TMS : l’exosquelette en question chez Colas
Le groupe Colas, spécialisé dans la construction, l’entretien et la maintenance des infrastructures de transport, a déployé sur ses chantiers des exosquelettes destinés aux compagnons chargés de mettre en œuvre manuellement l’enrobé sur la chaussée. Johann Goineau, chef de projet innovation à la direction Innovation de Colas SA, revient pour nous sur l’histoire de l’ExoPush.
Face au Risque. Pour commencer et bien comprendre de quel équipement nous parlons, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’ExoPush et quels sont ses bénéfices pour la santé des opérateurs ?
Johann Goineau. Développé avec la start-up RB3D, l’exosquelette ExoPush est un râteau cobotisé (la cobotique est la coopération d’un robot avec l’humain et non son remplacement) qui démultiplie la force du compagnon qui l’utilise. Il peut pousser jusqu’à 50 kg au sol. Il se compose d’un harnais, d’une jambe de force et d’un manche télescopique qui détecte l’intention de l’utilisateur et amplifie son geste. La jambe de force reporte le poids de charge au sol pour améliorer la posture et le confort de l’utilisateur.
L’ExoPush démultiplie par cinq les efforts de l’opérateur, qui passent par le pied et non par le dos. Il évite ainsi les postures excessives, l’angle d’inclinaison du dos passant de 50° (avec un outil traditionnel) à 20°. Il stabilise également le rythme cardiaque et diminue ainsi l’état de fatigue de l’opérateur. Enfin, l’outil étant plus large, il permet de déplacer plus de matériau et de diminuer la fréquence gestuelle de l’ordre de 30 %.
Quelle est l’origine de ce projet ?
J. G. Le projet a démarré en 2009 à la suite d’une demande de l’agence Colas Genève qui souhaitait améliorer les conditions de travail des travailleurs manuels. Le cas d’usage était le tireur d’enrobé, à savoir le compagnon qui va mettre en œuvre manuellement les enrobés à chaud là où il est impossible de le faire mécaniquement (trottoirs, petite allée piétonne, milieux urbains…).
Suite à une rencontre sur un salon en 2011, le partenariat avec la start-up RB3D est né. En 2014, un premier prototype a été testé. Un vrai travail de co-construction s’est mis en place pour améliorer la facilité d’utilisation, l’ergonomie, la mobilité. À chaque prototype, des essais étaient réalisés sur le terrain.
En 2017, six exosquelettes ont été testés dans six agences. En 2018, trente-trois ExoPush ont été déployés. Actuellement, on en compte quatre-vingt-trois sur soixante-dix-sept agences et deuxcent- cinquante personnes ont été formées depuis 2018. Une nouvelle version est sortie en début d’année : RB3D travaille toujours sur la légèreté, la facilité d’équipement… L’exosquelette est notamment passé de 42 kg pour le premier prototype à environ 8 kg aujourd’hui.
« Il s’agit d’une vraie rupture technologique et nous n’avions pas appréhendé tous les impacts psychologiques sur l’opérateur et sur l’organisation de l’équipe. »
Johann Goineau, chef de projet innovation à la direction Innovation de Colas SA.
Comment vos équipes ont-elles accueilli l’exosquelette ?
J. G. Lors du développement de l’ExoPush, les testeurs étaient enthousiastes et ressentaient les bienfaits de l’exosquelette. Mais à la suite du premier déploiement de 2018, nous nous sommes rendu compte que l’exosquelette avait un impact plus important que ce que nous avions imaginé au début. Il s’agit d’une vraie rupture technologique et nous n’avions pas appréhendé tous les impacts psychologiques sur l’opérateur et sur l’organisation de l’équipe. Nous avons eu des situations où la personne pouvait se sentir isolée au sein de l’équipe.
L’utilisation de l’ExoPush a forcément un impact sur l’organisation, cela modifie les habitudes que l’équipe d’enrobé a prises, souvent depuis plusieurs années. Et pour l’opérateur, au début, il y a un effort à faire : il faut réapprendre le geste, la personne étant moins penchée, sa vision n’est pas la même. Il y a une courbe d’apprentissage à franchir. Il faut accepter d’être potentiellement un peu moins bon quelque temps, ce qui n’est pas forcément évident. Certains peuvent abandonner assez vite, sans soutien au sein de l’équipe…
Qu’avez-vous mis en place pour faciliter l’acceptation de l’ExoPush ?
J. G. Nous avons bien vu qu’il fallait retravailler la méthodologie d’accompagnement. Au début, nous présentions l’ExoPush, son fonctionnement, son intérêt, mais on ne le positionnait pas comme outil de toute l’équipe. Désormais, nous sensibilisons, avant l’arrivée de l’ExoPush dans une agence, le chef d’agence et le responsable d’exploitation. Nous faisons aussi en amont des démonstrations, lors de journées sécurité dans les agences par exemple, pour que tous les compagnons puissent tester l’exosquelette et se rendre compte de l’effet démultiplicateur.
