Administrations et collectivités territoriales / Assurance / BTP / BUP / ERP/IGH / Industrie/ICPE / Santé et sécurité au travail
Analyse comparée de la sécurité au travail en Europe : la France, championne des accidents de travail mortels
Face aux accidents de travail, la France ne progresse pas, contrairement à ses voisins européens. Cet article aborde successivement quelques chiffres clés sur ce sujet ainsi que des éléments d’analyse sectorielle sur laquelle travailler pour infléchir une telle tendance lourde. Les données utilisées sont celles d’Eurostat et s’appuient sur les cas constatés d’accidents de travail.
Eléments méthodologiques
Les statistiques sur la santé et la sécurité au travail sont communiquées à Eurostat par les offices nationaux de statistiques, les organismes de sécurité sociale, les compagnies d’assurances privées (comme en Belgique) et les ministères du Travail des pays membres. Les Pays-Bas font exception puisque c’est le seul pays où les statistiques sont collectées par sondage.
Quelques règles d’homogénéisation ont été adoptées pour permettre l’agrégation des données en provenance de tous les pays et le calcul d’indicateurs européens à des fins de comparaison entre les pays.
Un accident du travail est défini comme un événement de courte durée survenant au cours d’une activité professionnelle et occasionnant un préjudice physique ou psychologique. Les données incluent les accidents mortels et les accidents non mortels ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à trois jours. Un accident est considéré comme mortel lorsque la victime est décédée dans une période d’un an après la date de survenance de l’accident du travail.
Quelques précisions
Les statistiques incluent tous les accidents qui ont eu lieu durant le travail. Peu importe si l’accident s’est produit dans les locaux ou hors des locaux de l’employeur ou dans les locaux d’un autre employeur, dans un espace public ou durant le transport (incluant les accidents de la route et les accidents causés par n’importe quel moyen de transport) au cours d’une mission ou au domicile (cas du télétravail). Cela tient compte aussi des cas d’empoisonnement, d’intoxication ou de tout acte intentionnel d’une tierce personne.
Les statistiques excluent les accidents de trajet, c’est-à-dire ceux qui surviennent sur le chemin pour aller au travail ou lors du retour au domicile. Elles excluent les blessures que le travailleur s’inflige volontairement à lui-même ainsi que les événements dont l’origine est uniquement liée à des problèmes de santé (par exemple attaque cardiaque ou cérébrale) qui ne sont pas liés, même partiellement, à l’activité professionnelle de la victime.
Des différences de déclaration d’un pays à l’autre
Des disparités importantes existent d’un pays européen à l’autre concernant la déclaration officielle dans le registre national des accidents du travail mortels. En effet, celle-ci se fait le jour du décès aux Pays-Bas, dans les 30 jours après la survenance de l’accident en Allemagne et 1 an et demi après l’accident en Espagne. En France, en Belgique ou en Italie aucune limite dans le temps n’est fixée.
Les indicateurs de mesure des accidents du travail sont le nombre d’accidents et le taux d’incidence (c’est-à-dire le nombre d’accidents par 100 000 travailleurs). Le taux d’incidence présente l’avantage d’être comparable dans le temps et d’un pays à l’autre puisqu’il ne dépend pas du nombre total de travailleurs.
Huit pays retenus
Nous avons sélectionné huit pays européens pour effectuer notre analyse : France, Allemagne, Autriche, Belgique, Pays-Bas, Italie, Espagne, Portugal. Et, pour mieux refléter le panel de pays choisis, nous avons également opté pour l’indicateur regroupant les statistiques de l’Union européenne des 15 (UE des 15), comprenant en plus les pays suivants : Luxembourg, Danemark, Irlande, Grèce, Finlande, Suède et le Royaume-Uni qui était encore dans l’Union européenne.
Les chiffres clés
Pour comparer l’évolution des accidents de travail mortels des huit pays sélectionnés entre eux mais aussi par rapport à la moyenne européenne, nous avons re-basé le taux d’incidence de chacun des pays par celui de l’UE des 15 (voir graphique ci-dessous).
Une comparaison des taux absolu en 2009 et en 2017 prend tout son sens pour identifier les pays qui ont fait des efforts pour faire baisser le nombre de morts et ce indépendamment du niveau absolu (voir tableau 1 ci-dessous).
La France est le seul pays qui a vu le nombre de décès s’accroître entre 2009 et 2017 en passant de 2,17 décès par 100 000 travailleurs à 2,64 décès par 100 000 travailleurs, soit une augmentation de 22 % en 8 ans. L’Autriche a, quant à elle, fait baisser son taux d’incidence des accidents mortels de 47 % sur la même période.
