Risques technologiques. L’histoire des catastrophes doit-elle se répéter ?
Le Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels vient de publier « l’apport des accidents emblématiques ». Cette brochure procède à un vaste retour d’expérience à partir de neufs grandes catastrophes industrielles, survenues en France et dans le monde. S’appuyant sur la méthodologie des causes profondes ainsi que sur des événements récents tirés de la base Aria, le Barpi cherche à montrer qu’à des dizaines d’années d’intervalles et malgré l’évolution de la réglementation, des scénarios de risques analogues sont toujours à l’œuvre aujourd’hui dans le secteur industriel.
La rupture du barrage de Malpasset (1959), les Bleves à la raffinerie de Feyzin (1966), les rejets toxiques à Seveso Meda (1976), l’explosion du silo de Blaye (1997), la détonation d’ammonitrates d’AZF (2001)… l’histoire des activités industrielles est malheureusement rythmée par des catastrophes emblématiques, aux conséquences souvent très lourdes.
Une nouvelle brochure : « l’apport des accidents emblématiques »
Le Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels (Barpi, par l’intermédiaire de cette nouvelle brochure d’une quarantaine de pages intitulée « l’apport des accidents emblématiques » (également disponible en ligne), revient sur neuf accidents majeurs. Ces derniers sont intervenus au cours des 60 dernières années, principalement en France. Les situations étudiées recouvrent des secteurs industriels divers, des contextes multiformes et des phénomènes dangereux variés.
L’originalité et la force de l’analyse menée par le Barpi sur ces catastrophes tirées de l’histoire industrielle consistent en un double enseignement :
- sous le concours malheureux des circonstances ayant mené au drame, il faut savoir discerner les perturbations premières et les causes profondes ;
- des incidents industriels récents, sans impacts majeurs, présentent cependant des caractéristiques communes avec les scénarios des catastrophes passées.
Le retour d’expérience à la lumière des causes profondes
Dans cette brochure publiée en octobre 2021, chaque catastrophe reçoit un traitement identique. Une première partie analyse et explique l’enchaînement des faits connus, sous l’angle de la méthodologie des causes profondes. Un diagramme reprend l’enchaînement logique des circonstances ayant conduit à l’accident, de ses origines aux conséquences dommageables.
Cette analyse met en avant les notions de causes premières et de causes profondes.
Les premières, aussi appelées perturbations apparentes, sont souvent des défaillances d’ordre technique ou des erreurs humaines individuelles. Elles concourent bien évidemment au déroulement de la catastrophe, et constituent souvent les éléments les plus visibles de l’accident.
Les secondes, moins évidentes et accessibles, se situent en amont des premières et jouent un rôle tout aussi déterminant. Elles relèvent de « dysfonctionnements du système socio-technique où s’est déroulé l’accident » comme l’énonce Delphine Ruel (sous-directrice des risques accidentels au sein du service des risques technologiques de la DGPR) en préambule de la brochure. « Elles renvoient généralement à des dimensions relevant de facteurs humains et des dimensions organisationnelles et managériales. »
L’analyse des causes profondes des neufs catastrophes retenues par le Barpi conduit à une typologie de neuf scénarios à risques. Une étude de dangers imparfaite et une insuffisante maîtrise de l’urbanisation caractérisent par exemple l’accident d’AZF, tandis que le risque Atex sous-évalué entoure l’explosion du silo de Blaye.
Cette première partie du retour d’expérience se termine par un examen des impacts de la catastrophe sur l’évolution ex-post des usages et de la réglementation.
Des événements a priori éloignés, des scénarios analogues
La deuxième partie suivant l’analyse de chaque catastrophe est tout aussi intéressante. Elle met en avant un simple incident, généralement récent (postérieur à 2014), tiré de la base documentaire Aria (56 337 événements enregistrés à ce jour).
Incendie dans un entrepôt, fuite d’ammoniac, emballement de réactions dans une usine chimique, ces événements n’ont a priori rien à voir avec les grandes catastrophes évoquées plus haut : les secteurs d’activités sont distincts, les contextes éloignés, les circonstances différentes et les impacts limités.
Vraiment ? Le génie du Barpi est d’identifier et de rapprocher les éléments communs de ces événements mineurs, a priori éloignés des grands accidents majeurs, pour mettre en lumière des causes profondes analogues.
C’est ainsi qu’un dégagement gazeux dans un centre de tri des déchets dangereux intervenu en 2019 présente des éléments communs avec la catastrophe d’AZF de 2001. Failles au niveau de l’identification des risques, formation et qualification des opérateurs insuffisantes, lacunes au niveau d’un de l’organisation et de l’encadrement… autant de dysfonctionnements qui reviennent à l’identique dans les causes profondes de ces deux types d’événements.
Dans un cas l’enchaînement des circonstances a conduit à la catastrophe, dans l’autre le pire a été évité. Mais les scénarios empruntent des racines identiques.
Quelle conclusion en tirer ?
Le Barpi a tiré la sonnette d’alarme dans son inventaire annuel de l’accidentologie industrielle concernant 2020, le retour d’expérience restant le parent pauvre de la prévention. Le taux de connaissance des perturbations est ainsi en baisse constante depuis 2018 (revenu à son niveau de 2015), et le taux de connaissance des causes profondes plafonne à 36 %.
Cette brochure « Apport des accidents emblématiques » est un vibrant appel aux exploitants et aux experts à aller de l’avant tout en sachant garder un œil dans le rétroviseur, en pratiquant le retour d’expérience de façon régulière et approfondie. C’est un élément essentiel de l’analyse des risques et l’un des piliers de la sécurité industrielle.
Quant au cours de l’histoire des catastrophes industrielles, faut-il envisager l’avenir comme un éternel recommencement ? En guise d’élément de réponse, nous nous permettrons de citer Einstein : « Nous aurons le destin que nous aurons mérité ».
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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