Tempête Alex : comment se relève Saint-Martin-Vésubie ? (vidéo)
Des pluies diluviennes se sont abattues sur les vallées de la Roya, de la Tinée et de la Vésubie dans les Alpes-Maritimes le 2 octobre 2020. Elles ont provoqué des crues qui ont tout dévasté et fait neuf morts et neuf disparus. Retour sur le drame et ses conséquences avec le maire-adjoint de Saint-Martin-Vésubie et un expert d’assurance.
Le vendredi 2 octobre 2020, de fortes précipitations sont annoncées par Météo France sur les Alpes-Maritimes. Aussi, le département est placé en alerte rouge pour risques d’inondations et de crues. Les établissements scolaires sont fermés.
Saint-Martin-Vésubie est un village touristique situé au pied de la chaîne des montagnes du Mercantour, à 975 m d’altitude, au cœur d’une forêt de 3 600 hectares. La commune compte cinq hameaux. Et plusieurs cours d’eau la traversent, notamment les torrents du Boréon et de Fenestre qui forment, au cœur du village, la rivière Vésubie.
Alerter les habitants
Le village est en alerte. La pluie commence à redoubler d’intensité en milieu de journée. Les élus et le personnel de mairie contactent par téléphone tous les habitants installés en bord de cours d’eau pour leur indiquer les précautions à prendre : monter à l’étage, ne pas hésiter à évacuer, rappeler la mairie en cas de problème…
Parallèlement, vers 14 h, des évacuations préventives avec les pompiers commencent dans les habitations situées en partie basse de la rivière.
« On se rendait compte que ce qui se passait était différent de d’habitude. »
Alain Jardinet, maire-adjoint de la commune et ancien colonel au Sdis06, aujourd’hui retraité.
Mais quelques personnes, surtout les plus âgées, refusent de quitter leur maison. « Ce n’est pas la première fois que la rivière monte, ma maison ne risque rien, elle a connu les tempêtes de 1994 et de 2015, je ne vois pas pourquoi je bougerais cette fois ! ». Telles étaient certaines de leurs réactions.
Des pluies diluviennes
Vers 17 h, la pluie s’intensifie encore. Le torrent Le Boréon est en furie. Par sa violence, il détruit les ponts de la Maïssa et de Venanson, isolant de nombreuses habitations du cœur du village. Puis ce sont des routes qui sont emportées, des maisons, des entreprises, des terrains…
Ce n’est que vers 23 h que les précipitations commencent à baisser d’intensité pour se terminer vers 3 h du matin.
« On ne sait pas précisément quelle quantité d’eau est tombée car tous les pluviomètres ont été dépassés, admet Alain Jardinet. On estime qu’il a dû tomber entre 800 et 1 000 mm sur les hameaux Le Boréon et La Madone de Fenestre, en partie haute de Saint-Martin-Vésubie. C’est du jamais vu en si haute altitude et si concentré. »
Le constat et la solidarité
Au lendemain de la tempête, c’est la sidération puis l’abattement. Environ 150 maisons, entreprises et bâtiments publics sont touchés. Il n’y a plus ni eau, ni électricité. Il n’y a plus de routes non plus. Le village est coupé du monde. Plusieurs personnes sont portées disparues.
Une solidarité énorme se met en place, raconte le maire-adjoint. Des bénévoles organisent pendant les quinze premiers jours une distribution de repas sur la place de la mairie. « C’était bien, on avait besoin de se retrouver tous ensemble », avoue-t-il.
Puis, le département et la métropole Nice-Côte-d’Azur (dont dépendent les vallées de la Vésubie et de la Tinée) ouvrent dans le village une « maison des sinistrés » dans un bar réquisitionné à cet effet. Les habitants et les entreprises peuvent y trouver toutes les aides utiles : médecins, cellule médico-psychologique, assureurs, spécialistes des démarches administratives ou des aides financières… « Ceci nous a bien déchargé au niveau de la mairie », constate notre interlocuteur.
L’activité économique de Saint-Martin-Vésubie
Sur la trentaine de petites entreprises de la commune, vingt-deux ont vu leur outil de production disparaître totalement ou presque : une scierie, deux ébénisteries, une menuiserie, trois entreprises de maçonnerie et une de peinture, un garage automobile, une station-service avec carrosserie et des commerces divers.
« Nous avions le projet de construction d’une zone d’activité. La mairie avait acheté un terrain qui d’ailleurs avait été désamianté. Tout était prêt pour lancer cette zone. Nous voyons actuellement avec la préfecture comment accélérer les procédures de mise en place car nous tenons à ce que les entreprises restent sur le village », confie l’adjoint au maire.
En outre, de nombreux bâtiments municipaux sont endommagés ou emportés : zone artisanale municipale, stades, tribunes, vestiaires, terrains de tennis, gendarmerie, caserne des sapeurs-pompiers, musée du patrimoine, cimetière…
L’ancien stade et les terrains de tennis qui étaient situés à cet endroit, ont disparu.
La salle d’exposition du Musée des Traditions a été détruite ainsi que la réserve et ses 3 000 objets et documents.
