

Trois lances-canons restent braquées sur l’énorme tas fumant. Mais il faut, pour éteindre ce feu, en étaler la matière pour la noyer. Seule une aire bétonnée d’environ 7 000 m² longeant le hangar n° 3 peut le permettre. Il faut préalablement engager des engins de manutention sous les structures instables. Le maire prend alors un arrêté de destruction du hangar n° 3, qui sera validé par le préfet le 5 janvier.

Commencée le 7, la démolition est effectuée en deux jours, permettant l’extinction complète de son contenu, soit environ 3 000 m³.

Du 7 au 13 janvier, nouvel imprévu : le Mistral détruit le film étanchéifiant le bassin de rétention ! L’extinction est réduite, le tas fume de nouveau.

Le 14 janvier, le contenu du hangar n° 3, situé en bordure du tas, est éteint.

Du 13 au 18 janvier, plusieurs entreprises situées dans l’axe du vent de nord, à moins de 500 m du feu, sont contraintes au chômage technique (55 employés concernés).

Du 15 au 20, on procède à l’abattage des fumées et au refroidissement de la masse en combustion à l’aide de lances-canons.

Il n’existe pas de moyens de lutte dimensionnés au regard du risque présent.

Un poteau d’incendie privé implanté sur le site n’est pas alimenté (démarches entreprises par l’exploitant auprès de la mairie).

Les poteaux d’incendie publics sont à plus de 200 m et un ruisseau coulant à plus de 800 m peut offrir un accès pour la mise en aspiration d’engins.

Le centre de secours le plus proche est à Miramas.

Un feu deux fois éteint

Enfin, le 20 janvier, le tant attendu message « feu éteint » est transmis, à 17 h 45. Les sapeurs-pompiers se retirent. Le vent souffle ce jour-là à 80 km/h.

Toutefois, flammes et fumées réapparaissent sporadiquement sur le site alors que l’étalement des déchets se poursuit.

Les hangars 1 et 2 sont démontés du 10 au 11 février. Dans le même temps une zone tampon est créée, une grande partie des déchets du hangar 3 y seront déposés. Les opérations de noyage sont alors beaucoup plus efficaces dans la mesure où l’accès aux 10 000 m³ restant de déchets qui se consument est désormais possible. Ce n’est alors que le 17 février, après qu’un drone des sapeurs-pompiers a vérifié qu’aucun point chaud ne subsistait dans la montagne de déchets, que le feu est enfin déclaré éteint, 28 jours après le premier « feu éteint ».

Non-conformité de l’installation

Cet incendie hors normes en matière de durée d’extinction, commencé en 2021 et maîtrisé en 2022, plus de 50 jours après son éclosion, appelle de nombreuses observations.

L’origine du feu, soumise à enquête, survient dans un contexte tendu entre l’exploitant et la commune de Saint-Chamas. L’entreprise, ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement) soumise à déclaration, est mise en demeure de mettre ses installations en conformité : volume de stock dépassant les quantités autorisées, moyens de secours contre l’incendie défaillants…

L’entreprise locataire des lieux appartient à un groupe gérant plusieurs sites de recyclage.

Ce dernier, loué 9 mois avant, était déjà hors normes lors de sa cession puisque le site, autorisé pour 1 000 m³, en contenait déjà au moins 20 000 !

Le 14 décembre, un arrêté est pris à l’encontre de l’entreprise, après rapport de la Dreal, mais l’exploitant ne pense pas pouvoir réduire son stock aux 1 000 m³ réglementaires d’ici le 31 décembre.

Les sapeurs-pompiers, selon leur procédure, anticipent alors les moyens nécessaires en cas d’incendie dans cette entreprise en avis défavorable. 9 000 l/minute y seraient nécessaires pour combattre efficacement un sinistre.

L’incendie éclate le 26 décembre, 5 jours avant la fin du délai octroyé par la préfecture pour mettre l’entreprise en sécurité. Celle-ci est sous vidéosurveillance et il semblerait qu’une personne ait été détectée sur le site. Les vidéos sont examinées par la Gendarmerie.

