Sûreté. Les problèmes de sécurité dans les stades peuvent-ils influer sur Paris 2024 ?

24 novembre 202110 min

Cette première partie de saison de Ligue 1 est marquée par une recrudescence de violence dans les stades. Dernier exemple en date, ce dimanche 21 novembre 2021 avec un jet de bouteille sur Dimitri Payet lors de la rencontre entre Lyon et Marseille. Un constat loin d’être rassurant pour la France qui, dans moins de trois ans, aura en charge l’organisation du plus grand événement sportif au monde avec les Jeux olympiques de Paris 2024.

Ceci est une légende Alt

Il y a quelques semaines, le mardi 19 octobre plus précisément, Olivier Feneteau (directeur sécurité et sûreté du FC Nantes) était invité à s’exprimer lors d’une conférence sur la sécurisation des grands événements sportifs. Il lançait déjà une alerte sur la montée de la violence dans les stades cette saison en Ligue 1.

« On avait 1 à 2 événements majeurs de ce type chaque saison : envahissement de terrain, bagarre en tribune, bagarre entre supporters… » relève Olivier Feneteau au début de sa présentation. « On espérait avoir un retour du public festif après dix-huit mois d’interruption mais on est revenu avec des gens assez agressifs, à l’image de la société, qui profitent du stade comme d’un exutoire ».

En seulement quatre mois de compétition en France cette saison, et alors qu’il reste encore plus de six mois à disputer, le championnat de France de première division a déjà été confronté à au moins une demi-douzaine d’événements de ce genre depuis le mois d’août :

envahissement de terrain (Nice-Marseille, Angers-Marseille, Lens-Lille notamment), jets de projectiles sur la pelouse à destination des joueurs (Montpellier-Marseille, Nice-Marseille, Marseille-Paris, Lyon-Marseille), jets de fumigènes sur la pelouse (Saint-Etienne-Angers)…

Le tout après seulement 14 journées de championnat disputées (soit 140 matchs disputés, dont 1 à rejouer)… sur les 380 rencontres annuelles en 38 journées.

Des dispositifs inchangés

Pourtant, les moyens mis à disposition des clubs pour gérer l’organisation d’un match n’ont pas changé depuis le retour du public dans les stades. Les dispositifs restent les mêmes pour repérer les groupes d’individus potentiellement à risque en amont d’une rencontre et gérer leur venue au stade.

Sur le plan humain, les clubs s’appuient ainsi « dans un premier temps sur la DNLH (Division nationale de lutte contre l’hooliganisme), qui dépend de la direction centrale de la sécurité publique et qui est un organisme de la police basé à Paris ».

La DNLH regroupe 451 policiers et 32 gendarmes. « C’est l’organisme qui suit le sport professionnel et le football en particulier. Elle classe les matchs à risque sur une échelle de 1 à 5, suite à la détermination de ce niveau de risque mesuré sur les contentieux historiques entre les supporters, entre les clubs, les événements périphériques que l’on peut avoir ce jour-là dans les villes… » explique le directeur sécurité et sûreté du FC Nantes.

Le référent supporters

Sur le plan humain, s’ajoute également le référent supporters. « Du côté de l’organisateur (le club), on dimensionne le service de sécurité en fonction de l’affluence et du nombre de supporters visiteurs qui vont se déplacer. Pour cela on est aidé par le « référent supporters », qui fait la liaison entre le club et les groupes de supporters. Ce poste a été officialisé par la loi Larrivé du 10 mai 2016 » renchérit-il, avant d’émettre un bémol sur ce rôle. « Référent supporters, c’est un poste qui est mal défini. C’est une personne qui peut être salariée du club ou bénévole, en CDI ou CDD… Son cadre d’emploi n’est pas encore bien établi en France, comme il peut l’être dans le reste de l’Europe notamment en Allemagne ou dans les pays scandinaves. On n’en est qu’aux balbutiements en France ».

Outre cet agent de liaison avec les groupes de supporters, « les clubs font appel à des sociétés de sécurité ou ont en leur sein un service de sécurité, comme c’est le cas du FC Nantes par exemple qui a son propre agrément Cnaps (Conseil national des activités privées de sécurité). Nous recrutons et formons nos propres agents. Nous faisons aussi appel à des sous-traitants en cas de besoin d’effectif supplémentaire ».

Les moyens technologiques

Mis à part les moyens humains, les clubs peuvent également s’appuyer sur des moyens techniques avec comme armes principales la vidéosurveillance et les portiques de détection à l’entrée des stades. « Et puis on essaie de développer des moyens techniques pour lesquels nous devons composer avec la législation, qui pose des limites d’utilisation dans les stades que cela soit l’intelligence artificielle ou les scanners corporel… » regrette Olivier Feneteau. « Ce genre d’équipements est disponible sur le marché mais des motifs liés au RGPD ou des limitations d’utilisation par la Cnil font qu’elles limitent notre cadre d’emploi. »

L’intéressé poursuit par un appel au recours à l’intelligence artificielle, « qui a énormément progressé, notamment la reconnaissance faciale qui est une technologie qui nous permettrait de pouvoir identifier les individus commettant des infractions au sein des stades. L’infraction principale étant l’introduction et l’utilisation d’engins pyrotechniques qui sont interdits par la loi ou les violences dans les stades. »

Le potentiel de la reconnaissance faciale fortement limité

Reste un énorme bémol concernant l’identification dans les stades. Et cela avec ou sans dispositif de reconnaissance faciale. Dans le cas d’usage d’engins pyrotechniques, les groupes de supporters ont déjà une belle longueur d’avance. Avec un code vestimentaire identique, pour ne pas être identifiable de manière individuelle, et l’ajout d’une cagoule ou d’un masque pour les utilisateurs des moyens pyrotechniques, difficile (voire impossible) pour les caméras de vidéosurveillance de pouvoir identifier les fautifs.

