Le Covid-19, accélérateur de tendances pour les métiers de la sécurité

16 juin 202113 min

Certains acteurs de la sécurité/sûreté des ERP ont échangé sur l’impact du Covid-19 et sur leur métier, à la suite de l’enquête menée par Face au Risque et CNPP sur le sujet. Si la crise sanitaire a apporté son lot de menaces et de risques, elle est aussi synonyme d’opportunités. Polyvalence, adaptabilité, légitimité : voici ce que nous avons retenu des différents retours d’expérience partagés.

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Tout le monde le sait, la pandémie est une crise hors norme qui a rebattu les cartes du point de vue économique et social, en touchant également le monde du travail. Si l’industrie a été lourdement touchée, principalement lors du premier confinement, les établissements recevant du public (ERP) ont été et sont toujours parmi les plus impactés. Intensification de l’activité pour certains comme les milieux de soins ou le secteur alimentaire, fermeture pour d’autres comme les établissements culturels ou liés à l’événementiel, l’organisation en place, les métiers et les missions ont été bouleversés.

Pour comprendre les impacts du Covid-19 sur la sécurité dans ces établissements mais aussi comprendre comment la crise a été vécue de l’intérieur par les acteurs de la sécurité/sûreté, Face au Risque et le groupe CNPP ont mené une grande enquête auprès des chargés de sécurité/ sûreté. Nature des missions, gestion de la crise, projets en cours, perception des risques : les premiers résultats ont été présentés dans Face au Risque n° 571 d’avril 2021.

Pour rappel, l’étude a été menée avec le soutien de l’Acses, l’Apsighe et Perifem. Plus de 200 questions ont été envoyées par voie numérique en décembre 2020 et janvier 2021. 156 questionnaires ont été recueillis, dont 85 % intégralement remplis. Certains répondants ont participé en tant que directeur sécurité groupe de grandes enseignes, représentant donc de nombreux ERP. S’il est important de préciser que l’étude ne se fonde pas sur un échantillonnage représentatif des ERP, et qu’il ne s’agit pas d’un reflet fidèle de la réalité, les résultats permettent tout de même de délivrer de grandes tendances.

Si presque tous les types d’ERP ont répondu, deux populations relativement bien représentées ont pu être mises en exergue : les établissements de soins et médico-sociaux (types U et J) et les magasins de vente et centres commerciaux (type M). Pour les autres, le nombre de réponses n’était pas représentatif (les musées par exemple). La moitié des répondants travaille dans des ERP de première catégorie (effectif fictif de plus de 1 500 personnes).

D’après l’étude, le chargé de sécurité est un homme âgé en moyenne de 45 ans, avec plusieurs années d’expérience dans le milieu. D’un point de vue global, les chargés de sécurité sont à 80 % en service intégré (salariés de la maison mère). Mais dans le détail, ce pourcentage varie selon le type d’ERP. Moins de 60 % sont en service intégré en type M contre 94 % en types U et J.

Ils sont le plus souvent rattachés à des directions techniques ou à la direction générale. Les effectifs dépassent, dans plus de la moitié des cas, les 10 personnes au sein des services sécurité/sûreté.

  • Parmi les répondants, 43 % ont dû fermer leur établissement, avec une médiane de 84 jours de fermeture en 2020. Un tiers des ERP fermés en a profité pour réaliser des travaux.
  • Seulement 10 % des chargés de sécurité ont effectué au moins une période de chômage partiel, sachant qu’aucun répondant en types U et J n’a été affecté. Une petite moitié des chargés de sécurité a réalisé une partie de ses missions en télétravail, principalement pour les salles de spectacles, les parcs des expositions ou les types M.
  • Près de 20 % des équipes de sécurité se sont retrouvées au chômage partiel, mais logiquement, la disparité est très forte selon les secteurs. Les plus impactés sont les parcs des expositions, les salles de spectacles et les musées.
  • Plus de sollicitations, plus de stress et une surcharge de travail et de demandes sont les impacts sur les chargés de sécurité et leurs équipes les plus cités.
  • L’impact du Covid-19 sur les budgets de fonctionnement et d’investissements en sécurité incendie et sûreté est relativement faible.
  • Les formations des personnels de sécurité ont été reportées dans 56 % des cas.

Pour confronter ces enseignements à la réalité du terrain, un webinaire a rassemblé le 7 mai 2021 quatre acteurs de la sécurité/sûreté en ERP : Agnès Oberlin, responsable Sécurité incendie/environnement au centre hospitalier de Troyes et présidente de l’Acses (Association des chargés de sécurité des établissements de soins), Franck Charton, délégué général de Perifem, organisme technique fédérant les secteurs de la distribution, Rodolphe Temple, chef du service Sécurité incendie et assistance à personnes de l’hôpital Marie Lannelongue et président de l’Apsighe (Association pour la promotion de la sécurité dans les IGH et les ERP) et Nicolas Bonnet, responsable Sécurité-Sûreté et SST de la Safim qui exploite le parc Chanot à Marseille et secrétaire de l’Apsighe.

