Lutte contre la contrefaçon : internet dans le collimateur
Devant l’intensification de la vente de produits contrefaits, notamment via les plateformes en ligne, une proposition de loi visant à moderniser la lutte contre la contrefaçon a été adoptée par l’Assemblée nationale le 25 novembre 2021. Les préjudices commerciaux sont massifs, mais les circuits d’écoulement restent nébuleux et parfois difficiles à saisir.
Le cyberespace, une zone de non-droit
Internet, dès sa création, a été vu par les uns comme un immense espace de liberté et par les autres comme une zone de non-droit qu’il faudrait réglementer. C’est ce second point de vue qui semble l’emporter depuis quelques années.
L’expression et l’information sont de plus en plus contrôlées à la suite du déferlement de haine ou de racisme, des tentatives de manipulation des élections aux États-Unis ou en France avec notamment les agissements de trolls (personnes sur internet mal intentionnées) et robots russes. Plusieurs pays, dont la France, ont par exemple adopté des dispositifs pour lutter contre la manipulation de l’information. Sans vouloir être amphigourique ou pompeux, les équilibres à trouver nous conduisent à repenser la mise en œuvre de nos principes démocratiques.
Dans le domaine commercial, la situation est quasiment identique et se vendent d’innombrables produits contrefaits sans aucune garantie pour les acheteurs. La pandémie de Covid-19 a conduit ainsi à une explosion de médicaments frelatés avec les risques qu’il est aisé d’imaginer sur la santé publique.
C’est dans le prolongement de ces faits gravissimes que l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi n°4555 et n°4693 visant à moderniser la lutte contre la contrefaçon. Contrefaçon qui s’exerce également par le biais de ventes à la sauvette sur la voie publique. Mais qui prend de plus en plus d’ampleur sur internet via la vente en ligne.
Le texte à venir devra bien entendu être compatible avec les textes européens en préparation qui responsabilisent les plateformes internet.
Les chiffres alarmants de la contrefaçon
Comme cela est fréquent, cette proposition de loi a été précédée d’un rapport rédigé par deux députés, Christophe Blanchet et Pierre-Yves Bournazel, et déposé le 9 décembre 2020.
Ces deux parlementaires ont repris des éléments importants de leur travail pour le compte de la commission des lois et décrivent l’importance et les conséquences de la contrefaçon :
- les saisies douanières, qui représentaient environ 200 000 articles interceptés en 1994, ont été multipliées par près de 30, pour atteindre 5,6 millions d’articles en 2020 ;
- le manque à gagner dû à l’activité des contrefacteurs est estimé entre 7,5 et 8 milliards d’euros par an pour les entreprises françaises ;
- en Europe, jusqu’à 6,8 % de ses importations, soit 121 milliards d’euros par an, seraient des produits de contrefaçon;
- tous les secteurs d’activité sont concernés notamment les médicaments, les vêtements, les articles de sport et le tabac.
Différents « modèles économiques »
Il y aurait plusieurs types de contrefaçon, d’après la Gendarmerie :
- la contrefaçon de subsistance, qui porte sur des volumes limités et permet à ceux qui s’y livrent d’assurer leurs fins de mois ;
- Celle qui est exercée à titre principal, sur les marchés, dans les boutiques et sur le cyberespace ;
- Et la contrefaçon contrôlée par des réseaux criminels qui cherchent à élargir leur portefeuille d’activités, voire à blanchir leurs profits.
Saisie par la douane française de poussettes contrefaites. Crédit : Douane Française.
C’est donc sur la base de ces constats que la proposition de la loi a été adoptée par l’Assemblée nationale. Le texte est actuellement sur le bureau du Sénat, sans qu’aucun calendrier ne soit encore fixé.
Ce que prévoit la proposition de loi
Après avoir envisagé la création d’un délégué interministériel à la contrefaçon, les parlementaires ont préféré élargir les attributions de l’INPI (Institut national de la propriété industrielle). Ils souhaitent lui confier la mission de collecte de données utiles à la quantification de la contrefaçon et au recensement de l’action des administrations. Avec notamment comme objectif d’aider les pouvoirs publics à établir une politique de lutte idoine.
