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Protection du patrimoine : un marché bouleversé par la crise sanitaire
Le secteur de la culture en berne. Réductions budgétaires de l’État, évolution des menaces et longue fermeture résultant de la crise sanitaire : la sécurité des musées et monuments historiques doit s’adapter à de nouvelles contraintes.
Effondrement de la fréquentation touristique
En raison de la pandémie, cet effondrement a contraint nombre de secteurs économiques à se remettre en cause : les transports, les agences de voyages, les hôtels, les restaurants, les commerces… et la sécurité.
La fermeture des musées et monuments historiques pendant de longs mois a provoqué un véritable séisme auquel la profession de la sécurité a dû s’adapter. Probablement avec moins d’impacts négatifs que d’autres métiers directement concernés par la pandémie.
Quelques chiffres résument le contexte : si la France a conservé sa place de première destination mondiale en 2020, elle a accueilli seulement 40 millions de touristes contre 90 l’année précédente, selon Atout France, l’opérateur de l’État en matière de tourisme. De même, les recettes se sont élevées à 89 milliards d’euros (-41 %), dont 28,7 milliards provenant des touristes étrangers (-49,6 %).
« Le tourisme a globalement mieux résisté en France que chez ses principaux pays concurrents », note avec une certaine satisfaction Atout France en précisant que les destinations ayant le plus souffert sont les zones urbaines, alors que les campagnes et la montagne ont mieux résisté. Néanmoins, il faudra entre trois et quatre ans pour revenir aux performances de 2019, ajoute l’agence.
La sécurité reste prioritaire
Ce n’est pas parce qu’un musée ou un monument historique est fermé que sa sécurité est négligée. Bien au contraire !
« Les musées ont une obligation de protection du patrimoine. Les travaux de sécurité ont donc continué pendant les confinements. Certains projets ont même été menés plus rapidement, car l’absence de public a permis de travailler cinq jours par semaine au lieu d’un seul quand le site est ouvert », affirme Bruno Ayrault, conseiller sécurité, sûreté et gestion de crise de Paris Musées, établissement public qui réunit 14 musées de la capitale.
Le confinement a d’ailleurs obligé nombre de musées à changer leur PCA (plan de continuité d’activité). Avant la pandémie, il existait en deux versions (site ouvert ou site fermé), mais il a fallu créer une troisième option : site fermé au public mais services techniques en activité.
Même constat au Muséum national d’histoire naturelle : « Paradoxalement, la pandémie a eu un effet bénéfique sur notre métier, car cette période nous a donné du temps pour prendre du recul. Nous avons par exemple pu réaliser plus facilement des audits de sécurité, des visites de sécurité des sites, des prestations de maintenance et divers projets de sécurité », explique Laurent Victor, son directeur sécurité.
Pendant la fermeture forcée, le Muséum national d’histoire naturelle a réalisé des audits de sécurité, des visites de sécurité des sites, des prestations de maintenance et autres projets de sécurité.
Néanmoins, tout n’a pas été simple, surtout lors du premier confinement qui a pris au dépourvu beaucoup d’entreprises ou de sites. « Il y a eu de vraies difficultés de déplacements des techniciens et d’approvisionnement en pièces détachées », souligne Jean-Christophe Chwat, président de GPMSE, organisation professionnelle qui regroupe les sociétés de sécurité électronique.
Les sociétés de surveillance humaine ont également été affectées par la fermeture de nombreux sites. Certains musées ont réduit leurs effectifs de 10 à 30 % seulement, car il fallait continuer à sécuriser les sites. En revanche, la fermeture de Disneyland Paris pendant plusieurs mois a provoqué une configuration nettement plus allégée : les effectifs des agents de sécurité ont été ramenés à un quart de leur nombre habituel.
Avec l’annulation de très nombreux événements culturels, la situation est devenue « très critique » pour les entreprises de sécurité événementielle qui sont également impactées par l’annulation des compétitions sportives, des foires et des salons, affirme Mustapha Abba-Sany, président de l’Organisation des professionnels de la sécurité événementielle (OPSE). L’activité a été réduite de 63 % en 2020 et l’année 2021 est « mal partie », selon ses premières estimations.
Le marché de la sécurité dédié à la protection du patrimoine a donc subi un coup de frein brutal en 2020 : il se situe désormais en deçà du milliard d’euros, en baisse de près de 10 % par rapport à l’année précédente, alors qu’il progressait jusqu’à présent de 6 à 8 % par an, selon les estimations d’En Toute Sécurité. On note une diminution des dépenses de surveillance humaine, compensée par une montée des investissements en sécurité électronique.
Un rôle élargi pour les directeurs sécurité
La crise sanitaire – qui a créé une situation inédite à bien des égards pour la sécurité – a placé les directeurs sécurité en première ligne pour la réorganisation des sites dont ils ont la charge.
« Durant cette période, nos missions ont pris une envergure transversale, avec des relations plus étroites avec la direction générale, les ressources humaines et la sécurité informatique », souligne Bruno Ayrault.