Le parc animalier Alpha accueillant des loups est en partie détruit. Des animaux sont morts mais la plupart ont pu s’échapper. Ils seront retrouvés et confiés à un autre zoo.
Deux anciennes vacheries datant du XVIe siècle et réaménagées en boutiques et en site touristique sont elles aussi endommagées.
Le Vésubia Mountain Park, un récent espace couvert dédié aux activités de montagne en intérieur (spéléo, escalade, canyoning intérieur, espace aquatique…) est envahi de boue en partie basse. Une station d’épuration des eaux usées a également été emportée.
« Nous avons fait les déclarations à l’assurance pour tous les bâtiments municipaux », avance le maire-adjoint.
Les routes et les chemins
Côté infrastructures routières, c’est également catastrophique puisque des kilomètres de route et de sentiers sont détruits. Des approvisionnements de produits de première nécessité sont effectués par la Sécurité civile qui apporte par hélicoptère eau et nourriture. Les secouristes aident également à retirer les troncs d’arbres, les rochers, la boue et les gravats. Des passerelles sont installées pour remplacer les ponts qui ont été emportés.
Dès le 7 octobre, une première « route » est ouverte – il s’agit plutôt d’une piste. Et le 23, c’est un axe principal d’accès à la Vésubie qui ouvre à son tour, avec une limite de tonnage. Tout cela est provisoire mais permet de désenclaver le village.
« Tout le gros réseau routier dépend de la métropole Nice-Côte-d’Azur et c’est donc elle qui a la charge de le reconstruire. En revanche, tous les chemins communaux sont à notre charge », indique Alain Jardinet. Heureusement, il existe un financement appelé ʺdotation de solidaritéʺ mis en place par l’État. »
Le nouveau préfet chargé de la reconstruction des zones sinistrées des Alpes-Maritimes, nommé à la suite de la venue d’Emmanuel Macron le 7 octobre, organise plusieurs réunions avec les élus des villages sinistrés.
« Nous avons commencé à préparer tous les dossiers de reconstruction et l’État devrait nous indemniser pour une reconstruction des routes à l’identique », poursuit Alain Jardinet. Cependant, il indique que toute amélioration reste à la charge de la commune. Et précise par ailleurs que tout ne rentre pas dans cette dotation, par exemple les chemins de randonnées ou certains petits chemins communaux.
Eau et électricité
Le village a été sans eau et sans électricité à la suite du passage de la tempête. « Après 5 jours, l’eau était de nouveau disponible pour près de 80 % des habitations du village et l’électricité pour 60 %, assure l’élu. Et en 7 à 8 jours, 90 % du village était branché en eau et électricité. Enedis a fait un travail remarquable avec l’installation de groupes électrogènes. Quant à l’eau, la régie des eaux de la métropole a tiré deux canalisations provisoires d’un bassin d’alimentation qui n’a pas été touché. Ces installations sont aériennes et bien-sûr temporaires mais le travail a été exceptionnel. »
Concernant les hameaux, ils n’ont retrouvé l’eau et l’électricité que plus tard, début décembre.
Etat de catastrophe naturelle
L’état de catastrophe naturelle a été déclaré. Ainsi, les sinistrés disposaient de 10 jours pour déposer un état estimatif des pertes subies pour bénéficier du régime d’indemnisation instauré par la loi n° 82-600 du 13 juillet 1982.
Jean-Marc Agu, expert d’assurance et directeur du cabinet Union d’Experts Côte d’Azur au Cannet, revient sur les premiers jours qui ont suivi la tempête. « Cette catastrophe est atypique par rapport aux catastrophes naturelles habituelles. En général les bâtiments restent en place après une inondation. Dans le cadre de la tempête Alex, on se trouve dans des situations où il n’y a plus d’habitats, et même parfois, il n’y a plus les terrains. »
La première difficulté pour les experts d’assurance est de se rendre sur place, toutes les routes étant fermées. « Les premiers contacts avec les sinistrés pour lesquels nous étions missionnés par les compagnies d’assurance se sont faits par téléphone. Certains sinistrés sont venus dans l’agence, en particulier les propriétaires de résidences secondaires. Et nous n’avons pu faire nos premières visites sur site que le lundi 12 octobre, en passant par des chemins détournés. Le 13, avec trois confrères experts, nous sommes allés à Saint-Martin-Vésubie en hélicoptère. » L’appareil les a ensuite transportés de village en village.
Les premiers déplacements pour les expertises ont été effectués en hélicoptère. Jean-Marc Agu, expert d’assurance et directeur du cabinet Union d’Experts Côte d’Azur, au centre de la photo, est accompagné de son équipe et du pilote.
Parmi ses dossiers, Jean-Marc Agu a aussi bien des particuliers que des entreprises ou des communes. « Ces vallées étant très encaissées, notamment la vallée de la Roya, les seuls endroits constructibles se situent à proximité du lit des rivières, là où c’est plat. » C’est donc là qu’étaient installées nombre d’entreprises et d’habitations. Les crues dévastatrices ont tout emporté.