Preuve en est le craquage de fumigènes lors de Paris-Nantes le samedi 20 octobre au Parc des Princes… où 550 fumigènes allumés ont été comptabilisés par les équipes du délégué de la Ligue de football professionnel (LFP) présentes sur place, avec au compteur quasiment aucune interpellation jusqu’à présent recensée pour ce motif au terme de la rencontre.

Pour ceux qui seraient identifiés en raison d’un comportement inapproprié, reste ensuite à établir une sanction (voir encadré ci-dessous).

Les moyens répressifs aujourd’hui sont de deux ordres :

  • Par arrêté préfectoral (en raison du classement du risque du match). Cela se traduit par une interdiction de déplacement, un encadrement du déplacement ou une limitation du nombre de supporters autorisés à se déplacer.
  • En cas de risque important à l’ordre public, il est possible d’aller jusqu’à un arrêté ministériel. Il vise à empêcher les supporters de l’équipe visiteuse de se déplacer dans la ville de l’équipe qui accueille le match pour éviter tout trouble à l’ordre public. Ce type de mesure est régulièrement mis en place pour les confrontations entre Paris et Marseille et quelques fois pour des rencontres opposant Lyon à Saint-Etienne.

Ils s’exercent sous la forme d’une interdiction de stade, pour des individus ayant préalablement commis une infraction au sein ou aux abords d’une enceinte sportive. Celle-ci peut se présenter sous 3 formes :

  • Interdiction judiciaire, qui concernent les personnes contre qui une plainte a été déposée et qui ont été condamnée à des interdictions qui peuvent aller jusqu’à 5 ans d’interdiction de stade ;
  • Interdiction administrative, qui permet à la préfecture d’interdire l’accès au stade à des individus le temps qu’ils soient présentés devant la justice. La durée de l’interdiction peut aller jusqu’à 3 ans (en cas de récidive) ;
  • Interdiction commerciale, issue de la loi Larrivé. L’organisateur peut interdire certains supporters d’accéder à la billetterie… ce qui, en principe seulement, leur rend impossible l’achat de place.

« Les limites de cette mesure, c’est qu’elle crispe les relations entre le club et leurs supporters. Elle est aussi difficile à faire respecter sans les moyens technologiques comme la reconnaissance faciale pour vérifier si des personnes interdites ont pu accéder au stade (Ndlr : car elles peuvent acheter des places sous une fausse identité pour accéder au stade). Le FC Metz a fait un test il y a peu de temps mais a été retoqué par la Cnil. On nous demande aujourd’hui de prendre des mesures sans avoir les moyens de pouvoir les appliquer. Cela vaut pour le football, mais aussi pour les grands événements sportifs » déplore Olivier Feneteau.

Et les Jeux de Paris 2024 dans tout cela…

Si les questions liées à la sécurité des Jeux olympiques de Paris 2024 se posent aujourd’hui, c’est notamment en raison de la dégradation évidente des moyens à disposition du milieu de la sécurité – sûreté pour répondre à l’ensemble des problématiques.

Depuis la reprise de la Ligue 1 au mois d’août, les stadiers doivent par exemple non seulement gérer les traditionnelles palpations de sécurité mais également la vérifications des passes sanitaire. Ce qui n’arrange rien au regard du manque d’effectif qui était déjà pesant dans ce secteur ces dernières années.

« Avant la crise du Covid, le monde de la sécurité avait alerté les pouvoirs publics sur le manque d’effectif. Il manquait 10 000 agents de sécurité pour assurer la sécurité des Jeux olympiques Paris 2024 dans de bonnes conditions. La crise sanitaire est passée par là… Nous avons perdu entre 30 % et 40 % de nos effectifs (en service interne ou prestataires de sécurité). Il va falloir remplacer toutes ces personnes » note notre interlocuteur. Et celui-ci d’enchaîner sur les manques de perspectives pour séduire les éventuels candidats.

« Même si le Gouvernement a débloqué des budgets de formation, il va falloir trouver les candidats, les former et les inciter à venir. Former des personnes pour des événements ponctuels c’est bien, mais s’il n’y a pas d’opportunité post Coupe du monde ou Jeux olympiques, ce sera compliqué de les motiver… On rencontre aujourd’hui des problèmes avec des personnels formés ou peu formés et avec très peu d’expérience de la gestion des stades, alors que l’expérience ne peut s’acquérir qu’avec le temps. »

Un feu vert technologique tardif redouté

Devant l’urgence de la situation, ce dernier craint ainsi que des mesures d’urgence soient finalement prises au dernier moment pour tenter de combler les besoins en la matière.

« Le temps de la technologie et le temps législatif ne sont pas les mêmes. Nous avons aujourd’hui une technologie qui est au point, mais la loi n’a pas encore suivi. Ce qui nous fait peur dans le milieu de l’organisation événementiel sportif c’est, à l’approche des grands événements, d’avoir une accélération du temps législatif car on se rendra compte qu’on a un manque de moyen humain. Nous avons la crainte que les législateurs nous permettent finalement d’utiliser certaines technologies mais avec des moyens très courts. Et donc de ne pas avoir les personnels formés ou avec très peu de réflexes. A trois ans de l’événement, on est presque en retard pour pouvoir travailler dans les meilleures conditions » conclut Olivier Feneteau.

Reste à savoir si les nombreux troubles qui pèsent aujourd’hui au sein des stades de Ligue 1 serviront finalement d’élément déclencheur en vue de Paris 2024.

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Eitel Mabouong – Journaliste

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