Nous avons mis en place une formation sur deux jours, avec une partie théorique sur la création de l’ExoPush, son intérêt, ses bénéfices pour le compagnon. Et une partie pratique : comment s’équiper, se déséquiper, comment l’utiliser. Tout cela en atelier, puis sur un chantier. Le compagnon qui va utiliser l’exosquelette suit la formation complète, les autres membres de son équipe en suivent une partie. Même si on n’équipe qu’une seule personne, il faut embarquer toute l’agence pour que l’ExoPush devienne l’outil de l’équipe et pas d’une seule personne. Tout un travail de sensibilisation est nécessaire pour favoriser l’acceptation de l’exosquelette.
Ces mesures ont-elles été efficaces ?
J. G. Dans certaines agences, cela fonctionne bien et l’ExoPush est intégré dans les habitudes de travail. Dans d’autres, c’est plus compliqué. Dans le contexte sanitaire, l’intégration de l’exosquelette n’a pas forcément été la priorité. Nous avons vraiment commencé à déployer les exosquelettes en septembre 2019 avec la formation sur deux jours. Et cela a été interrompu en 2020 avec les confinements.
Pour aller plus loin dans notre démarche, nous avons mené une étude avec l’INRS. Soixante-dix-huit collaborateurs Colas qui utilisent l’ExoPush ont été interrogés de juin à août 2020. 62 % étaient favorables à l’exosquelette, 28 % défavorables.
Un bon résultat en comparaison d’autres études que l’INRS a pu mener, tout exosquelette et secteurs confondus, où le rapport était plutôt de 50 % favorables et 44 % défavorables.
Que vous a apporté cette étude ?
J. G. Avec cette étude, nous avons compris que l’acceptation d’une innovation dépend d’un processus psychologique déterminant l’adoption ou le rejet d’une technologie. L’INRS a développé un modèle d’acceptation structuré autour de six dimensions et un questionnaire que nous avons adaptés à notre activité:
- la facilité d’utilisation : ce que l’utilisateur ressent en termes d’efforts quand il utilise l’exosquelette ;
- l’utilité de l’exosquelette en termes de performance et de santé et sécurité ;
- les conditions facilitantes, c’est-à-dire ce que l’organisation met en place en amont du déploiement des exosquelettes ;
- la dimension « influence sociale », à savoir comment le compagnon perçoit l’avis de son entourage sur le fait qu’il utilise l’exosquelette ;
- la construction de l’identité professionnelle quand on utilise l’exosquelette, en termes par exemple de développement de nouvelles compétences ou encore de valorisation du métier ;
- les affects, le ressenti de l’utilisateur.
« Quand vous voyez une équipe d’enrobé travailler à la main, c’est comme un ballet. […] L’exosquelette a pu venir perturber cet équilibre… »
Les résultats de l’enquête ont montré que Colas avait bien mis en place toutes les conditions facilitantes. Que les utilisateurs soient favorables ou défavorables à l’ExoPush, ce volet-là était positif. Pareil pour l’amélioration des conditions de travail qui étaient reconnues par l’ensemble des utilisateurs.
Sur l’influence sociale, l’étude a confirmé les remontées terrain : certains utilisateurs ont eu du mal à trouver leur place, ils avaient peur de gêner l’équipe ou avaient l’impression que les collègues étaient moyennement favorables à l’utilisation de l’ExoPush. Quand vous voyez une équipe d’enrobé travailler à la main, c’est comme un ballet. Chacun sait où se positionner, ce qu’il doit faire à quel moment. L’exosquelette a pu venir perturber cet équilibre. Certains utilisateurs ont également eu du mal à contrôler leurs gestes, leurs mouvements et trouvaient que cela ne valorisait pas le métier.
Que vous a apporté cette étude ?
J. G. À la suite de l’analyse des résultats de l’étude, des pistes de progrès ont été déterminées comme l’amélioration de l’outil (modification de la jambe de force pour pouvoir s’équiper plus vite, installation d’une béquille pour pouvoir le poser…), la poursuite de la communication sur les retours d’expériences des utilisateurs favorables, l’implication de l’encadrement et la poursuite des actions liées au collectif.
Nous travaillons également à l’élargissement des cas d’usages, comme la mise en oeuvre de matériaux granulaires, ou le nettoyage sous convoyeur. L’ExoPush répond à nos objectifs de prévention des TMS et d’amélioration des conditions et de qualité de travail. Nous continuons de suivre la question de l’acceptation et de mener notre travail de sensibilisation et de formation pour accompagner au mieux nos compagnons.
Article extrait du n° 571 de Face au Risque : « Troubles musculo-squelettiques : réalités et prévention » (avril 2021).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
Les plus lus…
Le mercredi 6 novembre 2024, l’entreprise britannique Detector Testers se voyait décerner un des Oscars de la FFMI 2024…
Le référentiel APSAD R4 impose-t-il de faire figurer les extincteurs sur les plans d'évacuation incendie ? …
La première édition de l’observatoire des risques professionnels dans les petites entreprises du groupe Pôle Prévention dresse un inventaire…
Le BEA-RI ouvre deux enquêtes en cette fin d'année 2024. La première concerne un incendie survenu le mardi 3…
Le rapport annuel 2023 de l'Assurance maladie - Risques professionnels a été dévoilé le vendredi 13 décembre 2024. Voici…
Le bureau d’analyse des risques et des pollutions industrielles (Barpi) a publié un nouveau flash Aria dédié aux travaux par…