Les directeurs sécurité ont souvent été la cheville ouvrière de la cellule de crise mise en place depuis le début de l’épidémie. « Mon service a eu en charge le bon approvisionnement en masques et en gel hydroalcoolique. En raison des déplacements devenus compliqués pour les agents de sécurité, nous avons acheté des lits, des machines à laver, des dispositifs pour leur alimentation. En fait, ils sont restés trois semaines sur site », explique Laurent Victor du Muséum national d’histoire naturelle.
Plusieurs musées ont profité de la pandémie pour revoir leur dispositif de cybersécurité, car il est de notoriété publique que certains d’entre eux accumulent un déficit opérationnel et technique important. Or, le recrutement de spécialistes s’avère compliqué, puisqu’une pénurie de personnels compétents s’est largement accentuée durant la pandémie et à cause du développement du télétravail.
Les salaires dans la cybersécurité s’envolent, ce qui ne facilite pas la tâche des sites culturels dont les budgets sont comprimés en raison de l’effondrement de leurs recettes. Ensuite, il a fallu prévoir les dispositifs de sécurité pour la réouverture progressive des musées.
« Les équipes de sécurité étaient en semi-activité durant la fermeture, si bien qu’il a fallu reprendre des formations, faire des exercices de simulation, notamment pour l’évacuation du public ou en cas d’attentat », commente Bruno Ayrault de Paris Musées.
Au moment de leur réouverture, certains sites culturels – comme d’ailleurs toutes les autres catégories de locaux – ont été confrontés à un manque d’agents de sécurité. Une partie d’entre eux a en effet choisi de quitter cette profession et de trouver du travail dans d’autres secteurs. Le retour du public s’est fait par des réservations en ligne uniquement afin de réguler les flux, mais quelques dysfonctionnements sont apparus.
« Privés de musées pendant plusieurs mois, les visiteurs restent plus longtemps que d’habitude sur place si bien que les queues s’allongent à l’extérieur. Certains ont oublié leur masque, d’autres refusent d’en porter et nous sommes obligés de les refouler », ajoute Laurent Victor.
Ce sont les agents Ssiap 2 qui ont l’attribution de contrôler les jauges de visiteurs. Les incivilités se sont donc multipliées dans certains musées, se traduisant par des insultes ou un comportement agressif, mais pas de violence physique. La police, qui a d’autres priorités en cette période particulière, n’intervient pratiquement jamais pour ce type d’incident.
Autre contrainte : la désinfection de certains équipements. Les écrans tactiles ont ainsi été désactivés au Muséum d’histoire naturelle, mais les casques de réalité augmentée dans la Grande galerie de l’évolution ont été maintenus en activité et régulièrement désinfectés.
« En fait, nous avons su faire face à tous les types de situation, de sorte que nous sommes prêts pour un éventuel quatrième confinement. Nous avons appris à réagir rapidement à l’évolution de la pandémie, y compris concernant la gestion du personnel. Les mentalités ont beaucoup évolué pendant cette crise sanitaire », résume Bruno Ayrault, de Paris Musées.
La menace attentats toujours présente
La pandémie ne doit pas faire oublier pour autant la menace attentats qui reste très présente, selon divers analystes, notamment pour certains bâtiments emblématiques comme la Tour Eiffel, le château de Versailles ou des églises.
Les musées ont aujourd’hui l’obligation d’avoir élaboré un plan urgence attentat qui prévoit diverses procédures et l’installation de certains équipements : contrôle d’accès pour le personnel et les livraisons, alarme, réduction du nombre d’accès, filtrage du public, matériel d’inspection à rayons X, etc. Certains d’entre eux ont profité de la parenthèse forcée des confinements pour instaurer ce plan, mais il existe encore des retardataires qui n’ont pas encore commencé cette tâche.
Le marché de la sécurité dédié à la protection du patrimoine a baissé de près de 10 % en 2020 et se situe désormais en deçà du milliard d’euros.
En raison des lourdeurs administratives et des restrictions budgétaires, l’adaptation des sites aux contraintes de sécurité a pu s’étaler sur deux ans. À la Tour Eiffel, le projet va même durer quinze ans, mais il est d’une grande ampleur : 300 M€, comprenant notamment l’installation d’un mur de verre anti-balles sur un large périmètre.
Certains musées ont revu leurs procédures de sécurité Vigipirate à l’occasion de la pandémie. C’est ainsi que les musées de Paris ont supprimé en septembre 2020 la possibilité pour les visiteurs de déposer leurs gros bagages en consignes. Au Muséum d’histoire naturelle, elles ont été carrément fermées, car il fallait les désinfecter à chaque opération.
L’objectif annoncé consiste à réduire au maximum les files d’attente à l’extérieur, car elles constituent des cibles potentielles pour les terroristes. Les agents de sécurité ont bénéficié de nouvelles consignes en matière de menaces attentats, alors qu’ils étaient jusqu’à présent essentiellement dédiés à la lutte contre la malveillance ou le vandalisme. Un vrai changement dans la nature de leurs missions.
Article extrait du n° 575 de Face au Risque : « Incendie : le contrat de maintenance » (septembre 2021).
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