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Une odeur de brûlé au laboratoire Gravier
Dans la nuit du 17 au 18 octobre 2021, un incendie éclate au sein de l’entreprise Gravier, implantée dans le Gard, spécialisée dans les produits cosmétiques bio. La conception de cette usine récente va permettre de préserver le cœur de l’entreprise, facilitant la reprise de l’activité commerciale. Et ce, malgré la destruction totale de la zone production et du stockage qui occupent 2 400 m².
Un entrepôt totalement embrasé à l’arrivée des pompiers
La centrale de télésurveillance GIP est alertée à 1 h 43 le lundi 18 octobre 2021 par le déclenchement d’un détecteur de fumée au laboratoire Gravier de Lussan (Gard). Une équipe est envoyée pour une levée de doute. Et les sapeurs-pompiers sont alertés à 2 h 06.
Le premier engin qui se présente est face à un entrepôt totalement embrasé. Le massif forestier voisin paraît menacé. Le portail de l’entreprise est verrouillé.
Près du bâtiment, une voiture électrique en charge est en feu. Tandis que, plus loin, un empilement de conteneurs souples, jouxtant l’usine et contenant des déchets liquides indéterminés, brûle partiellement.
La première mesure vise à protéger le bloc bureaux, isolé du brasier par un mur coupe-feu. Le rayonnement est puissant dans le patio ouvrant sur les bureaux. Les doubles vitrages se fendent, les tôles de bardage rougissent et ploient. C’est là que la première lance est établie.
À 2 h 42 : « Feu d’usine cosmétique avec produits chimiques. Quelques explosions se produisent… »
L’échelle qui vient d’arriver se développe au-dessus des bureaux. Une seconde lance y est établie afin, en plongeant, d’atténuer la puissance du rayonnement qui inonde les bureaux.
Le dispositif hydraulique
Très rapidement, il apparaît que les ressources en eau sont maigres et qu’il faudra opérer des choix… Une troisième lance établie à l’extérieur protège elle aussi les bureaux.
Quelques minutes plus tard, un bras élévateur articulé, un engin-pompe et un camion-citerne feux de forêts sont demandés.
Il est près de 3 h. Trois lances sont toujours en manœuvre et contiennent la propagation vers les bureaux.
Toutefois, ne pouvant compter ni sur le réseau public d’incendie ni sur des points d’eau naturels à moins de 2 km, le COS (commandant des opérations de secours) demande des camions-citernes grande capacité afin d’organiser un dispositif permettant par noria d’alimenter un minimum de lances.
Dans l’entrepôt totalement embrasé, la toiture s’est effondrée par blocs entiers, alors que les poutres de bois lamellé-collé, soutenues par des poteaux béton, se brisent en leur centre. Ce démantèlement des structures a rapidement pour effet de pousser localement vers l’extérieur les façades de bardage, obligeant le COS à définir une zone d’exclusion d’une fois et demie la hauteur des façades (éloignement des porte-lances, des tuyaux et des moyens aériens).
La situation se stabilise
Peu avant 3 h 30, les principaux objectifs sont atteints : le bloc administratif est préservé et le risque de propagation à la garrigue écarté (la météo est clémente). La cellule risque chimique assure le contrôle des eaux d’extinction, des effluents écoulés de conteneurs fondus, ainsi que les contrôles atmosphériques.
Avant même le lever du jour, un drone avec caméra thermique est engagé et transmet des images aériennes au poste de
commandement mobile.
Deux moyens aériens sont maintenant développés au-dessus de la zone entrepôt, le dispositif d’alimentation permettant au plus fort d’alimenter cinq lances.
L’intervention est de longue durée. De nombreux foyers persistant sous les éléments de toiture effondrés les rendent difficiles à atteindre.
Seule la constitution d’un tapis de mousse à l’aide d’un fourgon mousse grande puissance permet de réduire les derniers foyers sur 1 800 m². L’opération débute en fin de matinée.
Les écoulements d’eau d’extinction se dirigent vers un bassin de rétention voisin, et une société privée abat les murs de l’entrepôt entravant l’approche des décombres toujours fumants.
C’est en fin de journée que les sapeurs-pompiers quittent les lieux, après que l’ensemble de la zone de décombres a été recouverte d’un tapis de mousse et qu’une société de gardiennage assure la sécurité de la zone.
Personne n’a été blessé durant l’intervention.
Alerte tardive des secours
L’origine du feu est soumise à enquête judiciaire. Elle semble se trouver au niveau d’armoires électriques situées dans un bureau du secteur « laboratoires ».
L’absence de compartimentage coupe-feu permet à l’incendie de gagner progressivement l’ensemble du volume industriel de 2 400 m².
L’entreprise Gravier est implantée dans un secteur rural isolé, ce qui engendre des conséquences sur les délais d’engagement des moyens et sur les ressources hydrauliques.