« La France est le seul pays qui a vu le nombre de décès s’accroître entre 2009 et 2017 (…) avec une augmentation de 22 % en 8 ans. »
S’inspirer de l’exemple des Pays-Bas
Les Pays-Bas, dont le taux de décès est déjà faible dès l’origine, ont réussi à le faire baisser de 45 % en 8 ans, passant ainsi de 1,07 à 0,59 décès par 100 000 travailleurs. Ils sont l’exemple par excellence de l’objectif « zéro mort au travail ». Cet objectif devrait être gravé dans le marbre par tous les pays mais aussi par toutes les entreprises. N’oublions pas que, sous ces statistiques, nous parlons de la vie et de la mort d’êtres humains.
L’exemple des Pays-Bas devrait être inspirant car il montre que décéder à cause de son travail n’est pas une fatalité et que les entreprises peuvent réduire le nombre des décès au travail sans limite. Dans le tableau 2 figure le nombre de décès par année et par pays. En 2017, 2 154 travailleurs ont perdu la vie dans les huit pays sélectionnés alors qu’ils étaient 2 668 en 2009, soit 514 vies sauvées en 8 ans dont 219 rien que pour l’Italie. La France, qui caracole en tête des mauvais élèves, est passée quant à elle sur la même période de 557 à 585 décès, soit 28 décès supplémentaires.
Cette revue des statistiques sur les accidents du travail des pays considérés comme le noyau dur de l’Union européenne, par leur antériorité dans l’Union et leur nombre de travailleurs, montre des disparités importantes (voir graphique 2 ci-dessous) et des évolutions parfois incohérentes entre les pays membres.
De nombreux axes de progression doivent permettre d’infléchir une telle tendance lourde : la prise en compte des facteurs sectoriels, la prise de conscience des responsabilités des dirigeants et personnes titulaires des délégations de responsabilité, la nécessité d’investir dans la protection et la prévention selon une approche de précaution et une approche par les risques, la mise en place de véritables politiques de sécurité au niveau des entreprises et le rôle des formations des managers et collaborateurs. Ces éléments bien que connus, restent indispensables.
Synthèse et perspectives
Comment expliquer ces disparités alors que l’UE a depuis toujours considérée la santé et la sécurité au travail (SST) comme une priorité importante ? L’arsenal règlementaire, avec plusieurs dizaines de directives et des commissions dédiées, des groupes de travail ad-hoc, des enquêtes de suivi et des études consacrées par dizaines, n’a pas permis d’aligner les dispositifs relatifs à la SST dans les différents pays membres. L’UE ne peut pas assurer aux travailleurs européens le même niveau de sécurité et de santé au travail en fonction du pays où ils exercent.
Nous avons regardé quelques éléments des dernières études de suivi de l’implémentation des directives spécifiques à la SST dans les pays membres de l’UE pour tenter de comprendre ces disparités mais sans réellement y parvenir.
Il est vrai que l’enquête Esener-2 fait ressortir que seulement 56 % des entreprises françaises procèdent à des évaluations des risques SST, contre 77 % aux Pays-Bas. Alors que les visites médicales pour les travailleurs placent la France en tête du peloton avec un taux de 93 % de réponses positives, les Pays-Bas affichent le taux le plus faible avec seulement 24 % des entreprises qui déclarent procéder à des visites médicales de leurs travailleurs.
La situation de la conformité des PME/TPE aux règlements européens et aux éventuelles disparités dans le traitement de la SST par rapport aux grandes entreprises montre que les Pays-Bas sont aussi exigeants avec les petites entreprises qu’avec les grandes, là où la France fonctionne à deux vitesses en fonction de la taille des entreprises.
Extrait de l’article du n° 573 de Face au Risque : « ERP et Covid-19, l’impact sur la sécurité – sûreté » (juin 2021).
Nicolas Dufour
Docteur en sciences de gestion, professeur des universités associé au CNAM et Risk Manager dans le secteur de l’assurance
Abdel Bencheikh
Directeur des risques et de l’audit interne du groupe House of HR
Les plus lus…
Le bureau d’analyse des risques et des pollutions industrielles (Barpi) a publié un nouveau flash Aria dédié aux travaux par…
La roue de Deming est une méthode d’amélioration continue symbolisée par une roue progressant sur une pente dans un…
Alors que les entreprises devant contrôler l’identité de leurs clients font évoluer leurs méthodes de vérification, les fraudeurs s’adaptent et…
Lancée le 17 décembre, la plateforme 17Cyber ambitionne de devenir le nouveau réflexe pour les victimes de cybermalveillance en France.…
L’intelligence artificielle connait une dynamique importante en termes d’implémentation, notamment depuis l’arrivée des « modèles de langages conversationnels ». Elle…
La directive (UE) 2024/3019 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2024 relative au traitement des eaux…