Pour simplifier la répression, il est prévu une amende forfaitaire délictuelle en cas d’achat de contrefaçons, dont le montant variera de 150 à 450 euros. Toutes proportions gardées, et avec toutes les nuances que connaît le droit, la situation s’approche de la sanction applicable aux consommateurs de cannabis.
L’article 2 de la proposition de loi permet aux agents des douanes, sur autorisation du procureur de la République, d’acheter et de contrôler la nature des produits prohibés, d’identifier les auteurs et complices et d’effectuer des saisies. Pour préserver la sécurité des douaniers, il leur est permis de faire usage d’une identité d’emprunt pour l’achat des marchandises. Par ailleurs, ils sont exonérés de toute responsabilité pénale pour ces acquisitions.
L’article 3 permet à des agents assermentés et habilités par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) de rédiger des constats probants en matière d’infractions au droit des marques. Il s’agit ainsi de permettre aux agents de structures représentant et protégeant les titulaires de droits – comme l’INPI et l’Unifab (Union des fabricants) – de notifier à la DGCCRF la présence de contrefaçons sur un site de e-commerce. Voire d’intervenir auprès de la juridiction judiciaire compétente.
« Le manque à gagner dû à l’activité des contrefacteurs est estimé entre 7,5 et 8 milliards d’euros par an pour les entreprises françaises. »
La fermeture de sites internet
Les auteurs du rapport de décembre 2020 avaient souligné d’abord qu’il existe des dispositions qui permettent la fermeture de sites internet. Puis que « les tribunaux font une utilisation parcimonieuse et restrictive des dispositions, peut‑être car le bien à saisir est immatériel. Alors que les titulaires de droits voudraient bloquer des centaines ou milliers de sites présentant une marchandise contrefaisante, ils doivent motiver leur demande en identifiant clairement le défendeur, lier les sites entre eux en démontrant un lien de connexité, et apporter des éléments de preuve respectant de préférence la forme classique de constat d’huissier ».
De plus la législation française ne permet pas de prononcer la fermeture du site internet proposant des contenus contrefaisants lorsque le responsable du site est inconnu, ce qui est hélas le cas le plus fréquent.
Pour pallier ces inconvénients, la proposition de loi prévoit la possibilité, pour le titulaire des droits, de demander à l’autorité judiciaire la suspension ou la suppression groupées de plusieurs noms de domaine ou de plusieurs comptes sur les réseaux sociaux, lorsque ces plateformes contrefont la marque en question ou partagent des offres de vente de produits contrefaisants.
De plus, lorsque les propriétaires de ces noms de domaine ou comptes de réseaux sociaux sont inconnus, l’action judiciaire pourra être engagée auprès des prestataires de services intermédiaires identifiables comme les Gafam ou les plateformes de marché. Ces derniers notifieront alors les pages ainsi suspendues ou supprimées à leurs utilisateurs.
Les policiers municipaux seront habilités à constater la contravention d’acquisition de produits du tabac manufacturé vendus à la sauvette et le délit de vente à la sauvette. Pour cette dernière infraction, les gardes champêtres seront également habilités.
Les députés auteurs de la proposition de loi avaient suggéré la création de chambres spécialisées dans le commerce en ligne dans les principaux tribunaux judiciaires, comme cela existe pour la contrefaçon. Mais la commission des lois a finalement écarté cette éventualité.
L’élection présidentielle rallonge les délais
La lutte contre la contrefaçon, compte tenu des enjeux économiques et sociaux que cela représente, sera sans doute poursuivie après les élections du printemps, quelle que soit la personne qui sera élue. Mais les élections, comme toujours, seront suivies d’une phase d’inertie liée à la mise en place de nouvelles équipes. Espérons simplement que les délais ne seront pas trop longs !
Article extrait du n° 580 de Face au Risque : « Troubles psychosociaux : l’explosion » (mars 2022).
Thibault du Manoir de Juaye
Avocat à la Cour, spécialiste de la sécurité et de la sûreté dans l’entreprise
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