L’incendie est pourtant détecté dans un délai raisonnable à 1 h 43. Un premier détecteur se déclenche dans un couloir, près du bureau où l’incendie éclate. Puis un second se déclenche. Une levée de doute avec envoi d’une équipe est effectuée, mais les secours ne sont pas immédiatement alertés. Ils ne le seront que 21 minutes plus tard.
La problématique de l’eau
Les centres de secours environnants sont à une trentaine de minutes. La commune de Lussan peine à assurer dans une zone d’activité appelée à s’accroître, une couverture incendie acceptable. Si plusieurs poteaux d’incendie sont implantés dans la zone, ils ne peuvent être employés simultanément, le débit ne dépassant pas 1 000 l/min, et en totale inadéquation avec un feu de bâtiment de 2 400 m²…
Les sapeurs-pompiers vont alors devoir procéder par norias de camions-citernes de grande capacité, allant s’alimenter dans un rayon de 5 km, tout en diversifiant leurs points d’alimentation afin de ne pas vider les châteaux d’eau des communes mises à contribution.
Si ce procédé est couramment employé lors des feux de forêts, il n’est pas le plus adapté pour lutter contre un feu industriel, mais il n’existe pas d’autre solution.
Rappelons qu’une lance de 1 000 l/min, couramment employée sur les feux industriels, vide un camion-citerne grande capacité en 10 minutes… Il faut alors faire des choix et utiliser le précieux liquide avec retenue.
Si le débit d’eau délivré par l’unique poteau d’incendie est déjà limité, il va, en cours de sinistre, se réduire encore : une canalisation d’eau ou d’alimentation d’un RIA se rompt, créant une fuite au débit important.
Une reprise d’activité compliquée
Les 2 400 m² de bâtiment industriel ne disposent d’aucun compartimentage coupe-feu entre les différentes activités.
Les bureaux en sont dotés, ce qui permet de les sauver. La mise à l’abri des serveurs informatiques et des disques durs de sauvegarde par les pompiers constitue un élément déterminant qui facilite la poursuite de l’activité.
Pour la direction de l’entreprise, un autre combat s’engage : il ne faut pas « disparaître des linéaires » en poursuivant l’approvisionnement des points de vente grâce au stock de produits finis heureusement implanté sur un autre site.
L’outil de production a disparu et le délai de reconstitution est de 12 mois environ… Il faut alors se tourner vers la sous-traitance, tout en veillant à ce que les secrets de fabrication soient préservés dans cette entreprise où le savoir-faire est important.
Mais le cœur administratif de l’entreprise, indispensable à toute poursuite d’activité, est intact : aidés par le seul mur coupe-feu du site, les sapeurs-pompiers ont pu sauver serveurs et autres disques de sauvegarde, abritant entre autres les informations relatives aux clients, aux fournisseurs, à la comptabilité, etc.
Les 12 millions d’euros de pertes estimées se répartissent en 6 millions d’euros de pertes directes (biens matériels) et 6 millions d’euros environ de pertes indirectes.
Sur les 70 employés, 50 sont en chômage technique, seule une vingtaine est engagée dans la reprise d’activité.
Mais l’entreprise se projette
Il faut faire vite. Reconstruire sur le site est la solution la plus simple, le bloc administratif étant sauvé. Le bâtiment industriel sera reconstruit en lieu et place après l’expertise de la dalle béton. L’architecte auteur du projet initial est sollicité. Les lieux bénéficieront des derniers aménagements et machines optimisant encore mieux cette plateforme de 2 400 m². Il est probable que le volume sera mieux compartimenté. Une station de traitement des eaux sera intégrée afin de mieux encore coller à la politique écologique de l’entreprise.
L’obtention du permis de construire sera cependant dépendante des ressources en eau que réclame une usine de cette importance. Son classement au regard de la réglementation des installations classées est en cours.
Le groupe envisage éventuellement d’installer un système d’extinction automatique de type sprinkleur.
A minima, il faudra une réserve d’eau d’incendie capable d’alimenter les engins nécessaires à la mise en œuvre d’un certain nombre de lances durant plusieurs heures (5 à 6 000 l/min pour un bâtiment de cette taille).
Les sapeurs-pompiers seront à l’écoute de l’exploitant pour proposer des solutions alternatives en adéquation avec la réglementation.
Dans tous les cas, la commune de Lussan devra renforcer son réseau d’eau dans cette zone d’activité où d’autres entreprises envisagent de s’établir. Au risque de voir la société Gravier, si la facture des aménagements nécessaires est trop lourde, quitter le site et la commune au profit peut-être de bâtiments déjà opérationnels dans un secteur moins isolé.
Le risque de voir une entreprise déménager avec ses 70 emplois peut alors peser dans la balance !
Article extrait du n° 578 de Face au Risque : « L’univers des risques en 2021-2022 » (décembre 2021 – janvier 2022).
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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