Protection incendie, quel avenir dans les data centers ?
En marge de l’incendie de data centers OVH à Strasbourg, survenu dans la nuit du mardi 9 au mercredi 10 mars 2021, Face au Risque vous propose cet article extrait du n°570 (mars 2021) et dédié à la protection incendie dans ce type d’installation.
Dans le livre blanc La sécurité incendie dans les data centers, publié par l’association France Datacenter, sont notamment référencés les moyens de lutte contre l’incendie. Deux solutions se font la part belle : les installations d’extinction automatique à gaz et les solutions de protection incendie à eau. Nous avons rencontré plusieurs professionnels du secteur pour avoir leur avis sur ces solutions.
L’impact environnemental
Afin de mieux comprendre pour quelles raisons l’extinction automatique à gaz et le brouillard d’eau se partagent le marché de la protection incendie dans les data centers depuis pratiquement deux décennies, Noel Ryckeboer, responsable développement marché extinction chez Réseau DEF, fait un bref résumé historique.
« Les premiers systèmes de protection dans les data centers étaient à gaz. À l’époque, on ne parlait pas encore de data centers et on utilisait systématiquement les gaz halons pour protéger ces salles informatiques. En 2003, il a fallu démanteler toutes ces installations », se souvient-il. En effet, l’utilisation du halon a été interdite par le règlement n° 2037/2000 relatif aux substances appauvrissant la couche d’ozone, entré en vigueur le 1er janvier 2003. « C’est là que sont arrivés les gaz inertes. Les brouillards d’eau sont également apparus à cette période. »
« Dès les années 90, on a vu apparaître les gaz inertes, puis des agents inhibiteurs dans les années 2000, renchérit Jean-Claude Deschamps, responsable marché data centers chez Johnson Controls. Les grands acteurs du monde du data center et de l’incendie se sont appropriés le sujet de la défense de l’environnement, y compris avec le brouillard d’eau. »
Protection incendie des data centers, plutôt gaz ou brouillard d’eau ?
Si cette dualité s’est renforcée, la question ne s’est jamais véritablement posée pour Fabrice Coquio. Pour le président d’Interxion France, qui représente 25 % des data centers de l’Hexagone, la solution d’extinction par gaz a naturellement pris le dessus pour équiper les installations du groupe.
« À part de rares cas en Europe, à plus de 90 % du temps (et 100 % en France) on est dans des systèmes d’extinction au gaz. Précisément au gaz inerte. De nos jours, en système d’extinction, on ne travaille plus qu’avec de l’Inergen, un mélange de trois gaz: azote à 52 %, argon à 40 % et CO2 à 8 % », nous précise-t-il.
En savoir plus
Voir sur YouTube : Pantin : dans le plus grand Data center de France.
Du côté des fabricants, tout dépend du client. « On a les deux solutions, selon l’objectif à atteindre dans le data center, résume Noel Ryckeboer de Réseau DEF. Le monde change. Aujourd’hui il y a beaucoup de clients qui arrivent en sachant déjà ce qu’ils veulent comme protection et qui orientent des appels d’offres. En brouillard d’eau, on ne vise pas une extinction mais un contrôle de l’incendie pour éviter une propagation. Si cela éteint, tant mieux. Cela éteint dans 95 % des cas. Avec le gaz, on vise l’extinction. Aujourd’hui beaucoup de data centers sont en redondance, voire triplés. Pour ces clients, la perte de données est moins grave. En revanche, pour ceux qui ne veulent absolument pas perdre de données, nous partons sur du gaz. »
Chez Johnson Controls, également capable de fournir aussi bien des solutions par gaz que par eau, le gaz reste dominant mais les demandes de brouillard d’eau augmentent au sein de sa clientèle. « On a tendance à orienter le client par rapport à la surface du local et la configuration des salles. On retrouve de plus en plus de consultations sur du brouillard d’eau dans les demandes des bureaux d’études. Le brouillard d’eau est un phénomène de mode », lance dans un premier temps Jean-Claude Deschamps. Et de préciser qu’il peut malgré tout exister des modifications à apporter à ces plans initiaux.
« Ce qui va réduire la propagation du feu, c’est le système de détection incendie mis en place. »
Jean-Claude Deschamps, responsable marché data centers chez Johnson Controls.