Laisser le feu mourir ?

Lorsque les secours se présentent, le feu est déjà bien développé en différents endroits dans l’imposante montagne de déchets touchant en certains endroits la toiture des hangars.

Le site n’étant pas sous rétention et, au regard des quantités d’eau nécessaires à l’extinction, la Dreal, qui vraisemblablement pense que la quantité de 1 000 m3 n’est pas dépassée puisqu’elle n’est pas encore venue sur les lieux, conseille de laisser le tas brûler, estimant qu’il se consumera en une semaine. Il faudra en fait plus d’un mois et demi !

C’est aujourd’hui, lors de feux impliquant de grandes surfaces ou de grands volumes, une option parfois envisagée : établir un dispositif de protection périphérique, mais laisser le feu mourir « de sa belle mort ». On doit alors faire le choix de la pollution atmosphérique ou des sols, nappes phréatiques ou cours d’eau environnants.

Encore faut-il que l’urbanisation voisine et l’orientation du vent le permette. On a constaté, depuis l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen, une prise en compte systématique des retombées, aux sens propre et figuré, des nuages générés par les gros incendies, tant l’impact médiatique est fort.

Un bassin de rétention réalisé dans l’urgence

Mais il apparait bientôt, à mesure que le feu se propage à l’ensemble du tas de déchets, que la parole va finalement être laissée aux lances-canons. Mais pas avant que les eaux ne soient retenues ! 300 000 € avancés par la commune (le terrain concerné appartient à la métropole Aix-Marseille) vont permettre de réaliser une rétention de 4 000 m³ récupérant, à partir du 31 décembre, les eaux d’extinction.

L’extinction d’une montagne de déchets, faite de papiers, cartons, bois, pneus, mais aussi d’appareils électroménagers aux multiples composants, est difficile à éteindre. Il existait il y a plusieurs décennies des lances faites d’un tube perforé de multiples trous (lance Bourgeois) planté dans la matière en ignition pour l’éteindre à cœur. Ces lances n’existent plus.

Les sapeurs-pompiers utiliseront à Saint-Chamas de l’eau « dopée » au pouvoir pénétrant pour traiter le feu en profondeur (des « cheminées » se créent progressivement dans la masse en ignition) avant de le recouvrir d’un tapis de mousse. Ce tapis sera partiellement détruit par les chutes de pluie, les toitures ayant été détruites lors de la phase initiale et violente du feu.

Les sapeurs-pompiers utiliseront à Saint-Chamas de l’eau « dopée » au pouvoir pénétrant pour traiter le feu en profondeur (des « cheminées » se créent progressivement dans la masse en ignition) avant de le recouvrir d’un tapis de mousse. Ce tapis sera partiellement détruit par les chutes de pluie, les toitures ayant été détruites lors de la phase initiale et violente du feu.

Incendie de St Chamas - Eaux d'extinction puisée dans la Touloubre à 200 m - Crédit Sdis13

Le poteau privé du site est HS. C’est la Touloubre, à 200 m de là, qui fournit une source pérenne d’alimentation – Crédit : Sdis13.

Trois hangars à démonter

L’extinction par épandage des déchets implique que les hangars soient démantelés avant que les pelles-mécaniques progressent. Le premier, d’environ 1 000 m², l’a été en deux jours grâce à deux engins spéciaux. L’étalement et l’extinction progressive a ainsi pu commencer.

Mais il fallait, pour poursuivre, détruire les deux hangars principaux, d’une surface au sol de 2 200 m², plus imposants.

Au 20 janvier, ces hangars étaient encore debout, des accords sur le paiement de l’opération n’ayant pas été trouvés.

La pollution

Les nuisances créées par les fumées étaient directement dépendantes de l’orientation du vent et de l’intensité du feu. Lorsqu’il est vif et producteur de flammes, la convection l’élève. Mais lorsqu’il est couvant, il fume, répandant une pollution au sol.

