Attentat du Bataclan : l’exposition au danger peut favoriser l’entraide
Le procès des attentats du 13 novembre 2015 s’ouvre à partir du mercredi 8 septembre 2021. À la veille de cet événement, retour sur un article consacré à l’attaque terroriste du Bataclan publié dans le n° 567 de Face au Risque (novembre 2020).
Des chercheurs ont mené une étude sur les réactions face au danger auprès des rescapés de l’attaque terroriste du Bataclan du 13 novembre 2015. Guillaume Dezecache, l’un de ces scientifiques et docteur en sciences cognitives, nous explique les conclusions de ces recherches.
13 novembre 2015
Vers 21 h 40, au Bataclan à Paris pendant un concert des Eagles of Death Metal auquel assistaient environ 1 500 personnes, trois terroristes armés faisaient 90 morts et des centaines de blessés.
Docteur en sciences cognitives, Guillaume Dezecache a mené, avec sept autres chercheurs, une étude sur les rescapés. L’objectif : en savoir plus sur les réactions individuelles et collectives au danger. Cinq ans après le drame, il nous livre les résultats qui devraient être publiés prochainement dans une revue scientifique.
« De nombreuses recherches ont montré que face à une menace mortelle, la panique généralisée est rare. »
Guillaume Dezecache, docteur en sciences cognitives.
Pouvez-vous nous raconter l’origine de l’étude ?
Guillaume Dezecache. Une croyance tenace veut que nous réagissions au danger de manière individualiste et égoïste et que nous cédions à la panique, alors que plusieurs études de situations d’attentats, comme au World Trade Center en 2001 ou dans le métro de Londres en 2005, révèlent que l’exposition au danger peut favoriser la coopération et l’entraide. De nombreuses recherches ont montré que face à une menace mortelle, la panique généralisée est rare et les comportements socialement supportifs – c’est-à-dire ceux qui profitent aux autres comme rassurer les autres, leur donner des informations, aider les blessés – sont souvent rapportés.
Dans la littérature, ceci s’explique par le maintien des conventions et des normes sociales dans les situations d’urgence, mais aussi le fait que le contact avec les autres, surtout avec ceux qu’on connaît, est une réponse primaire aux dangers, chez l’homme comme chez l’animal. On voit aussi que la perception d’un destin commun fait naître une identité sociale commune avec des normes pro-sociales parmi ses membres.
Cependant, les facteurs situationnels qui favorisent de tels comportements et les motivations sous-jacentes restent flous. D’où notre étude. Financée par l’appel CNRS Recherche-Attentats suite à l’attaque du Bataclan, elle avait pour but d’étudier les comportements sociaux lors d’une fusillade dans un lieux clos et d’examiner les facteurs situationnels qui favorisent l’émergence de comportements supportifs entre les otages.
Nous avons envisagé que deux facteurs physiques participaient aux comportements supportifs :
- la distance par rapport au danger ;
- la possibilité de s’échapper.
Et nous avons imaginé trois motivations derrière les comportements d’entraide : individualistes, coopératives ou altruistes.
Comment s’est déroulée l’étude ?
G. D. Mes collègues et moi-même avons interrogé, entre juin et novembre 2016, 32 survivants de l’attaque, sur la base du volontariat, via des associations de victimes. Parmi eux, 23 se trouvaient au rez-de-chaussée et 9 au premier étage au début de l’attaque. Certains ont pu fuir par les entrées principales ou vers les loges, les toilettes ou la salle technique. D’autres sont restés dans la fosse et ont été libérés par les forces de l’ordre.
Les interviews ont duré en moyenne 1 h 45 et étaient basées sur un questionnaire pré-établi. Nous avons demandé aux rescapés de nous raconter « leur » Bataclan : où ils se trouvaient dans la salle, avec qui ils étaient, ce qui les unissait aux autres membres du public. Nous avons structuré notre questionnaire en trois étapes :
- lorsque le répondant savait que quelque chose de grave se passait mais qu’il ne savait pas quoi ;
- lorsqu’il s’est rendu compte qu’il s’agissait d’une attaque à l’arme à feu ;
- le reste du temps jusqu’à la sortie du Bataclan.
Un professionnel de la psychologie était systématiquement présent. Et les participants pouvaient passer n’importe quelle question s’ils ne se sentaient pas à l’aise. Nous avons posé plusieurs questions sur ce qu’ils avaient fait et vu. Nous leur avons aussi demandé à quel point ils se sentaient proches d’autrui.
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Qu’est-il ressorti de ces interviews ?
G. D. Les participants à l’étude nous ont rapporté des actions non sociales, comme courir, regarder autour de soi, escalader ou encore faire le mort, stratégie très utilisée dans la fosse, et des actions sociales, qui impliquaient l’autre.
Parmi celles-ci, ils nous ont indiqué avoir vu, initié ou participé à :
- des actions individualistes, qui impliquent autrui mais sans considérer son bien-être. Par exemple dire à quelqu’un de se taire pour ne pas se faire repérer, pousser, piétiner pour atteindre les sorties, ignorer une demande d’aide ;
- des actions de requêtes : crier pour demander de l’aide, demander qu’on prête un téléphone ;
- des actions de support physique : traîner une personne en sortant, faire un garrot avec ses vêtements. Un rescapé nous a raconté avoir vu des personnes qui en protégeaient d’autres de leur corps ;
- des actions de support émotionnel, comme tenir la main pour rassurer ;
- des actions de support informationnel : informer sur la localisation des sorties, des terroristes et leurs mouvements, sur l’intervention des forces de l’ordre… Souvent, on nous a indiqué que les uns et les autres se disaient « Cassez-vous, ils rechargent ! ». Une espèce de cri d’alarme au risque de se faire repérer plutôt que de s’en aller tout seul ;
- des actions collaboratives : se blottir dans les bras les uns des autres, faire la courte-échelle pour monter sur le toit du Bataclan alors que parfois les terroristes étaient juste derrière la porte. Des actions coordonnées de protection ont aussi été décrites dans la fosse, où un répondant a parlé d’une « portée de chatons » car les gens « s’imbriquaient intelligemment ».
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Il est également ressorti de ces interviews que les normes sociales continuaient bien à prévaloir dans de telles situations. Apparemment, très vite, les femmes et les blessés ont été prioritaires quand il s’agissait de s’échapper. On a aussi une personne qui nous a raconté avoir vu un chapeau à terre, alors qu’elle était en train de descendre vers une issue de secours, et qu’elle ne voulait pas l’écraser. Autre exemple qui est pour moi fascinant, dans l’une des loges, une procédure de vote démocratique a été instaurée pour décider qui serait en contact avec la police, s’il fallait ou non ouvrir une porte, une fenêtre… D’après les témoignages, les décisions pouvaient être contestées mais elles…
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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