« Lorsque l’on affine certains projets, on s’aperçoit que la salle est en sous-sol, qu’il n’y a pas de moyen d’évacuation des eaux ou de l’agent extincteur gazeux, que la surface est faible… Plusieurs critères entrent en jeu, surtout financiers sur le coût d’une installation et de la maintenance. Nous sommes à l’aise pour proposer la solution la mieux adaptée. Mais que l’on vise l’extinction incendie avec un agent gazeux ou un contrôle de l’incendie avec le brouillard d’eau, ce qui va réduire la propagation du feu c’est le système de détection incendie mis en place. Des détecteurs ponctuels en nombre suffisant et des détecteurs par aspiration permettent d’améliorer l’efficacité du système d’extinction et de réduire la dégradation de la salle. Plus on détecte rapidement les prémices d’un début d’incendie, plus il est facile de l’éteindre. »
Une question de coût… et de culture
Le choix d’une protection incendie dans un data center est souvent une affaire de coût. Aussi bien lors de l’installation du système que de la maintenance. « Généralement, les centres qui travaillent avec nous, après avoir analysé les avantages et contraintes en rapport avec leurs objectifs de sécurité, procèdent avec des extinctions automatiques à gaz, confie Yves Goacolou, chef de projet assistance technique à CNPP. Lors de la réalisation d’un système automatisé à gaz dans un bâtiment qui n’est pas conçu pour, il va être souvent nécessaire de changer les portes, refaire les conduits, renforcer l’étanchéité, prévoir l’évacuation… Ce sont des surcoûts qui ne sont pas directement liés à l’installation mais qui sont des coûts d’intégration, et qui peuvent faire la balance en faveur du brouillard d’eau. »
Pourtant comme toute solution, le brouillard d’eau présente aussi bien des avantages que des failles. « Il faut savoir qu’avec un brouillard d’eau dans un data center, suite à son déclenchement lors d’un sinistre, le taux de défaillance des composants électriques va augmenter de manière sérieuse. Les fumées, mélangées avec le brouillard d’eau, vont former des hydracides et se déposer sur tous les composants. Le taux de défaillance de la salle data en sera accru, entraînant leur remplacement dans un délai relativement proche. Au lieu d’avoir des disques durs et des cartes qui devraient tenir 4 à 5 ans, le taux de remplacement pourra être réduit à 6 mois ou 1 an », prévient Yves Goacolou.
Une buse de brouillard d’eau est installée au-dessus d’un groupe électrogène dans un data center du nord de Paris. (Crédit : Johnson Controls).
« Chez Interxion, on n’était pas vraiment favorable au système de brouillard d’eau, abonde Fabrice Coquio avant néanmoins d’ouvrir la porte à cette solution. Il y a encore 5 à 10 ans, il y avait des effets de corrosion sur les câblages cuivre des équipements. De nos jours, on est en train de revoir un peu notre position car on ne fait plus de cuivre dans les data centers, mais du courant faible en fibre optique. Donc ce n’est plus la même sensibilité. » L’intéressé précise que le brouillard d’eau a malgré tout plusieurs atouts non négligeables… Et là encore, la question économique prend le pas chez certains clients, notamment les géants américains.
« Le système de brouillard d’eau n’est pas mal car il permet une intervention localisée. Alors qu’avec le gaz, vous êtes obligés de saturer la totalité d’une salle. Deuxièmement, ça coûte beaucoup moins cher que le gaz quand il faut remplir à nouveau. Le troisième élément est le coût de construction. Les grands acteurs américains de cloud, comme Amazon, Google ou Microsoft, cherchent à baisser au maximum les coûts de revient lorsqu’ils viennent chez Interxion. Vu qu’ils occupent quelques fois la moitié ou les deux tiers d’un data center de 10000 m², on fait forcément attention à leurs prérequis. Et il est clair qu’un système par brouillard d’eau coûte beaucoup moins cher en investissement qu’un système de gaz. »
Quelles perspectives d’avenir ?
Dans le domaine de la protection incendie en data center, les perspectives ne sont pas légions… Mais existent, comme le prouve Fabrice Coquio, qui mise à court terme sur une solution mixte entre gaz inerte et brouillard d’eau.
