Sécurité incendie : Essoc 2 et SEE, vers la simplification et la performance
La loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite loi Essoc, vise notamment à rendre le cadre administratif moins complexe. Entrée en vigueur le 1er juillet 2021, l’ordonnance Essoc 2 consacre le changement de paradigme dans le cadre de la construction avec l’introduction du dispositif de solution d’effet équivalent (SEE). Comment cela fonctionne et quel est l’impact pour la sécurité incendie ? Lauriane Cassar et Émilie Dorion, cheffes de projet à la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature, au ministère de la Transition écologique, ont répondu à nos questions.
L’article 49 de la loi Essoc a pour objectif de « faciliter la réalisation des projets de construction et favoriser l’innovation ».
Dans ce cadre, la loi a autorisé le gouvernement à prendre deux ordonnances. La première, dite « ordonnance Essoc 1 » (n° 2018-937 du 30 octobre 2018) avait une vocation transitoire. Elle a instauré ce que l’on a appelé le « permis d’expérimenter », permettant au maitre d’ouvrage de déroger à certaines règles de construction lorsqu’il démontre qu’il parvient à des résultats équivalents à ceux instaurés par la réglementation en vigueur en mettant d’autres moyens en œuvre et que ces moyens ont un caractère innovant d’un point de vue technique ou architectural.
La seconde, dite « ordonnance Essoc 2 » qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2021, a conduit à la réécriture des règles du Livre Ier de la partie législative du Code de la construction et de l’habitation (à droit constant) et à l’introduction du dispositif de « solution d’effet équivalent », afin de donner plus de clarté et d’inscrire dans la durée les dispositions introduites par le « permis d’expérimenter ».
L’ordonnance Essoc 2 est entrée en vigueur le 1er juillet 2021. Par rapport à Essoc 1, qui avait introduit le dispositif transitoire du permis d’expérimenter, quels éléments nouveaux apporte-t-elle ?
Lauriane Cassar. L’ordonnance 1 était la phase expérimentale du nouveau paradigme qu’Essoc 2 est venue pérenniser. L’ordonnance Essoc 2 a d’ailleurs abrogé la première qui avait permis de tester un nouveau dispositif, le permis d’expérimenter, et d’en retirer des enseignements qui ont servi à l’écriture d’Essoc 2.
L’ordonnance 2, en plus de consacrer le dispositif de solution d’effet équivalent (SEE), vient proposer une nouvelle architecture du livre Ier, qui se veut plus lisible pour tout maître d’ouvrage ou ses équipes de maîtres d’œuvre et mise en œuvre.
« Il s’agit en premier lieu de clarifier et simplifier le pêle-mêle existant. »
Emilie Dorion, cheffe de projet à la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature.
L’article 49 de la loi Essoc vise à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l’innovation. En quoi s’agit-il d’une simplification des règles de construction ?
Émilie Dorion. Il s’agit en premier lieu de clarifier et simplifier le pêle-mêle existant. Les règles ayant évolué en réaction à des événements (incendies, risques naturels) ou à des prises de conscience (accessibilité, énergétique), elles se sont ajoutées les unes aux autres, au détriment de la lisibilité des règles à respecter.
L’idée est aussi de remettre de la cohérence dans les règles, en les mettant au goût du jour et en définissant des objectifs clairs à l’échelle d’un bâtiment, et non plus d’un seul champ technique.
En troisième lieu, il s’agit d’établir des principes généraux qui devront régir toutes les règles. Ces objectifs généraux seront clairement identifiables en partie législative, assortis d’une répartition au sein de la partie réglementaire entre des solutions de référence ou SEE et des résultats minimaux. Partant, la hiérarchie entre la partie législative et la partie réglementaire sera clarifiée.
Le travail de réécriture du code de la construction passe par une recodification « à droit constant ». Quelle est sa traduction concrète dans les textes ?
L. C. Le premier décret d’application a permis de définir le dispositif de recours à une solution d’effet équivalent, mais aussi de replacer dans la nouvelle architecture du livre Ier les règles préalablement établies. Il ne s’agissait alors que de remettre les éléments dans les bonnes cases, ces cases étant hiérarchisées selon une nouvelle logique qui a l’ambition d’en faciliter la compréhension.
Le droit n’a donc pas évolué avec le premier décret. En revanche, les futurs décrets à paraître en 2022 proposeront une réécriture des règles selon le prisme du résultat minimal.
