L’emploi dans la sécurité à l’heure de la surchauffe
Conséquence indirecte de la pandémie, la sécurité privée ne parvient pas à recruter suffisamment de personnel. Une situation inédite qui risque d’être très pénalisante si elle se prolonge jusqu’à la Coupe du monde de rugby et aux Jeux olympiques.
Difficultés de recrutement dans la sécurité privée
Paradoxe : la surveillance humaine a besoin de recruter immédiatement 20 000 à 25 000 agents de sécurité, mais elle ne les trouve pas, alors que le chômage sévit encore.
Une situation qui n’est d’ailleurs pas spécifique à la sécurité privée. On retrouve un phénomène assez identique dans l’hôtellerie-restauration, la propreté et plus généralement dans les activités à haute intensité de main d’œuvre.
Le paradoxe est d’autant plus étonnant que la profession emploie 127 000 agents en moyenne et que 300 000 personnes sont actuellement titulaires d’une carte professionnelle permettant d’exercer ce métier.
Mais où sont donc passés les agents de sécurité ?
« Ils ont déserté notre profession durant les confinements et n’ont pas l’air de vouloir y revenir. C’est du jamais vu », affirme Harold Heredia, PDG de Lynx, un poids moyen de la profession.
« Pratiquement aucune entreprise de surveillance humaine ne dispose d’un effectif suffisant. Ce phénomène entraîne des conséquences graves : pénalités de retard de la part des donneurs d’ordres pour non-respect des prestations, report de la signature de nouveaux contrats, etc. », explique de son côté Luc Guilmin, président du Groupement des entreprises de sécurité (GES), principal syndicat patronal des sociétés de surveillance humaine.
« Notre croissance est freinée par le manque d’effectif : nous recherchons une centaine de collaborateurs en CDI et nous avons refusé de nouveaux clients cet été à cause du manque de personnel. Nous espérions un retour à la normale en septembre, mais ce n’est pas le cas », rajoute Harold Heredia.
De nouveaux rapports au travail
Avec la crise sanitaire, le rapport au travail a changé : une partie de la population active donne désormais la priorité à sa vie familiale et à son confort de vie, estiment plusieurs managers interrogés.
Ils observent aussi que des agents se sont réorientés vers d’autres métiers et ne sont pas prêts à retourner à leur profession initiale en raison de conditions de travail jugées trop difficiles : travail de nuit et le weekend, salaires peu élevés, etc.
Avec l’augmentation du Smic en octobre décidée par le Gouvernement, les coefficients 120 et 130 – qui définissent la rémunération des plus gros bataillons d’agents de sécurité – se trouveront en dessous du salaire minimum.
« Si les sociétés de sécurité ne répercutent pas cette hausse auprès de leurs clients, cela va entraîner des problèmes économiques », souligne Luc Guilmin. Ce n’est pas gagné, car les contrats sont signés pour plusieurs années avec une grille tarifaire déterminée à l’avance. En outre, la période n’est vraiment pas propice à l’ouverture de discussions avec les donneurs d’ordres pour leur demander une revalorisation des prix des prestations.
« Le GES ne ménage pas ses efforts pour rendre le secteur attractif », déclare Luc Guilmin, son président. Il n’empêche, il reste encore du chemin à parcourir sur la longue route vers la maturité de la profession. Celle-ci est handicapée par une image de marque pour le moins mitigée. Certes, elle a rempli avec efficacité les missions qui lui ont été confiées par les autorités publiques durant les attentats terroristes de 2015 et 2016 ou pendant la crise des Gilets jaunes. Mais le grand public a encore en mémoire divers scandales qui ont éclaté ces dernières années. Notamment chez Ikea ou Renault où l’on retrouvait à chaque fois des sociétés de sécurité impliquées.
Inquiétudes pour les JO 2024
Les professionnels estiment que le manque d’agents est en train de s’installer dans la durée et risque de devenir structurel.
Ils critiquent également la récente décision de porter de trois à cinq ans la durée de possession d’un titre de séjour avant de pouvoir obtenir une carte professionnelle alors que de nombreux agents de sécurité sont d’origine étrangère.
Ils se montrent ainsi très inquiets pour les prochains grands événements sportifs qui doivent se tenir en France. Les besoins supplémentaires en agents de sécurité sont en effet estimés à 10 000 pour la Coupe du monde de rugby de 2023 et à 25 000 pour les Jeux olympiques de 2024.
En tenant compte de la pénurie de personnel actuelle et si les JO avaient lieu cette année, il manquerait donc 45 000 agents… Un chiffre astronomique !
Les dirigeants d’entreprise sont également dubitatifs sur le montant des tarifs qui seront proposés pour la surveillance des sites par l’organisateur des JO. De sorte qu’aujourd’hui une très grande majorité d’entre eux affirme qu’ils ne participeront pas aux appels d’offres si les conditions ne changent pas radicalement.
Et chacun se souvient du flop subi par G4S au moment des JO de Londres de 2012. Le groupe britannique était incapable de fournir un nombre d’agents suffisant. En catastrophe, les militaires ont dû être massivement mobilisés au dernier moment.
Défection dans les aéroports
Cette situation inédite de pénurie est également constatée dans la sûreté aéroportuaire, une profession totalement bouleversée par l’effondrement du trafic aérien depuis le début de la pandémie.
Devant l’ampleur du marasme et le plus grand flou sur une éventuelle reprise du trafic aérien, nombre d’agents de sûreté aéroportuaire – un métier qui exige des compétences spécifiques – ont quitté définitivement cette profession. On estime ce mouvement à plus de 2 000 personnes sur un total de 10 000.