La polyvalence accélérée

L’enquête a confirmé un constat déjà fait dans les deux premiers baromètres du responsable sécurité de Face au Risque et CNPP : la polyvalence des chargés de sécurité est une réalité dans la plupart des ERP. Non seulement 92 % des répondants s’occupent de l’incendie et près de 80 % de la sûreté/malveillance, mais 45 % gèrent aussi la sécurité et la santé au travail et les risques professionnels.

Si la polyvalence était déjà présente dans les ERP, la crise sanitaire a accéléré cette mutualisation et l’a rendue évidente, d’après tous les intervenants au webinaire.

« Pendant cette crise, on a globalisé le risque sécurité/sûreté comme étant un tout. On s’est retrouvés confrontés à des problématiques importantes en termes de gestion de flux, qui concernaient aussi bien la sécurité incendie que la sûreté, explique Agnès Oberlin. On avait déjà cette double préoccupation à gérer sur un site comme un hôpital, mais pas de façon aussi globale. »

Agnès Oberlin, responsable Sécurité incendie-Environnement du Centre hospitalier de Troyes

Covid-19 : un test grandeur nature

Un constat que partage Rodolphe Temple. « La sûreté s’était intégrée dans notre quotidien, notamment après les attentats de 2015. Début 2016, c’est devenu une demande officielle. Il fallait le formaliser dans une organisation écrite qu’il fallait transmettre aux autorités. Ce n’est pas un attentat qui nous a permis de vérifier que ce qu’on avait mis en place était fonctionnel et efficace, c’est cette crise. »

Mixer les compétences permet une réactivité plus importante et une gestion très concertée en interne, comme l’a fait remarquer Nicolas Bonnet. Ce qui est indispensable pour faire face à une crise de cette ampleur.

Les chargés de sécurité et leurs équipes impliqués

L’enquête le montre, les chargés de sécurité et leurs équipes ont été très sollicités (et le sont toujours) pour faire face à cette crise. Dans plus des deux tiers des cas, les répondants ont cité comme impacts du Covid-19 plus de sollicitations des services et plus de stress. La moitié a également fait part d’une surcharge de travail. Une tendance encore plus forte dans les établissements de soins. La crise sanitaire a ainsi renforcé la plupart des missions des chargés de sécurité, notamment l’analyse des risques, l’identification des réglementations applicables, la rédaction et la mise en œuvre des consignes et procédures de sécurité mais aussi et surtout la gestion de crise pour laquelle l’implication du chargé de sécurité et de son service s’est largement accrue.

La gestion de crise

Si certains chargés de sécurité étaient en support des cellules de crise pour que les décisions puissent s’appliquer rapidement, d’autres y ont été directement associés. C’est le cas notamment de Nicolas Bonnet, désigné référent Covid, ou de Rodolphe Temple, qui a participé à toutes les réunions de la cellule de crise. « Au début, tous les regards été tournés vers l’Est de la France, première région très touchée. Comme tout le monde, on voyait à la télé ce qui se passait. Puis l’Île-de-France a été touchée », se souvient ce dernier.

Rodolphe Temple, président de l'Apsighe

« Un soir, on m’a demandé de venir dans l’amphithéâtre de l’hôpital et j’ai pu lire l’inquiétude sur le visage de mes collègues. C’est à ce moment que j’ai pris conscience de l’ampleur de ce qui se passait. Dans cette salle, beaucoup de personnes de la cellule opérationnelle Hygiène de l’établissement ont pris la parole pour expliquer qu’il allait falloir fonctionner différemment. On nous a dit qu’on allait devoir fermer l’hôpital, que certaines personnes allaient se présenter spontanément et n’allaient pas forcément écouter les instructions gouvernementales et qu’on risquait d’être débordés.

À ce moment-là, lors de cette réunion sanitaire, tous les regards se sont tournés vers le responsable sécurité. Comment fait-on pour empêcher les gens de rentrer dans tous les sens, pour les canaliser ? »

Visibilité et légitimité pour les métiers de la sécurité

Gestion et sécurisation des stocks stratégiques de gel hydroalcoolique et de masques, filtrage, réorganisations des circulations, le chargé de sécurité et son équipe sont devenus lors de cette crise des référents sur des problématiques clés.

