Gestion des bâtiments : les outils de prévention se digitalisent

24 septembre 202111 min

Dématérialisation des documents. Le secteur de la sécurité n’échappe pas à l’ère de la digitalisation. En matière de réglementation de gestion des bâtiments, les registres papiers cèdent eux aussi la place au numérique. La preuve avec les témoignages de deux concepteurs de solutions digitales et quatre utilisateurs de ces solutions, qui se font de plus en plus nombreux.

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2003, lancement d’une première solution digitale

Si le passage au digital se veut aujourd’hui inéluctable, son adoubement n’a pas toujours été limpide dans le monde de la sécurité. Preuve en est avec le cas de VigiRisk, solution pionnière sur le marché de la prévention digitale, qui n’a pas connu un succès fulgurant à ses débuts en 2003.

Fondateur de cette solution avec deux autres collaborateurs, Richard Rablat revient sur les raisons qui ont poussé cette petite équipe à franchir le cap du numérique dès 2003.

« À l’origine, le constat est que les commissions de sécurité sont compliquées pour certains exploitants. On parlait “administratif” et “secrétariat”, mais pas “prévention”. On voulait aider l’exploitant à préparer sa commission de sécurité, à tenir un registre de sécurité en partant d’un registre traditionnel mais en le mettant sur internet. »

Nous précise l’intéressé.

La loi du 13 mars 2000 « portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique » sera un tournant pour VigiRisk.

« Nous avons profité de la modification de la signature et de l’archivage électronique pour dématérialiser le registre, reconnaît notre interlocuteur. Mais il fallait en tout point remplacer le registre papier et garantir au chef d’établissement que ce qui allait être mis en place allait permettre de tenir son registre et prouver sa bonne foi. »

« L’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. »

Source : Légifrance

Pour parfaire cette solution l’idée était alors d’obtenir l’aval des premiers concernés, à savoir des membres siégeant au sein de ces commissions.

« En 2003, on a soumis l’idée à la Commission centrale de sécurité [remplacée par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises depuis 2014, NDLR]. Elle a validé le process en disant que si cette solution informatique respectait les conditions de signature et d’archivage conformément au code civil, alors on pouvait dématérialiser le document. C’était un prérequis. »

Une évolution des habitudes

En dépit d’une partie juridique favorable, encore fallait-il réussir à faire changer les mentalités.

« En 2003, j’avais besoin d’énormément d’arguments car il y avait des freins. Je soulignais les éléments que le registre papier n’avait pas. Alors que maintenant, ce qui rassure les clients, c’est d’annoncer qu’on ne change rien, sauf que c’est sur internet, à distance et partagé. »

Près de 20 ans plus tard, le changement est notable, autant dans les mentalités que sur le plan technique.

« Le fait de dématérialiser le “classeur rouge” ne gêne pas. C’est entré dans les moeurs. Aujourd’hui les gens ont accepté l’idée car ils veulent gagner du temps et être plus efficaces. Les technologies ont aussi évolué, on en est à notre 5e version. »

D’autres prestations sur le marché

Cette évolution des mentalités a permis l’arrivée d’autres solutions telle que BatiRegistre. Sur le marché depuis 2016, elle aussi dispose d’une certaine expertise dans le milieu de la sécurité du bâtiment. Elle est en effet la propriété de BatiSafe, un bureau d’études lancé en 2006. Son fondateur, Jérôme Pauchard, nous précise les avantages des registres en ligne.

« Le principe, c’est de mettre un terme aux registres et dossiers réglementaires papiers en les digitalisant. Mais ce n’est pas une simple gestion de documents, on a intégré toute la réglementation. Notre solution est un vrai outil de pilotage.

Cela veut dire qu’aujourd’hui, quelqu’un qui ne connaît pas la réglementation a juste à entrer l’activité et la taille de son bâtiment. Et il verra un tableau de bord pour lui dire ce qu’il doit faire, avec des rappels (pour procéder aux vérifications), les rapports à intégrer… On ne peut plus rien oublier. »

Même si cette solution est récente sur le marché, en comparaison avec VigiRisk, les fondateurs de BatiSafe ont cependant eux aussi fait face aux a priori négatifs du public.