« Même si ce n’est pas le cas pour le moment, je ne serais pas surpris que, dans les 2 ou 3 prochaines années, on voit dans nos gros data centers quasiment du sur-mesure pour les grands clients américains en nous orientant pour eux sur du système de brouillard d’eau, et pour nos clients plus traditionnels vers du système par gaz. On pourrait ainsi très bien aller vers du système mixte au sein d’un data center. »
« En extinction par gaz, on est arrivé à quelque chose de satisfaisant. »
Noel Ryckeboer, responsable développement marché extinction chez Réseau DEF.
Autre axe de progression : une extinction totale avec les brouillards d’eau, pour lesquels aujourd’hui une « suppression » ou un « contrôle » de l’incendie suffit. « Ce serait bien d’obtenir en permanence l’extinction, nous confie-t-on chez DEF. Ce n’est pas le cas pour le moment car le brouillard d’eau ne pénètre pas partout. Si jamais le feu sort d’un serveur, il sera éteint… Mais à l’intérieur du serveur, il ne le sera pas. Alors que le gaz va l’éteindre. Il faut peut-être travailler sur la façon d’installer dans les années à venir. Il y a beaucoup de gens qui continuent de travailler sur le sujet. En extinction par gaz, je ne vois pas ce qu’on pourrait apporter. On est arrivé à quelque chose de satisfaisant. »
Il faut en effet rappeler que la dernière amélioration apportée à l’extinction par gaz a été de réduire le bruit à l’ouverture. « La technologie ne nous permet pas aujourd’hui de faire disparaître le bruit. Mais dans la profession, nous avons tous des méthodes pour permettre d’atténuer ces vibrations lorsqu’il y a une émission. On n’a pas seulement résolu ce problème en mettant des buses silencieuses, on a aussi réduit l’émission en passant d’une durée de 60 à 120 secondes », précise Jean-Claude Deschamps.
« On pourrait avoir de nouveau des problèmes à 100 décibels. »
Fabrice Coquio, président France d’Interxion.
Un épisode que nous rappelle par ailleurs le président d’Interxion France. « On a vraiment poussé pour faire changer les standards de matériels. En 2011, on a collaboré avec le comité feu de CNPP pour pouvoir faire changer la norme car on s’est aperçu que quand on lâchait du gaz, on se retrouvait parfois avec des effets de blast allant jusqu’à 115-120 décibels d’impact sonore. Avec la miniaturisation des têtes de lecture sur les systèmes de stockage ou certains serveurs, l’effet de blast pouvait réaliser de la casse. Donc on éteignait le feu mais il y avait un risque de casser le matériel du client. À 100 décibels, on ne fait plus de casse… pour le moment. Car si on continue à l’avenir de miniaturiser encore davantage les systèmes de stockage au niveau des têtes de lecture et des disques durs, on pourrait avoir de nouveau des problèmes à 100 décibels. »
Une solution à cette possible future problématique existe peut-être déjà. « Dernièrement, une de nos filiales a développé un diffuseur à réduction de bruit, permettant de diminuer le bruit d’un lâcher de gaz de 30 dB, passant ainsi sous la barre des 100 décibels d’impact sonore », confie Noel Ryckeboer.
Une arrivée d’un système par air appauvri ?
Dans le n° 548 de Face au Risque (décembre 2018 – janvier 2019), Éric Lejars, représentant en France pour Presscon FX Prevent, société néerlandaise productrice de solutions de protection incendie par air appauvri, regrettait l’absence « d’un référentiel du type R13 [Extinction automatique à gaz, NDLR] qui rassurerait les entreprises françaises ».
Exemple d’une installation dédiée à la protection incendie dans les data centers. (Crédit : Elcsi).
Deux ans plus tard, rien n’a changé. « Il n’y en a toujours pas. Le label CNPP de ce point de vue là est un plus, précise-t-il. Il y a une norme européenne, la norme EN 16750 [de septembre 2017, remplacée depuis le 9 octobre 2020 par la norme EN 16750 + A1 « Installations fixes de lutte contre l’incendie – Systèmes d’appauvrissement en oxygène », NDLR], qui est dédiée à ces systèmes. En soi, elle donne une validité à cette solution, mais il aurait été intéressant qu’il y ait une déclinaison à la française. »
L’intéressé nous présente plus en détail cette solution de protection incendie par air appauvri. « L’idée de notre système est de maintenir le taux d’oxygène en dessous d’un certain niveau en injectant de l’azote. Notre système apporte autre chose car il empêche le démarrage d’un incendie. C’est de la sécurité active. On ne réagit pas à un événement, on l’évite. On peut l’associer à une détection précoce pour une sécurité supplémentaire. Le data center a beaucoup de caractéristiques qui sont intéressantes pour ces systèmes : les interventions humaines sont en principe très peu fréquentes et le local doit être relativement étanche pour que les systèmes de conditionnement d’air fonctionnent correctement. » Reste cependant que « dans nos solutions protégées, on peut entrer et sortir mais on ne peut pas avoir de poste fixe de travail à l’intérieur ».
