Retour sur la condamnation de Monsanto en 2020 pour produits défectueux
Marathon judiciaire. L’agriculteur Paul François a finalement obtenu gain de cause en 2020 face à la multinationale. Gravement intoxiquée en 2004, la victime a bénéficié d’une décision reconnaissant la qualification de produit défectueux du pesticide Lasso. L’indemnisation est toujours en attente.
Dans les décisions importantes de l’année 2020, il faut noter la condamnation définitive de la Cour de cassation à l’encontre de la société Monsanto, dont l’herbicide de maïs – le Lasso – a été qualifié de produit défectueux. Cet herbicide est interdit en France depuis novembre 2007. Il a été banni du Canada dès 1985, puis de Belgique et du Royaume Uni en 1992.
Condamnation définitive de Monsanto en France
Monsanto s’est spécialisée dans les biotechnologies et les semences durant les années 1980. Cette période a vu également le développement d’autres grandes entreprises du secteur : Syngenta, Dow Agro Science et Pioneer Hi Bred, toutes étant présentes sur les marchés des semences, des produits phytosanitaires et des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Monsanto était, jusqu’en 2000, détentrice du brevet – aujourd’hui tombé dans le domaine public – sur le glyphosate, un herbicide total commercialisé sous la marque « Roundup ». C’est l’herbicide le plus utilisé dans le monde.
En l’espèce, c’est un autre désherbant, le Lasso qui était en cause. Certains professionnels considèrent que le produit aurait dû être laissé sur le marché et disponible à la vente, en raison de son efficacité qui n’avait aucun équivalent. Selon eux, il serait possible de limiter ou d’éluder les dangers d’utilisation, en respectant scrupuleusement certaines précautions d’emploi.
« La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir relevé (…) que le produit ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitiment s’attendre. »
Mais ce sont également les méthodes de l’entreprise qui ont été contestées : Monsanto est soupçonnée d’avoir rémunéré, directement ou indirectement, des experts et scientifiques afin de discréditer les lanceurs d’alerte, de donner une image positive des produits qu’elle vend et de faciliter l’agrément des autorités sanitaires.
D’ailleurs, le groupe Bayer, qui a racheté Monsanto en septembre 2018, a semble-t-il abandonné définitivement la marque Monsanto en raison de son impact négatif dans le public.
Le désherbant qualifié de produit défectueux
Dans sa décision du 21 octobre 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation a clairement énoncé qu’en sa qualité de fabricant d’herbicide de maïs, la société Monsanto était responsable de la mise sur le marché d’un produit défectueux et qu’elle ne pouvait prétendre que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où le produit avait été mis en circulation, ne permettait pas de déceler l’existence d’un « défaut » (au sens de l’article 138611 4e devenu 124510 4e du code civil transposant l’article 7 de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité sans faute du producteur du fait d’un produit défectueux).
La Cour de cassation a pris la peine de motiver sa décision en visant soigneusement les textes applicables et en s’appuyant précisément sur les faits de l’espèce. Elle relève qu’aux termes de l’article 12454 du code civil (ancien article 13865), un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement et ne fait l’objet que d’une seule mise en circulation (il s’agit, pour les produits fabriqués en série, de la date de commercialisation du lot dont le produit faisait partie).
Elle relève que le produit avait bien été mis en circulation par son producteur postérieurement au 22 mai 1998, ce qui rendait applicable le régime européen de responsabilité du fait des produits défectueux.
Elle rappelle également que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, et que la preuve que le dommage est imputable au produit peut être apportée par tout moyen et notamment par des indices graves, précis et concordants.
En l’espèce, il résultait des attestations versées au débat que le produit avait été acquis le 13 avril 2004 et que le 27 avril 2004, l’agriculteur ayant utilisé le désherbant à maïs avait dû être conduit à l’hôpital, les rapports d’expertise médicaux démontrant que l’inhalation du produit avait entraîné la perte de connaissance de l’agriculteur, ainsi qu’une atteinte neuronale se traduisant par la perte de connaissance, des maux de tête et des céphalées violentes, ainsi que des crachats hémoptoïques et une toux irritative, signes révélateurs d’une atteinte respiratoire.
Les éléments de preuves réunis, à savoir l’étiquette du produit apporté à l’hôpital à la suite de l’hospitalisation de l’agriculteur, ainsi que les appels du service des urgences, démontraient que le lien était établi entre l’inhalation du produit et le dommage survenu.
La Cour de cassation approuve donc la cour d’appel d’avoir également relevé que l’étiquetage ne respectait pas la réglementation applicable, qu’elle ne comportait pas de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux sur ou dans les cuves de réservoirs contenant le produit, et que ce dernier ne présentait donc pas la sécurité à laquelle on pouvait légitiment s’attendre. Le produit est donc jugé défectueux au sens de l’article 6 de la directive du 25 juillet 1985.
Une indemnisation faible au regard des peines prononcées aux États-Unis
L’agriculteur doit cependant attendre l’issue d’une autre instance pour espérer obtenir l’indemnisation de son préjudice. Estimé par la victime à un million d’euros, il est fort probable qu’il sera réduit drastiquement par les juridictions françaises, traditionnellement très mesurées au regard de ce qui se pratique outre Atlantique.
Ainsi en 2019 un jury américain a condamné Monsanto à verser deux milliards de dollars au total à un couple de septuagénaires atteints d’un cancer, la maladie étant imputée au désherbant « Roundup ». Il a également accordé 55 millions de dollars au couple à titre compensatoire (pertes économiques, préjudice moral…), estimant que l’exposition au Roundup avait causé leur cancer et que Monsanto avait failli à l’obligation de prévenir ce grave danger pour la santé.
En août 2019, Monsanto avait déjà été condamnée à verser 289 millions de dollars à un jardinier atteint lui aussi de cancer, une somme réduite ensuite à 78 millions.
Plus de 11 000 procédures contre le Roundup sont en cours aux États-Unis. Le groupe allemand Bayer continue à affirmer qu’aucun régulateur dans le monde n’a conclu à la dangerosité du glyphosate depuis sa mise sur le marché au milieu des années 1970, et met en avant 800 études sur ses effets. Le Centre international de recherche sur le cancer, une émanation de l’OMS, a considéré en 2015 que le glyphosate était « probablement cancérigène », mais pas l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ni l’Agence européenne des produits chimiques (Echa).
Rappelons qu’en France, le Gouvernement a lancé un plan de sortie du glyphosate. L’Agence nationale pour la sécurité sanitaire (Anses) a lancé une évaluation des alternatives non chimiques à cet herbicide dont les résultats ont été rendus publics le 9 octobre 2020.
L’usage de la substance est dorénavant restreint aux situations où le glyphosate n’est pas substituable à court terme. Ainsi en 2021 pour la viticulture, il existe des doses annuelles maximales autorisées (450 g de glyphosate par hectare, les applications étant limitées à 20 % de la surface de la parcelle, soit une réduction de 80 % par rapport à la dose maximale autorisée auparavant).
1re chambre civile, n° 19-18.689, 21 octobre 2020.
Article extrait du n° 574 de Face au Risque : « L’hydrogène en lumière » (juillet-août 2021).
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