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Supply chain : symptômes et causes d’une crise majeure
L’épidémie de Covid-19 a totalement désorganisé les économies mondiales. Pénuries, hausses de prix et congestions logistiques pèsent de tout leur poids sur la supply chain. La reprise de l’activité en 2021 a montré que plusieurs facteurs, parfois d’ordre structurel, pouvaient expliquer la situation.
En janvier 2021, le prix d’un conteneur au départ de Chine à destination de l’Europe avait quadruplé par rapport à son niveau de juillet 2020. Le cours du pétrole, qui était quasi donné au moment de la contraction de la demande en avril 2020 (moins de 0 dollar !), s’est envolé à près de 75 dollars le baril en septembre 2021.
À côté de ce jeu de yo-yo agitant les prix, partout ont été observés des retards de déchargement dans les grands ports commerciaux, associés à des pénuries de matières premières : plastiques, bois, acier, étain, magnésium… Sans parler des composants électroniques, comme les semi-conducteurs.
La pénurie de semi-conducteurs frappe de nombreuses industries, dont celle de l’automobile. Concentrée à Taïwan, petit État insulaire objet de pressions géopolitiques chinoises, une partie de la production des puces au silicium pourrait être délocalisée vers le Japon et les États-Unis.
Supply chain : une crise globale
Ces derniers mois, tous les secteurs ont été touchés par les ruptures de la supply chain et les difficultés d’approvisionnement.
Alors qu’en 2019, seulement 4,8 % des très grandes entreprises mentionnaient plus de 10 perturbations sur la supply chain, en 2020 elles sont 27,8 % selon le rapport “supply chain resilience” de 2021 du Business Continuity Institute. Et près de 90 % ont expérimenté au moins un incident fournisseur dans leur chaîne d’approvisionnement au cours de la même année, dont 41,2 % avec un fournisseur de rang 1.
À noter qu’en 2020, 25 % des grandes entreprises interrogées déclaraient ne pas analyser leurs chaînes d’approvisionnement complètes pour identifier la cause de la perturbation, selon ce même rapport. Preuve que la supply chain n’était pas encore une priorité chez tous les acteurs.
Etirement de la supply chain
Faut-il pointer du doigt la mondialisation des échanges pour expliquer la situation actuelle ? Au printemps 2020, la pénurie de masques a incité certains à réclamer la relocalisation d’une partie de l’industrie. Dans un article récent, le quotidien Les Échos citait les « chiffres fous de l’économie chinoise » en précisant : « Les exportations chinoises vers le reste du monde ont augmenté de manière quasi continue à près de 2 500 milliards de dollars en 2019, contre 326 milliards en 2001 ». Avec huit fois plus de marchandises exportées qu’il y a vingt ans, date de son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce.
La Chine et les dragons asiatiques constituent l’atelier du monde, une tendance lourde qu’il serait illusoire de vouloir balayer d’un revers de main. Entre le libre jeu de la concurrence et les appels à la souveraineté économique, la voie est fragile. Les difficultés actuelles de la filière française de production de masques, après une courte embellie, en constituent un cruel exemple.
La crise sanitaire a encouragé le télétravail, le commerce en ligne, la digitalisation de la supply chain… et les cyberattaques. Tout blocage d’un maillon au niveau des interconnexions planétaires peut entraîner des conséquences sur la supply chain.
Six facteurs clés pour expliquer la désorganisation
Une analyse plus fine a été produite récemment par FM Global, qui publie chaque année un indice de résilience prenant en compte plusieurs vecteurs, dont les chaînes d’approvisionnement. L’assureur met en lumière 6 facteurs clés pour expliquer les perturbations actuelles des chaînes d’approvisionnement mondiales :
1 La pandémie de Covid-19 : elle a perturbé aussi bien la demande (repli de la consommation) que l’offre (fermeture des sites de production), créant un effet domino d’inadéquation entre l’offre et la demande. Loïc Le Dréau, directeur des Opérations de Paris chez FM Global, commente : « Aux États-Unis et en Europe, les pouvoirs d’achat ont été maintenus par les autorités. En même temps, la demande des consommateurs s’est réorientée : sur le commerce en ligne et les objets, notamment connectés, centrés sur la personne. L’offre n’a pas eu le temps de s’adapter. »
2 Le risque cyber : si la cyberattaque dirigée contre Colonial Pipeline (mai 2021) n’a perturbé l’approvisionnement en carburant aux États-Unis que pendant quelques jours, elle a cependant mis en évidence le point faible des chaînes d’approvisionnement modernes : leur étroite intégration avec des systèmes numériques, qui devrait encore s’intensifier avec l’arrivée de la 5G. « Avec la profusion d’objets connectés et la professionnalisation des attaquants, les attaques évoluent, explique Loïc Le Dréau. Elles rentrent jusqu’au cœur des process de production et vont directement impacter les outils de production, les systèmes de gestion de commandes. »
3 La congestion des ports : fin novembre 2021, 24 milliards de dollars de marchandises attendaient sur des porte-conteneurs au large des ports californiens, selon Goldman Sachs. C’est aussi valable pour bon nombre de hubs portuaires de l’Europe, à relier avec l’essor du commerce en ligne ainsi qu’au sous-dimensionnement des capacités de stockage. L’enlisement du porte-conteneurs Ever Given dans le canal de Suez, qui avait bloqué la route maritime durant 6 jours en mars 2021, a ajouté un gros grain de sable aux rouages de la supply chain.
