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Prévention des RPS : “Il est urgent de créer des conditions de sécurité psychologique au travail”
Christophe Nguyen est psychologue du travail et co-fondateur du cabinet Empreinte Humaine, spécialisé dans la santé et sécurité psychologiques au travail et à l’origine de plusieurs enquêtes statistiques sur la santé mentale des salariés pendant la crise sanitaire. Son expérience terrain et le bilan tiré des enquêtes lui permettent de fournir des repères et bonnes pratiques pour préserver la santé mentale des salariés. Il a notamment co-écrit un guide sur le sujet et nous livre ici ses principaux conseils.
Quel est l’impact de la crise due au Covid-19 sur la santé psychologique des salariés ?
Christophe Nguyen. Tout le monde est d’accord pour dire que cette crise sanitaire est aussi une crise psychologique. La détresse psychologique, qui recouvre à la fois des symptômes de dépression, d’anxiété et d’épuisement, a fortement augmenté et n’a épargné aucun métier ou secteur.
L’isolement dû au télétravail et la dégradation des conditions de travail ont entraîné beaucoup de fatigue, d’épuisement et de burn-out. La perte de repères a également engendré de nombreux questionnements sur le sens du travail avec, pour conséquence, une démotivation, ce qui a pu mettre à mal l’estime de soi des salariés.
À l’inverse, certains se sont surinvestis dans le travail au détriment de leur santé ou vie personnelle. On a vu une montée en flèche des consultations psychologiques, un développement
des troubles anxieux, le triplement des épuisements professionnels en un an. Aujourd’hui encore, plus de 50 % des salariés affirment rencontrer des difficultés psychologiques à cause de leur travail.
Quels facteurs de risques psychologiques ont été les plus amplifiés par la crise sanitaire ?
C. N. Pour beaucoup, la charge de travail a clairement augmenté pendant la crise, avec notamment des amplitudes horaires plus larges pour les télétravailleurs. L’isolement, l’effritement du collectif, la perte du lien social et du sentiment d’appartenance sont aussi des effets délétères qui ressortent de nos baromètres. Tout comme le fait d’être empêché de bien effectuer son travail, en particulier pour les managers.
On a aussi vu remontrer des problématiques de reconnaissance pour les télétravailleurs, mais aussi le sentiment d’iniquité entre salariés. La multiplication des protocoles et l’instabilité de la situation a fait perdre aux salariés leurs repères professionnels : parfois ils ne savaient plus comment travailler ensemble, ce qu’on attendait d’eux…
Ce qui est très important de relever aussi, c’est la dégradation des relations entre les personnes avec l’augmentation de l’agressivité et des incivilités entre collègues, avec le management ou avec les clients. Avec le télétravail contraint, il n’y avait plus ce temps informel où l’on prend le temps de s’expliquer. Et l’état psychologique des gens, en détresse, fatigués, les rendait plus hostiles.
« La prise en compte des RPS doit être intégrée dans cette nouvelle organisation de travail hybride, en considérant notamment les risques d’isolement, d’effritement du collectif… »
Christophe Nguyen, psychologue du travail et co-fondateur du cabinet Empreinte Humaine.
Qu’a modifié la crise sanitaire dans la prévention des RPS ?
C. N. Le sujet n’est plus nié. On note un renouvellement très fort des attentes des salariés vis-à-vis de leur travail. En bouleversant un certain nombre de repères professionnels pour les organisations, le management et les individus, la crise sanitaire est aussi devenue une crise du travail. Ce qui s’est traduit par des réorganisations de priorités de vie.
Beaucoup de salariés ont pris conscience que la santé ne se limitait pas à sa dimension physique. La plupart des salariés disent que cette crise leur a fait prendre conscience que leur travail devait prendre moins de place dans leur vie et qu’il ne devait pas menacer leur santé mentale. La crise a servi de déclencheur mais les facteurs qui expliquent la détresse des gens sont organisationnels, managériaux…
Les salariés vont être beaucoup plus exigeants envers leur employeur. Il y a aujourd’hui une attente très forte des salariés en matière de qualité de vie au travail : 8 sur 10 disent qu’il faut que ça change complètement. Et que ce qui était proposé n’était pas à la hauteur des enjeux de ce qu’ils ont vécu. La crise a montré que, même si le travail apporte des satisfactions, les salariés ont besoin de se reconnaître dans ce qu’ils font, d’être reconnus et intégrés. Toute cette partie humaine qui protège la santé mentale a été mise à mal par le travail à distance.
Il est urgent de faire de la prévention et de créer des conditions de sécurité psychologique qui soient différentes de ce qu’on a pu faire avant.
Les organisations en sont-elles conscientes ?
C. N. Les employeurs semblent en avoir conscience mais beaucoup ont pris le mauvais chemin avec par exemple des actions ponctuelles sur la nutrition, le sommeil…, ou le choix d’une approche curative avec la mise en place d’une ligne d’écoute psychologique ou une prise en charge médicale, certes utiles et nécessaires, mais sans logique de prévention globale.