« Le dispositif de SEE (…) vient pallier ce frein réglementaire à l’innovation, en permettant la mise en œuvre de solutions innovantes mais équivalentes. »
Lauriane Cassar, cheffe de projet à la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature.
En matière de sécurité, certains interprètent l’introduction des SEE comme le passage d’une obligation de moyen à une obligation de résultat. Assiste-t-on à un changement de paradigme ?
L. C. Le niveau législatif définit des objectifs généraux quant à la sécurité, à la qualité ou au confort minimaux, attendus dans tout projet de construction ou de rénovation. Au niveau réglementaire se trouvent les réelles « règles de construction », que l’on peut distinguer suivant plusieurs cas de figure :
- avec présence de résultats minimaux, c’est-à-dire que l’on décrit le niveau de qualité que doit atteindre le bâtiment ou un de ses éléments, mais que la réglementation laisse le constructeur libre sur la manière d’atteindre cette qualité. Dans ce cas, un mode de preuve est défini par la réglementation (méthode de calcul, attestation par un professionnel, étude de conception, ). C’est le cas de l’acoustique ou de la performance énergétique. Dans de rares cas, la réglementation peut également prévoir une solution technique qui vaut atteinte de ces résultats ;
- l’autre cas de figure correspond à ce qu’on appelle couramment « obligation de moyen », à savoir que l’on ne définit pas le résultat à atteindre, mais seulement le moyen à mettre en œuvre.
Considérant ce schéma, on met en évidence les cas où l’innovation n’est pas permise : à savoir le dernier cas, lorsque les résultats attendus ne sont pas définis et que l’on impose un moyen à mettre en œuvre. Le dispositif de SEE imaginé et testé avec le permis d’expérimenter, vient pallier ce frein réglementaire à l’innovation, en permettant la mise en œuvre de solutions innovantes mais équivalentes.
Quels sont les acteurs, les champs techniques et les bâtiments concernés par le dispositif des SEE ?
É. D. Les maîtres d’ouvrage et donc, en lien, l’ensemble des parties prenantes du projet sont concernés : les maîtres d’œuvre, les architectes, les assureurs, les entreprises.
Selon les neuf thématiques éligibles au SEE au sein des champs techniques, les bâtiments visés sont à usage d’habitation, des ERP (établissements recevant du public), des IGH (des immeubles de grande hauteur), des BUP (bâtiments à usage professionnel).
Quel est le bilan des expérimentations conduites entre 2019 et 2021 ?
É. D. Le bilan en juin 2021, qui correspond à la fin du dispositif « permis d’expérimenter » au terme de 18 mois d’application, est le suivant. Onze attestations de SEE ont été délivrées : neuf en sécurité incendie, une en parasismique et une en aération. L’Administration considère ces résultats comme une réussite.
Sur les neuf SEE concernant la sécurité incendie, nous en avons dénombré cinq sur le désenfumage et quatre sur la stabilité au feu. Sur ce dernier point, une SEE concernait par exemple l’application à un parking de l’ingénierie de comportements au feu des structures basée sur des scénarii réels de feu.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le désenfumage et la stabilité au feu ont été retenus comme thématiques éligibles ?
L. C. La réaction au feu et le désenfumage sont des domaines où l’on recourt à l’ISI (ingénierie de sécurité incendie). L’article 105 de l’arrêté du 31 janvier 1986 relatif à la protection contre l’incendie des bâtiments d’habitation les inclut déjà. Les huit autres domaines techniques visés n’étaient pas encore très mûrs en 2018.
Les solutions d’effet équivalent ou les systèmes de dérogation étaient déjà ouverts sur les deux thématiques que sont le désenfumage et la stabilité au feu, pour les ERP. Par le permis d’expérimenter, cette opportunité a été également ouverte à l’habitation et aux établissements recevant des travailleurs.
D’autre part, les travaux autour de la thématique sécurité incendie ont fait l’objet d’une large concertation des acteurs de la construction, mais aussi avec nos homologues du ministère de l’Intérieur.
Car n’oublions pas que le décret d’application en date du 11 mars 2021 cadre les compétences nécessaires à l’exercice de la mission de délivrance d’attestation d’effet équivalent. Les laboratoires agréés ou organismes reconnus compétents par le ministère de l’Intérieur, visés par l’article 6 dudit décret, ont une vision globale de la thématique.
