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Notre-Dame brûle : « J’ai vécu deux fois l’incendie »
Ex-pompier de la BSPP et collaborateur de Face au Risque, le lieutenant-colonel de réserve René Dosne était sur le parvis de Notre-Dame le 15 avril 2019 lors de l’incendie. Deux ans plus tard, il a été sollicité par l’équipe de Jean-Jacques Annaud en tant que l’un des conseillers techniques du film «Notre-Dame brûle». De la réalité à la fiction, le pionnier du dessin opérationnel et croqueur de scènes de feux nous raconte.
Un précédent : le feu de la basilique de Nantes
« En allumant la télévision, j’ai vu les premières images de l’incendie de Notre-Dame. Il y avait surtout de la fumée, à peine des flammes qui sortaient sur le toit. Ça m’a tout de suite rappelé les images du feu de toiture de la basilique Saint-Donatien de Nantes, que j’avais faites pour Face au Risque en 2015. J’ai pensé : il va se passer la même chose.
Ils ne pourront pas arrêter le feu, toute la “forêt” va y passer. J’ai aussitôt décidé de faire deux croquis à destination du général Gallet (le commandant de la BSPP à l’époque, NDLR), en présentant les deux risques principaux d’un feu de combles dans une cathédrale.
Le premier, c’est que les poutres enflammées percent la voûte en tombant, comme à Nantes, et allument des feux dans la nef. Le second, c’est que le feu se propage à la structure bois de l’une ou l’autre des tours. Quelques années auparavant, j’avais déjà fait quelques des vues 3D de Notre-Dame à la demande du ministère de la culture, sous l’angle de la sécurité incendie. Et à la faveur de deux interventions anciennes, j’avais pu évoluer dans la « forêt » et la flèche. J’ai donc envoyé mes deux esquisses par mail au général. »
« Sur place, personne ne m’a rien demandé ! »
« Après réflexion, je me suis dit que le général Gallet ne lirait jamais ses mails, étant suffisamment occupé par la situation. Je me suis alors mis en veston-cravate, j’ai imprimé les croquis et j’ai décidé de partir sur place en voiture. Plus j’approchais du secteur, plus il y avait de monde sur les ponts de Paris. Le passage du premier barrage de CRS, au niveau du pont Neuf, a été décisif. J’ai présenté ma carte d’officier de réserve de la BSPP au premier agent qui me faisait signe de circuler, en expliquant que j’apportais des croquis urgents pour l’intervention.
Après de longues minutes de palabres, la barrière s’est finalement ouverte. J’ai passé ensuite les autres barrages sans aucune difficulté, pour aller me garer au plus près, au coin du parvis. Le sol était noir de brandons. Il y avait des policiers partout, mais personne ne m’a rien demandé. J’ai rejoint le poste de commandement où j’ai accroché mes dessins sur le tableau tactique. »
« A posteriori, beaucoup de pompiers me demandent encore : “mais comment as-tu fait pour arriver jusque-là ?” Je leur réponds : “il suffit d’avoir l’air convaincu de sa mission !” »
Une demi-heure pour sauver Notre-Dame
« En arrivant au PC, j’ai croisé le lieutenant Laurent Clerjeau, le dessinateur opérationnel de garde de la BSPP. Il redescendait du beffroi. Je ne voulais surtout pas interférer avec sa mission, c’était lui le dessinateur opérationnel ce soir-là ! Je me suis rendu compte que les deux risques que j’avais identifiés s’étaient réalisés : le feu était tombé dans la nef, et entrait dans la tour nord. Quand j’ai regardé les flammes qui roulaient derrière les abat-sons du beffroi, je me suis dit que les pompiers allaient au-devant de sérieux problèmes. Là-dessus, je suis tombé sur le général Gallet, qui était en train de prendre la décision d’envoyer une équipe de pompiers dans le beffroi. Nous avons échangé sur le risque de chute des cloches et d’effondrement de la tour. Je lui ai rappelé que dans l’histoire des feux de cathédrales – elles ont à peu près toutes brûlé ! – jamais une tour ne s’était écroulée. Car à ce moment, certains partaient dans un scénario délirant du style des tours jumelles du World Trade Center, avec l’effondrement de la 1re tour de Notre-Dame, entraînant peu après celle de la 2e tour.
J’ai fait remarquer au général l’extraordinaire pouvoir calorifique de la structure de poutres à l’intérieur des murs en pierre – l’équivalent d’un immeuble en bois de 5 étages ! – et le risque que les cloches se décrochent, emmenant tout sur leur passage, pour s’écraser au sol. Un danger extrême pour les pompiers, contraints d’attaquer le feu par en dessous. Le général a tourné les talons et il a regardé le général Gontier en disant : « On a une demi-heure pour sauver Notre-Dame ».
Rencontre avec Jean-Jacques Annaud
« Courant 2020, le lieutenant-colonel Claire Boët, cheffe du bureau de communication de la BSPP, m’a proposé de rencontrer l’équipe du film. J’étais là pour apporter mon expérience du feu de Notre-Dame. Je ne connaissais pas Jean-Jacques Annaud, tout juste quelques-uns de ses films. Le courant est passé tout de suite. Il m’a posé un milliard de questions sur le feu, le tout avec des yeux d’enfant. À un moment, pour expliquer le départ de feu, j’ai dessiné la cathédrale sur la nappe. Tout ça à l’envers, car j’étais assis en face de lui. Ça l’a impressionné, il s’est exclamé : “Regardez, il dessine à l’envers !” Il buvait mes paroles, c’est un passionné : il voulait que son film soit le plus proche de la perfection.