« Sous les tentes devant l’hôpital, les agents de sécurité étaient en première ligne pour accueillir les malades et faire le filtrage, explique Rodolphe Temple. Cette situation a entraîné de la peur chez nos agents, qu’il a fallu accompagner et rassurer, mais cela a aussi mis en lumière l’importance de tous les services supports qui travaillent dans l’ombre. Qu’il s’agisse des équipes de sécurité/ sûreté, ou des services techniques qu’on a beaucoup mis à contribution. »

Une légitimité reconnue aussi dans le secteur alimentaire puisque, comme l’explique Franck Charton, « il n’y a jamais eu de débat quand les agents de sécurité se sont occupés de vérifier le port du masque, la désinfection des mains à l’entrée des magasins… »

Réorganisation des flux avec le Covid-19. Photo Rodolphe Temple

La construction des unités Covid et la dichotomie entre les malades du Covid et les autres patients ont remis en cause les circulations, la fluidité des évacuations possibles en cas d’incident. Pour tout ça, les chargés de sécurité étaient sollicités. Au début de la crise, ils ont aussi dû protéger des vols des ressources devenues stratégiques, comme le gel hydroalcoolique et les masques. À l’hôpital Marie Lannelongue, ces ressources étaient stockées dans un local sécurisé, sous la houlette du PC sécurité qui était le seul à détenir la clé, et des procédures d’accès avaient été mises en place.

Adaptabilité et réactivité des métiers de la sécurité

Face aux consignes et aux besoins qui évoluaient très rapidement, les chargés de sécurité et leurs équipes ont dû faire preuve d’une grande adaptabilité. Circulation, filtrage, compartimentage des espaces, adaptation des locaux et demandes de cloisonnement temporaire, respect des jauges, tout était constamment remis en question.

« L’impact était important car certaines choses pouvaient être bouleversées du jour au lendemain, raconte Rodolphe Temple. Une équipe qui avait terminé son service à 8 h du matin et revenait à 20 h devait être informée de ce qui avait changé. Un service pouvait avoir été agrandi, fermé, être passé Covid. Il n’était plus possible d’y faire sa ronde, ou il fallait la faire de telle façon. Il y avait ce besoin d’informations permanent. Jour et nuit, même le week-end. Et je trouve que ça a été bien géré par les équipes. »

Réagir dans l’urgence

Dans les premiers temps de la crise, les chargés de sécurité et leur équipe ont dû réagir dans l’urgence, avec les moyens du bord.

« L’hôpital avait tendance à vider des services complets, à mettre des bâches dans tous les sens, se souvient Rodolphe Temple. Il a fallu mettre en place des process pour continuer à assurer la sécurité. Il y avait par exemple des cutters à disposition pour couper les bâches en cas d’évacuation. »

Si en milieux de soins, il a fallu remettre en permanence en cause la gestion des flux, pour les bases logistiques du secteur alimentaire, les personnels ont dû s’adapter à des plages

Installation de bâches à l'hôpital avec le Covid. Photo Rodolphe Temple

horaires augmentées, des week-end voire des nuits travaillés, pour faire face à l’augmentation de l’activité. Idem dans les établissements fermés où il a fallu se projeter dans les conditions d’une réouverture, comme l’explique Nicolas Bonnet.

Les équipes de sécurité ont été directement impactées. Report de formation, décalage d’opérations de maintenance, réduction des rondes pour faire face aux autres demande, changement dans l’organisation de la transmission des consignes pour éviter le risque de contamination : elles ont dû sans cesse s’adapter. Cette adaptabilité, qui s’est faite dans l’urgence dans les premières semaines de la crise, doit servir de leçon selon Agnès Oberlin.

« Il faut imaginer un mode de fonctionnement à deux vitesses : le mode normal, et un mode plus contraint et dégradé. Cela peut modifier notre façon de penser, nos investissements. Cette bascule facile nous a manqué sur les premiers mois de la crise. »

Un point d’attention sur les autres risques

Enfin, la crise ne doit pas faire oublier la gestion des autres risques. C’est ce qu’a notamment tenu à rappeler Franck Charton. Interrogés sur la perception des risques les plus significatifs pour leur établissement dans le cadre de l’enquête, les répondants ont cité, outre les risques sanitaires liés au Covid-19, les incivilités, les risques psychosociaux et les autres risques liés à la sécurité et à la santé au travail.

Les risques cyber arrivant, selon les notes de significativité attribuées, à la 7e place du classement, et le risque incendie à la 10e place. “Nous avons le nez dans le guidon avec la crise sanitaire, a mis en garde le délégué général de Perifem. Mais nous devons nous occuper au quotidien des autres risques. À nous d’être vigilants.”


Extrait de l’article du n° 573 de Face au Risque : « ERP et Covid-19, l’impact sur la sécurité – sûreté » (juin 2021).

Gaëlle Carcaly – Journaliste

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