« Le papier c’est matériel, donc laissé à un endroit précis. On a mis environ quatre ans à “éduquer” le public, en répétant que le digital est plus efficace que le papier pour piloter son bâtiment. Sur un site internet, les personnes autorisées peuvent avoir accès à la gestion du registre à distance et faire leur job en disposant de toutes les informations », plaide-t-il, avant toutefois de faire comprendre qu’il reste encore « une éducation à faire. »

Un gain de temps précieux

Quel que soit le secteur d’activité, les personnes amenées à gérer la sécurité des bâtiments cherchent toutes à simplifier la tenue de leurs registres. Notamment en maximisant les gains de temps. C’est en tout cas l’avis général recueilli auprès de nos interlocuteurs, tous utilisateurs de ces solutions.

Le logiciel BatiRegistre dédié à la gestion des batiments est utilise depuis 2019 au Centre hospitalier d'Antibes - Credit photo CH Antibes

Le logiciel BatiRegistre, dédié à la gestion de la sécurité des bâtiments, est utilisé depuis 2019 au Centre hospitalier d’Antibes. (Crédit photo CH Antibes).

Responsable sécurité au Centre hospitalier d’Antibes, Thierry Kobler explique ce qui l’a décidé en 2019 à opter pour le logiciel BatiRegistre.

« Dans un établissement recevant du public (ERP) il y a différents registres à tenir : le registre accessibilité, le registre amiante, le document unique, le registre de sécurité, la qualité de l’eau… Le logiciel proposait l’ensemble de ces registres, avec la réglementation propre pour chacun d’eux. »

Outre le fait de rassembler plusieurs registres, la tenue à jour des documents a été un plus. « Je gère tous les domaines. Mais le technicien dédié à la qualité de l’eau a par exemple son propre accès au logiciel. Tous les domaines sont rassemblés dans le même logiciel ».

Une facilité dans les manoeuvres qui met fin aux traditionnels classeurs.

« Pour un hôpital comme le nôtre, cela représente une quantité astronomique de documents. On ouvre les classeurs, on tourne les pages mais rien de ce qui a été fait ne saute aux yeux… Là c’est instantané : on prend un ordinateur ou un smartphone, on peut le projeter à distance… ça se fait tout seul. »

Autre centre hospitalier et autre logiciel. Du côté du Centre hospitalier universitaire de Rouen, Jacques Contassot-Vivier, chef du service sécurité incendie, a misé sur la solution VigiRisk dès 2010. Une époque où « il n’y avait pas énormément de solutions de registres en ligne » se souvient- il.

Le logiciel VigiRisk aide à la gestion de la sécurité des bâtiments du Centre hospitalier universitaire de Rouen depuis 2010. Ici l’hôpital Charles Nicolle, principal site du CHU de Rouen. (Crédit photo CHU Rouen).

Le logiciel VigiRisk aide à la gestion de la sécurité des bâtiments du Centre hospitalier universitaire de Rouen depuis 2010. (Crédit photo CHU Rouen).

Passé par les Pompiers de Paris, avant de rejoindre le CHU de Rouen en 2009, l’intéressé a officié à de multiples commissions de sécurité en tant que membre. C’est à ces occasions qu’il s’est familiarisé avec VigiRisk, qui « donne une vraie température » sur le suivi. Il a rapidement perçu la différence entre les versions papiers et numériques.

« Auparavant, dans les commissions, on voyait les gens arriver le matin avec leurs charriots de classeurs d’annexes. Alors que là, on n’a qu’une bibliothèque. Il y a un gain de temps énorme dans la vérification et le contrôle documentaire.

Les membres de la commission sont actifs. Ils peuvent suivre la vérification de l’ensemble des documents en possédant chacun un registre imprimé avec les différentes rubriques renseignées, commentées et signées électroniquement. Parallèlement, ce registre peut être déroulé sur un écran. C’est fluide, rapide et clair. »

En gagnant du temps sur la tenue des registres, les membres de la commission peuvent alors davantage se pencher sur la visite physique des sites.