De manière générale, quelle que soit la thématique, il ne faut pas que les acteurs soient inquiets d’éventuelles dérives, notamment parce que la procédure à suivre pour mettre en place des solutions d’effet équivalent et les contrôles prévus sont renforcés par rapport au droit commun.
L’Administration reste à l’écoute de remontées de terrain et saura, le cas échéant, réagir.
Le désenfumage fait partie de l’une des neuf thématiques éligibles aux SEE (solutions d’effet équivalent). Ici, grâce à la modélisation permise par l’ingénierie de sécurité incendie, la propagation des fumées peut être analysée virtuellement afin de valider, ou non, les conditions d’évacuation des personnes dans cet atrium.
Certains craignent que le législateur assouplisse les règles dans le domaine de la sécurité, ce qui peut en effet paraître contre-intuitif…
É. D. Ce n’est pas un assouplissement des règles puisque la mise en place d’une SEE est très encadrée. Le maître d’ouvrage pourra déroger à certaines règles de construction à condition d’obtenir des résultats équivalents aux règles auxquelles il souhaite déroger.
L’équivalence de cette solution doit être démontrée a priori et vérifiée a posteriori.
Quelles sont les grandes étapes de mise en œuvre d’un dispositif SEE ?
L. C. Opérant depuis le 1er juillet 2021, le dispositif actuel est largement inspiré de celui qui a été en vigueur entre 2019 et 2021. Ce dispositif a été imaginé en plusieurs temps correspondant aux étapes d’un projet de construction.
À la phase de conception, ou en tout cas avant le démarrage des travaux, imaginons le cas d’un maître d’ouvrage confronté à un blocage : il ne peut respecter strictement la réglementation en installant une solution de référence. Il trouve alors une solution équivalente et choisit de recourir au dispositif de SEE. La solution est conçue puis décrite et présentée par le maître d’ouvrage et son équipe à un organisme tiers qui aura la mission de démontrer son équivalence avec la solution de référence. Pendant le chantier, un organisme agréé contrôleur technique, mais qui agit en tant que vérificateur, contrôle la mise en œuvre de la SEE. Si celle-ci correspond au protocole élaboré par l’équipe de conception au moment de l’élaboration de l’attestation de respect des objectifs (ARO), alors il établit une Amose (attestation de bonne mise en œuvre solution effet équivalent).
Les aléas de chantier font qu’il est possible que finalement la SEE attestée ne soit pas mise en œuvre. Dans ce cas, c’est le maître d’œuvre qui informe l’Administration de cette non-mise en œuvre par une attestation spécifique Anmo (attestation de non-mise en œuvre).
Ces trois attestations qui fonctionnent en fait en couple, ARO + Amose ou ARO + Anmo, sont à réaliser via l’outil démarches simplifiées qui crée un lien direct entre les particuliers ou les professionnels et l’Administration.
Quels sont les organismes habilités pour délivrer des attestations de solution d’effet équivalent en matière de sécurité incendie ?
É. D. Jusqu’au 1er janvier 2024, une liste fermée d’organismes : pour la résistance au feu, les laboratoires agréés au titre de l’article R.*141-5 du code de la construction et de l’habitation [contrôleurs techniques], et pour le désenfumage, les organismes reconnus compétents par le ministre de l’Intérieur, en application des dispositions prévues à l’article DF4 du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les ERP approuvé par arrêté du 25 juin 1980 [laboratoires agréés].
À partir du 1er janvier 2024, les détenteurs de l’accréditation en cours de conception entre le ministère de la Construction, le ministère de l’Intérieur, le ministère du Travail et le Cofrac.
Article extrait du n° 579 de Face au Risque : « Tensions sur la supply chain » (février 2022).
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
Les plus lus…
Le bureau d’analyse des risques et des pollutions industrielles (Barpi) a publié un nouveau flash Aria dédié aux travaux par…
La roue de Deming est une méthode d’amélioration continue symbolisée par une roue progressant sur une pente dans un…
Alors que les entreprises devant contrôler l’identité de leurs clients font évoluer leurs méthodes de vérification, les fraudeurs s’adaptent et…
Lancée le 17 décembre, la plateforme 17Cyber ambitionne de devenir le nouveau réflexe pour les victimes de cybermalveillance en France.…
L’intelligence artificielle connait une dynamique importante en termes d’implémentation, notamment depuis l’arrivée des « modèles de langages conversationnels ». Elle…
La directive (UE) 2024/3019 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2024 relative au traitement des eaux…