4 La pénurie de chauffeurs routiers : de nombreux pays du monde manquent de chauffeurs routiers pour répondre à l’augmentation de la demande. En France, il en manque entre 40 000 et 50 000, selon la Fédération nationale des transports routiers. Cette pénurie de main-d’œuvre dans le secteur logistique s’étend également aux caristes et aux opérateurs.
5 Les inondations meurtrières : les pluies diluviennes qui ont frappé la Chine et l’Europe ont détruit des communautés, interrompu des liaisons ferroviaires et perturbé le secteur manufacturier. « Le réchauffement climatique se traduit par de plus en plus de catastrophes naturelles, de plus en plus extrêmes, constate Loïc Le Dréau. Ces phénomènes ne sont pas nouveaux, mais leur fréquence et leur intensité augmentent chaque année. L’interconnexion étroite des risques est une dimension que le Covid est en train de mettre en évidence. On ne peut plus s’occuper isolément du risque incendie, du risque inondation, du risque de supply chain : tout est interconnecté. »
6 La pénurie de puces électroniques : la fermeture de nombreuses usines et la forte hausse de la demande de produits électroniques provoquée par la pandémie ont généré de fortes tensions pour le commerce mondial, exacerbées par des conditions météorologiques extrêmes, les problèmes de transport et l’accumulation de stocks. La pénurie, qui devrait se poursuivre jusqu’en 2023 au minimum, a particulièrement impacté les secteurs de l’automobile, des jeux vidéo, des smartphones et des dispositifs médicaux.
« Il faut que la chaîne d’approvisionnement soit très flexible. Pour cela, il faut que l’entreprise soit agile face à l’imprévu (…). La flexibilité concourt à la résilience »
Loïc Le Dréau, directeur des Opérations de Paris chez FM Global.
Une supply chain résiliente
Prises dans la tourmente de la supply chain, comment les entreprises peuvent-elles gérer ce risque ? Le tryptique prévention des risques, plan de continuité d’activité (PCA) et organisation mature semblent être la réponse adaptée.
Oliver Wild, président de l’Amrae, se veut rassurant lors de la conférence de presse des 29e Rencontres de l’Amrae, le 6 janvier 2022 : « Les bouleversements de la supply chain liés à la crise du Covid ont constitué une sorte de crash-test pour les PCA établis par rapport à ce risque. Ces PCA ont plutôt bien fonctionné, car nous avons généralement constaté une augmentation des délais d’approvisionnement plutôt que des ruptures. »
Loïc Le Dréau évoque trois postures pour obtenir une chaîne d’approvisionnement résiliente : « La solidité d’une chaîne dépend de son maillon le plus faible. En conséquence, il faut inspecter méthodologiquement tous les éléments de la chaîne afin d’identifier ses faiblesses. Ensuite, il faut que la chaîne d’approvisionnement soit très flexible. Pour cela, il faut que l’entreprise soit agile face à l’imprévu. Une fois que l’on a sécurisé la chaîne, il faut intégrer le fait que l’on n’a pas pu prévoir tous les scénarios. La flexibilité concourt à la résilience. Enfin, dans un environnement numérique, il faut s’assurer que les connexions tiennent. En ce sens, la cybersécurité et la formation des collaborateurs aux outils numériques sont capitales. »
À cela, Benoît Vraie, expert en management des risques et gestion de crise, ajoute : « Plus la chaîne logistique sera courte, moins elle sera vulnérable. Les logiques de circuits courts sont à privilégier, tout comme la réinternalisation des productions stratégiques. Quand ce n’est pas possible, deux préconisations s’appliquent : diversifier la localisation des fournisseurs, pour ne pas avoir ses approvisionnements dans le même bassin de risques, et avoir plusieurs sous-traitants. »
Article extrait du n° 579 de Face au Risque : « Tensions sur la supply chain » (février 2022).
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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