Moi j’avais 74 ans, lui 76, et à la fin on a discuté comme des mômes en se racontant plein de trucs. Il est reparti en emportant la nappe en papier avec mes croquis ! Quelques jours après, j’ai reçu un coup de fil de son responsable de production, qui m’a demandé d’occuper le poste de conseiller technique sur le volet dessin opérationnel. J’ai accepté, et c’est comme cela que j’apparais au générique de Notre-Dame brûle. Dans le film, Laurent Clerjeau joue son propre rôle de dessinateur opérationnel sur l’incendie. C’est le seul qui y a été autorisé par la BSPP, car leur statut de militaire interdit aux pompiers de Paris de faire de la figuration pour le cinéma.»
Un tournage au plus près du réel
« Sur le tournage, on m’a demandé de venir pour le premier jour des essais à la Cité du cinéma. J’ai constaté que Jean-Jacques Annaud avait une idée extrêmement précise de ce qu’il voulait. Il y avait des ateliers de peinture, de métal, de menuiserie, de décoration. C’est là qu’étaient fabriquées les gargouilles en polystyrène ressemblant étroitement à la pierre de Notre-Dame, les cloches en plâtre imitant parfaitement le bronze. Dans un coin, un artiste peignait une sorte de barbelé avec une grande précision. Il avait plein de photos autour de lui. Il était occupé à faire une copie de la couronne d’épine !
Dans un studio de 2000 m², une partie du beffroi avait été reconstituée. Il y a eu des essais de feu de toiture, des essais de chute de plomb fondu sur le casque d’un pompier. Jean-Jacques Annaud vérifiait les rushs, disant si cela était réaliste ou pas. J’ai déjà assisté à des tournages de films avec des scènes de feu. Très souvent, les flammes produites par des rampes à gaz ne paraissent pas réelles, car elles sont toujours un peu transparentes et bleutées. Là, les flammes étaient du rouge typique des feux de bois. C’est étonnant comme c’était bien fait.
Lors de la scène du feu du transept tournée en extérieur à Bry-Sur-Marne, lorsque les comédiens pompiers étaient sur la coursive, les flammes montaient à 10 mètres de haut. Ils se prenaient un sacré coup de chaud !
Bien qu’ils soient tous passés par le centre de formation des cadres à Saint-Denis, cela restait de parfaits amateurs. Il y avait des personnels prêts à tirer un comédien si l’un se trouvait en difficulté. La couverture de sécurité sur le tournage était très élaborée. »
Une pirouette pour évoquer le départ du feu
« Je fais partie des quelques personnes à avoir vécu sur place le feu de Notre-Dame et à avoir assisté aux dessous du tournage de Notre-Dame brûle. Et j’ai aussi vu le film, en avant-première. Des images de feu, j’en ai tellement vu dans ma vie que ça ne peut pas m’impressionner. Mais Jean-Jacques Annaud a si bien mis en scène le feu, les pompiers et Notre-Dame, que ça donne un cocktail visuel détonnant. Il est vrai que ces trois éléments sont terriblement cinématographiques. Le film fourmille d’anecdotes, toutes tirées du réel.
Le traitement de l’origine du feu est très subtil, Jean-Jacques Annaud s’en sort avec une pirouette. Au moyen de multiples détails, on s’aperçoit au début du film qu’il y a du combustible dans les toits et des sources d’énergie potentielles. On voit des grosses poutres, mais aussi des petits bois d’une section moindre, qui peuvent prendre feu plus facilement. À un moment dans le film, un ouvrier du chantier cache son paquet de cigarette dans sa chaussure. Plus tard, des ouvriers jettent leurs mégots dans le vide, accoudés à l’échafaudage. Des installations électriques, couvertes de poussière, n’ont pas l’air de première jeunesse. Des oiseaux ont fait leurs nids en apportant tout un tas de débris, de la paille. Un pigeon picore un vieux câble électrique. Il reste des vestiges d’un ancien chantier, comme une vieille bouteille de white-spirit… Bref, le décor de la catastrophe est planté ! »
Le dessin opérationnel mis à l’honneur
« Le feu de Notre-Dame a mis sous les projecteurs le métier de dessinateur opérationnel, tout en donnant un coup de fouet à la formation associée. Il y a eu pas mal d’articles et de missions faites après l’incendie sur le croquis opérationnel, que la presse grand public a découvert par cet intermédiaire. Elle a mentionné qu’il y avait un dessinateur, Laurent Clerjeau, qui avait découvert la propagation du feu dans le beffroi nord en faisant son tour de reconnaissance dans les tours. Il a vu des lueurs et s’est rendu compte que le feu était en train de partir des combles pour s’attaquer à la tour.
Depuis, j’ai reçu pas mal de demandes de formation de Sdis, qui se disent que le croquis opérationnel a toute sa place sur une intervention.
Aujourd’hui les pompiers disposent de beaucoup de technologies comme les drones, les robots, les caméras thermiques et les scanners. Mais cela ne remplace pas l’envoi d’un personnel en reconnaissance au feu avec un bloc de papier et un crayon. Cela fait 57 ans que ça dure et ça n’a pas été détrôné par une autre technologie: ça interroge tout de même… »
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sur le film « Notre-Dame brûle ».
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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