Le 27 décembre, le vent de nord qui poussait les fumées vers l’étang de Berre tourne au sud-est, impactant la commune de Saint-Chamas (dont les premières maisons se trouvent à 250 m) et ses 8 000 habitants plongés dans un brouillard qui porte à 150 μg/m³ la concentration de particules fines… La concentration de styrène est elle aussi supérieure au seuil d’alerte.

Les jours et semaines suivants, le vent dominant de nord pousse à nouveau les fumées en direction de l’étang de Berre, survolant au passage quelques entreprises impactées, forcées au chômage technique.

Des mesures de précaution durant la phase de noyage sont appliquées aux personnels, sapeurs-pompiers ou civils intervenant sur site. Compte tenu de la présence d’effluents potentiellement toxiques, ARI, masques à cartouche, bottes en plastique sont employés. Les tenues d’intervention utilisées 24 heures sur zone sont envoyées au lavage.

Plus généralement, on observe durant cette longue intervention de plein air que le vent brasse les fumées, même dans les hangars dont les parois ont été détruites par le feu dès les premiers jours.

Selon le réseau de surveillance de la qualité de l’air Atmosud, la pollution aurait atteint au plus haut 240 µg/m³ de particules fines soit 3 fois le seuil d’alerte, niveau comparable à ceux relevés à Pékin lors de pics de pollution !

Si des signalements pour symptômes irritatifs ont été relevés auprès des professionnels de santé du secteur, leur fréquence a diminué dès le 27 janvier, à la suite de la baisse significative de la concentration de particules fines (un mois après le début de l’incendie).

Le coût exorbitant des opérations

Cette intervention hors norme aura été impactée par la composante financière, incontournable, et ne pouvant être assurée par l’exploitant. Il faut procéder à des travaux d’urgence sur réquisition, comme la réalisation d’un bassin de rétention de 300 000 € que la métropole avance, et que l’exploitant devra rembourser.

C’est aussi le coût du démantèlement des trois hangars, préalable à toute opération d’étalement des déchets en feu.

C’est enfin l’évacuation des déchets partiellement brûlés vers d’autres centres de retraitement, assurée elle aussi par la métropole.

Plusieurs plaintes déposées

Un mois après l’incendie, l’association France Nature Environnement 13 a déposé plainte contre l’État pour trois infractions : pollution de l’air, pollution de l’eau et non-respect des règles gérant les ICPE. Pour le président de l’association, « c’était une catastrophe prévisibleNous savions dès le jour où ça a pris feu que ça n’allait pas se régler en une semaine. L’État ne pouvait pas l’ignorer ».

Pour sa part, la municipalité de Saint-Chamas a déposé plainte pour mise en danger de la vie d’autrui.

L’impact environnemental de ce sinistre fait l’objet d’une analyse globale et détaillée par l’Ineris.

Les feux éclatant dans les centres de retraitement de déchets sont nombreux.

Les causes sont multiples : échauffement d’éléments mobiles de bandes transporteuses, production d’étincelles par choc d’éléments métalliques, pics de température l’été. Mais l’on a vu, partout en Europe, le nombre de feux « exploser » depuis l’arrivée des batteries lithium-ion. Il y aurait eu entre 2016 et 2019 autant de feux qu’au cours des 15 années précédentes selon le Barpi.

Dans Face au Risque, nous avons relaté le feu d’usine d’incinération à Issy-les-Moulineaux (Face au Risque n° 426, octobre 2006) dans un site, à l’arrêt, aux dimensions imposantes. Ainsi que la destruction partielle d’un récent centre de traitement et de recyclage de déchets à Fos-sur-Mer survenu le 2 novembre 2013. Le feu s’est propagé au sein de toutes les installations via les bandes transporteuses. Les opérations de lutte se sont déroulées sur 6 jours, avant que l’abattage des structures permette le noyage complet (Face au Risque n° 499, janvier 2014).


Article extrait du n° 582 de Face au Risque : « POI-PDI : être opérationnel » (mai 2022).

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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