« C’est comme si une trancheuse géante était passée. »
Jean-Marc Agu, expert d’assurance et directeur du cabinet Union d’Experts Côte d’Azur au Cannet.
L’expertise
Pour expertiser des habitats disparus ou très impactés, les experts se basent sur les photos, les vues satellite et la bonne foi des assurés. Avec l’aide d’économistes de la construction, ils étudient dans le détail ces documents et reconstituent l’habitat pour pouvoir chiffrer les dommages et établir une proposition d’indemnisation. Celle-ci est validée par la compagnie d’assurance avant d’être signée par l’assuré.
Le code des assurances prévoit un délai de trois mois pour établir une proposition d’indemnisation à compter de la remise de l’état de perte par l’assuré.
« Pour les entreprises, les pertes d’exploitation ne peuvent s’appréhender qu’à partir du moment où l’activité reprend, explique Jean-Marc Agu. Il faut donc absolument qu’elles retrouvent un terrain pour se réinstaller et exploiter. » Ce à quoi s’emploie la Mairie de Saint-Martin-Vésubie.
Les indemnisations
Chaque cas est particulier et dépend de la police d’assurance souscrite. Certains assurés ont tout perdu. D’autres n’ont plus de maison mais ont toujours du terrain. D’autres encore ont leur maison intacte mais elles ne sont plus habitables car devenues dangereuses…
Les crues dévastatrices ont tout emporté. Certaines habitations, pourtant encore debout, sont en périls et devront être détruites.
Pour faire le tri, une cellule bâtimentaire dépendant de la préfecture a été créée le 8 octobre.
Composée notamment de sapeurs-pompiers, de spécialistes du génie parasismique et d’architectes, elle a expertisé plus de 2 000 bâtiments et équipements publics dans 18 communes sinistrées. Puis elle les a classés en fonction des dégâts subis. Ce classement permet aux communes de prendre des arrêtés d’évacuation des bâtiments à démolir et d’enclencher les mesures d’aide au relogement.
Car en matière de catastrophe naturelle, « seuls les dommages matériels et ceux directement liés à la catastrophe sont pris en compte », rappelle l’expert. Le relogement étant un dommage immatériel, il n’est pas prévu par le régime Cat Nat. « La plupart des compagnies d’assurance ont cependant pris des positions pour essayer d’améliorer le relogement des habitants », indique-t-il.
De manière générale, « les assureurs vont indemniser les sinistrés dans les limites des garanties contractuelles. Les terrains n’étant pas assurables, c’est probablement le fonds Barnier qui les indemnisera. » Ce fonds de prévention des risques naturels majeurs intervient notamment pour l’indemnisation des catastrophes non prises en charge par les compagnies d’assurance habitation et automobile. Il devrait débloquer 50 millions d’euros pour aider à la reconstruction des habitations. « Mais pour le moment, comme avec cette tempête nous sommes face à des phénomènes inconnus, il n’y a pas de réponses absolues. Les assureurs et les autorités étudient comment indemniser au mieux tous les sinistrés », précise-t-il.
La reconstruction
Le coût de la reconstruction a été évalué à plus d’un milliard d’euros, hors dommages sur les biens privés assurés, selon la Direction départementale des territoires et de la mer des Alpes-Maritimes.
La Fédération française de l’assurance estime à 210 millions d’euros le coût des sinistres assurés : habitations (72 %), biens professionnels et agricoles (25 %) et automobiles (3 %).
« Si la tempête Alex a été très spectaculaire, elle ne génère pas pour nous un nombre de dossiers très importants car la zone sinistrée n’est pas très peuplée, admet Jean-Marc Agu. Nous avons environ 300 dossiers dans mon cabinet liés à cet événement alors que nous en avions 4 000 après les inondations dans le Var et les Alpes-Maritimes de novembre et décembre 2019. Nous espérons qu’une grande partie sera traitée au cours du premier trimestre 2021. Mais il y en a beaucoup qui dépendent de décisions administratives. »
Faire revenir les habitants
« Les habitants sinistrés de Saint-Martin vont vraisemblablement vouloir rester dans le village. Mais concernant les personnes en résidence secondaire, c’est un point d’interrogation. Vont-elles vouloir revenir s’installer ici ? s’interroge Alain Jardinet. Et surtout, où pourront-elles reconstruire car nous n’avons presque plus de terrains disponibles. Il faut que nous modifiions le plan local d’urbanisme avec l’État car il faudra remettre des zones vertes en terrains constructibles. »
Une étude a d’ailleurs été effectuée par la métropole pour connaître l’impact de la tempête sur la morphologie des vallées et des milieux aquatiques et adapter les plans de prévention du risque inondation et les plans locaux d’urbanisme.
« Pour que la vie reprenne, il faut que les familles et les entreprises reviennent. »
Alain Jardinet, maire-adjoint de la commune et ancien colonel au Sdis06, aujourd’hui retraité.
Article extrait du n° 569 de Face au Risque : « Plan d’actions post-Lubrizol : l’impact sur l’industrie » (février 2021).
Martine Porez – Journaliste
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