« Il faut étudier au cas par cas les possibilités de travailler en oxygène appauvri. »
Yves Goacolou, chef de projet assistance technique chez CNPP.
Pas forcément opposé à cette solution, Yves Goacolou émet néanmoins quelques réserves. « En général, la concentration d’oxygène résiduel est autour de 14 % à 15 %. Cette concentration est encore au-dessus du seuil d’extinction d’un incendie, mais cela réduit grandement le risque de démarrage incendie », rappelle-t-il pour le côté efficacité du système contre l’incendie.
« Le problème est relatif aux contraintes d’accès dans les salles. Le taux d’oxygène étant inférieur à 19 %, on ne peut faire pénétrer des personnes à l’intérieur pour travailler sans conditions particulières. Il y a des règles dans le code du travail qui font qu’on ne peut pas exposer des personnes à des taux anormaux d’oxygène. Aujourd’hui aucun système n’est validé en France. Il n’y a pas de référentiel. Après, si les conditions d’exploitation sont satisfaisantes, il n’y a pas de problème. Personnellement, je ne suis jamais contre quoi que ce soit. Ce qui est important, c’est qu’il y ait une réelle analyse de faisabilité prenant en compte tous les critères (performance, sécurité, fiabilité, exploitation, etc.). Il faut étudier au cas par cas les possibilités de travailler en oxygène appauvri. »
Un premier pas avec les entrepôts automatisés
Si pour l’heure aucun système par air appauvri n’équipe les data centers français, cela pourrait évoluer dans les prochaines années. Preuve en est, cette solution commence à trouver écho dans les entrepôts automatisés en France. Davantage développée dans les pays germaniques, elle s’est greffée sur une dizaine de sites dans l’Hexagone cette dernière décennie. Dernier exemple en date avec l’entrepôt automatisé frigorifique du néerlandais NewCold près de Rennes (Ille-et-Vilaine), mis en service courant 2020.
De nombreuses dispositions entourent toutefois cet entrepôt comme le rappelle un arrêté préfectoral d’autorisation environnementale délivré le 13 septembre 2019. Ces dispositions visent à limiter la durée maximale d’exposition dans cette partie du local, non seulement en raison du taux d’oxygène mais également vis-à-vis de la température ambiante. À -23 °C, outre l’apport d’un suivi médical, l’arrêté précise que la durée maximale d’exposition pour un salarié est de « 2 heures consécutives ».
« De nombreux assureurs commencent à considérer l’air appauvri comme une bonne solution pour certaines applications. »
Éric Lejars, représentant France pour Presscon FX Prevent.
Le représentant France pour Presscon FX Prevent relativise néanmoins, arguant que tout est une question de temps. « Ce genre de sujet ne peut être poussé que par les assureurs. Au début, ils ne voulaient pas en entendre parler. Nous avons eu des réunions qui nous ont confirmé l’évolution du discours et des mentalités sur ce sujet. Il y a des démarches avec la Fédération française de l’assurance (FFA). Pour que les choses avancent, et que l’on aille vers des réglementations de type R13, il faut que les assureurs soient moteurs. Et c’est peut-être ce qu’il va se passer. Ils se rendent compte de l’intérêt de ces solutions pour certains types de bâtiments. Si on prend l’exemple des entrepôts frigorifiques automatisés, de nombreux assureurs commencent à considérer l’air appauvri comme une bonne solution pour ces applications. »
S’agissant des data centers toutefois, « ils n’ont pas encore franchi le Rubicon… Mais c’est un processus lent. Ils sont déjà convaincus pour les entrepôts frigorifiques ».
Article extrait du n° 570 de Face au Risque : « Travail en espaces confinés » (mars 2021).
Eitel Mabouong – Journaliste
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