De nombreuses études ont pourtant démontré que l’un des leviers les plus efficaces est de réduire les risques à la source, en agissant notamment sur l’organisation du travail. Le télétravail contraint durant la crise donne l’opportunité de tirer les leçons pour mettre en place un télétravail pérenne. La prise en compte des RPS doit être intégrée dans cette nouvelle organisation de travail hybride, en considérant notamment les risques d’isolement, d’effritement du collectif…
« L’enjeu de former les managers est urgent. Cela demande des efforts, des changements de postures, de pratiques, de comportements. »
Christophe Nguyen, psychologue du travail et co-fondateur du cabinet Empreinte Humaine.
Le télétravail peut ainsi être dédié aux tâches de concentration et individuelles alors que le travail au bureau doit être un espace de partage, de créativité… Jamais il n’a été aussi évident que la question des RPS est en lien avec l’engagement des salariés et la performance de l’entreprise. La crise l’a montré, il n’y a pas d’efficacité au travail ou de santé sans santé mentale.
Comment créer les conditions d’une sécurité psychologique pour les salariés ?
C. N. Ce qui marche, ce n’est pas tant l’empilement des offres de services et d’accompagnement. Certes, toute la démarche de prévention des RPS via des questionnaires, des entretiens est à garder et doit d’ailleurs être faite de façon sérieuse et rigoureuse – il y a aujourd’hui des références scientifiques via l’INRS, l’Anact en France ou le rapport Gollac qui donnent le La.
Mais je vois beaucoup d’entreprises qui ont fait des diagnostics, des formations, des lignes d’écoute psychologique, et ça ne suffit pas. Ce qui fait que ça fonctionne, c’est tout d’abord l’engagement du comité de direction sur ces sujets. Il doit en faire un sujet stratégique. La question de la santé psychologique doit être au même niveau que la performance, notamment dans la conception des postes.
L’entreprise doit aussi créer un climat de confiance : les salariés doivent savoir que s’ils rencontrent des difficultés, ils pourront en parler librement et des actions seront mises en place.
Ensuite, il faut que ce soit ancré dans des pratiques managériales saines quotidiennes. Les managers doivent savoir protéger, accompagner et pas seulement détecter quand le salarié va mal. Tout cela passe par la reconnaissance, la confiance, le soutien, l’équilibre des vies, la charge de travail… L’enjeu de former les managers est urgent. Cela demande des efforts, des changements de postures, de pratiques, de comportements…
Et pour que les managers puissent assurer ce rôle central pour la santé psychologique des salariés, ils doivent avoir le temps et les moyens de le faire. Il faut aussi faire participer les salariés à l’élaboration des pistes d’actions et proposer des repères d’un point de vue de sécurité psychologique pour que les gens sachent ce que c’est et comment se protéger. Il faut développer cette culture où chacun à un rôle à jouer. On en est loin dans la plupart des entreprises.
Enfin, pour répondre à l’enjeu primordial de la détection et de l’accompagnement de la détresse psychologique, il est pertinent de renforcer le maillage terrain avec un réseau de « bienveilleurs » ou « capteurs santé ». Il s’agit de salariés qui n’ont pas systématiquement un rôle formel mais dont les qualités humaines facilitent l’expression des difficultés que peuvent vivre les personnes. Il ne s’agit pas d’avoir une personne qui joue à l’apprenti psy car ce n’est pas son rôle mais d’avoir une personne qui sait écouter, accompagner, comment réagir et qui est un relai vers les ressources adéquates. Nous en formons depuis des années et cela fonctionne très bien.
Vous avez accompagné et formé de nombreux dirigeants et managers pendant la crise sanitaire. Pouvez-vous nous donner quelques exemples de bonnes pratiques ?
C. N. J’ai trouvé pertinent que dans certaines entreprises, le top management fasse régulièrement des points de suivi sur la situation, l’aménagement des objectifs… pour faire remonter ce qui se passe sur le terrain. Et rappeler aux salariés le sens de ce qu’ils faisaient.
Une autre bonne pratique est de réorganiser le travail pour qu’il se passe mieux en distanciel. Il y a par exemple des managers qui ont réorganisé les agendas en fixant des plages horaires pour les réunions, laissant le reste du temps aux tâches individuelles et de concentration. Cela évite notamment les demandes de réunion intempestives.
Ce sont aussi des managers formés aux pratiques saines de management à distance et qui ont donné régulièrement des astuces, des contenus pour aider les salariés à mieux appréhender ce qui se passe dans leur travail. Ou qui, face à des salariés qui n’arrivaient pas à décrocher, leur ont imposé d’arrêter le travail à une certaine heure et de ne plus répondre aux sollicitations après cette heure-là. Le manager doit animer tout ce qui concerne la déconnexion mais il doit aussi l’incarner et être exemplaire.
Article extrait du n° 580 de Face au Risque : « Troubles psychosociaux : l’explosion » (mars 2022).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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