Une simplification pour l’archivage

Au-delà d’un gain de temps en commission, les registres dématérialisés ont aussi une facilité d’utilisation au quotidien. « Le plus compliqué à suivre ce n’est pas forcément la commission de sécurité, mais tous les rapports des organismes agréés et des techniciens compétents qui se succèdent », argue un utilisateur gérant la conformité de plusieurs bâtiments dans un complexe commercial situé au coeur de Paris.

Il reconnaît l’efficacité des solutions en ligne dans le suivi des prescriptions et des rappels. « Il y a une notion de traçabilité importante : assurer un suivi des nouvelles prescriptions, lancer des travaux, faire de la planification, savoir sur quelles actions on est en retard ou lesquelles lancer en vue des prochaines commissions ».

Ce dernier précise en outre que le fait d’avoir « la possibilité de rentrer des documents antérieurs à la date de mise en service du logiciel dans l’entreprise est un plus ».

Responsable sécurité en charge de 67 bâtiments en France au sein de Galileo Global Education (groupe d’enseignement supérieur privé regroupant 45 écoles et 85 campus à travers 13 pays dans le monde), Frédéric Thos confirme les propos de son homologue concernant l’archivage.

« Les archives représentent un poids pour les établissements. Cela peut être compliqué de retrouver les documents si l’on n’est pas spécialiste de l’archivage… Avec ces solutions, on a tout sous la main. Et 20 ans après, on peut retrouver les documents enregistrés. »

Une meilleure gestion à distance

Pour celui qui doit gérer la mise en conformité d’établissements à travers la France, le contrôle à distance permis par les logiciels est un avantage énorme sur la version papier. Adepte de BatiRegistre depuis une expérience professionnelle antérieure, Frédéric Thos n’a pas hésité à mettre en place cette solution lors de son arrivée chez Galileo en septembre 2019.

« Je connaissais déjà BatiRegistre par rapport à mes anciennes fonctions sur le campus HEC, à la différence que j’avais tous les établissements sur le même campus alors qu’à présent, j’ai 67 établissements répartis sur toute la France », rappelle-t-il dans un premier temps avant de se pencher sur les avantages liés à la logistique.

« Le choix de ce logiciel, c’est principalement pour avoir un registre de sécurité commun à tous nos établissements. On a aussi des chefs d’établissement qui ne sont pas forcément experts en sécurité et pour qui c’est plus facile à gérer.

En étant basé à Paris, il était difficile pour moi de me déplacer régulièrement sur tous nos sites en France pour mettre à jour les registres de sécurité papiers et anticiper les problématiques. Il y avait un vrai besoin de voir à distance comment les établissements étaient gérés. »

Gare aux pannes de réseau !

Pour les futurs adeptes, si l’usage et le suivi digital sont simplifiés, un temps d’adaptation reste malgré tout nécessaire. Que ce soit pour se familiariser avec l’outil ou entrer les données, qui peuvent représenter plusieurs années d’archivage. L’un de nos témoins a par exemple eu recours à l’embauche de deux assistants en alternance pour entrer l’ensemble des archives des bâtiments dans la solution. « C’est un travail de fourmi » précise un autre interlocuteur.

Question inconvénients, un autre a par ailleurs eu un contretemps technique avec une panne de réseau informatique le jour d’une commission de sécurité… Ironie de l’histoire, c’est finalement « à l’ancienne », sur un bon vieux registre papier qui était tenu à jour en parallèle, que cette commission s’est déroulée. À noter au passage que VigiRisk et BatiRegistre conseillent de toujours garder un exemplaire papier pour anticiper ce type de défaillance.

Enfin, les fondateurs de ces solutions nous ont fait savoir qu’un incident du type OVH – qui a provoqué la panne de plus 3,6 millions de sites internet (et des pertes de données irréversibles pour une partie d’entre eux) – avait été anticipé bien en amont de l’événement survenu dans la nuit du 9 au 10 mars 2021 à Strasbourg.

Cela fait en effet plusieurs années que ces solutions hébergent les données des utilisateurs en redondance (dans des data centers différents) afin d’éviter une éventuelle perte de données.


Article extrait du n° 575 de Face au Risque : « Incendie : le contrat de maintenance » (septembre 2021).

Eitel Mabouong – Journaliste

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