Dans la sécurité électronique, un goulot d’étranglement permanent est constaté depuis plusieurs années. Avec la digitalisation croissante de la sécurité, les entreprises cherchent à embaucher des techniciens avec des profils assez pointus (des spécialistes réseaux par exemple). Mais ils ne parviennent pas toujours à les trouver. D’autant que dans ce secteur également, les rémunérations ne sont pas toujours très attractives par rapport à d’autres secteurs économiques.
Peu de pertes d’emplois liées à la pandémie
La situation paradoxale de l’emploi dans la surveillance humaine intervient après une année 2020 médiocre pour l’ensemble de la filière de la sécurité. Mais pas du tout catastrophique, compte tenu des mesures gouvernementales de soutien aux entreprises. La profession dans son ensemble (sécurité électronique, mécanique et anti-incendie, cybersécurité et surveillance humaine, etc.) a enregistré un recul de 3,1% à 29,7 Mds €, selon les statistiques récoltées auprès de 1 600 entreprises de sécurité dans l’Atlas d’En Toute Sécurité. Alors que le PIB de la France a chuté de 8,3%.
Durant cette même année 2020, la population active dans la sécurité a baissé de 1,6% pour revenir à 251 130 personnes, selon les statistiques d’En Toute Sécurité. La baisse est deux fois moins importante qu’en 2009 (-3,4%), au moment de la crise économique mondiale qui a débuté l’année précédente. La pandémie a donc entraîné des conséquences moins néfastes sur le plan social que la crise des subprimes.
En raison des plans massifs de soutien, les faillites d’entreprise ont été moins nombreuses que les années précédentes. Et cela s’est vérifié dans la sécurité aussi. Avec 4 200 postes de moins en 2020, les effectifs de la filière sont revenus à ceux de 2016.
La population active a été en baisse dans les secteurs les plus touchés par la pandémie. C’est évidemment le cas dans la sûreté aéroportuaire, tandis que les pertes d’emplois ont été de 900 seulement dans la surveillance humaine. Ce chiffre recouvre en fait deux tendances contradictoires : des départs d’agents dans les entreprises travaillant dans la sécurité événementielle – une activité totalement à l’arrêt pendant plusieurs mois – ou dans le segment des musées et des hôtels, alors que des effectifs supplémentaires ont été nécessaires pour faire respecter les mesures sanitaires dans les enseignes de distribution et les transports publics.
Dans plusieurs autres secteurs de la sécurité, les diminutions d’effectifs ont été de quelques centaines seulement, notamment dans la sécurité incendie, le transport de fonds ou les équipements blindés.
A contrario, quelques activités ont continué à recruter. C’est le cas dans le secteur des équipements de protection individuelle EPI où les nouvelles usines de fabrication de masques de protection respiratoire ont embauché du personnel par centaines. De même, la cybersécurité – stimulée par les cyberattaques en forte augmentation en raison des réseaux informatiques affaiblis par la pratique du télétravail – a vu ses effectifs nets augmenter de 700 collaborateurs.
Effectifs de la sécurité en 2020 tous secteurs confondus Source : Atlas 2021 d’En Toute Sécurité |
---|
TOTAL | 251 130 |
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Alarme anti-intrusion | 8 300 |
Contrôle d’accès | 6 880 |
Cybersécurité | 14 200 |
Drones de surveillance | 1 060 |
Enquêtes privées | 1 670 |
EPI | 14 000 |
Equipements blindés | 7 660 |
Formation en sécurité | 2 640 |
Ingénierie de sécurité et conseil | 4 600 |
Intervention sur alarme | 1 990 |
Lutte contre la démarque inconnue | 900 |
Protection rapprochée | 510 |
Sécurité incendie | 20 640 |
Sécurité intérieure de l’Etat | 4 410 |
Serrurerie | 3 130 |
Sûreté aéroportuaire | 8 400 |
Surveillance humaine | 126 600 |
Téléassistance | 1 100 |
Télésurveillance professionnelle | 5 150 |
Télésurveillance résidentielle | 2 590 |
Transport de fonds | 8 350 |
Vidéosurveillance | 6 350 |
Perspectives mitigées pour 2021
Le rebond de l’activité est à l’ordre du jour pour la profession en 2021, avec une croissance estimée à 5,2%. Ce qui constituerait le meilleur score depuis une quinzaine d’années, selon les prévisions d’En Toute Sécurité.
Néanmoins, les perspectives d’emploi sont mitigées, en raison de la pénurie de personnel. Pour les mêmes raisons qu’en 2020, les recrutements sont d’ores et déjà conséquents dans la cybersécurité et les EPI. Ils devraient être significatifs dans la sécurité électronique (alarme, contrôle d’accès, vidéosurveillance) où le climat des affaires est assez favorable.
En revanche, ils ne seront certainement pas massifs dans la surveillance humaine, ni d’ailleurs dans la sûreté aéroportuaire qui semble avoir touché le fond début 2021, suivi par une reprise timide du trafic aérien depuis l’été.
Néanmoins, l’incertitude demeure chez les chefs d’entreprise qui hésitent à recruter dans plusieurs secteurs de la sécurité où les perspectives de croissance restent floues, tels la sécurité incendie, la serrurerie ou les équipements blindés.
2022 devrait être un meilleur millésime.
Article extrait du n° 577 de Face au Risque : « Cybersécurité des systèmes industriels » (novembre 2021).
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