Risques industriels. BEA-RI : quel mode de fonctionnement ? Interview de Jérôme Goellner

1 février 20219 min

En date du 9 décembre 2020, un arrêté a entériné la création du Bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels (BEA-RI). Nous avons interrogé Jérôme Goellner, nommé en juin 2020 par la ministre Élisabeth Borne et préfigurateur de la nouvelle structure, pour en connaître les détails d’organisation et de fonctionnement.

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Pouvez-vous nous expliquer l’organisation du BEA-RI et son mode de fonctionnement ?

Jérôme Goellner. Depuis ma nomination en juin 2020, nous avons recruté quatre enquêteurs techniques, en plus de moi-même. Trois sont des inspecteurs des installations classées expérimentés, spécialistes des installations classées et des activités à risques, ou du transport et de la distribution par canalisation. Le quatrième est un lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers, mis à notre disposition par un Sdis. L’objectif était de recruter des agents très expérimentés ayant un profil de directeur d’enquête.

A la différence de notre homologue du secteur aérien, qui pratique lui-même l’analyse de boîtes noires par exemple, nous n’aurons pas la position d’un BEA qui fait lui-même les expertises. Mais nous nous appuierons sur les compétences qui existent déjà. C’est le cas au sein de l’Inspection des installations classées, des Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), ou au sein des établissements publics, comme l’Ineris, et d’autres organismes d’expertises, voire également chez les industriels eux-mêmes. L’idée est de faire appel aux compétences existantes pour mener l’enquête, et pas que le BEA réalise tout en autonomie.

La création d’un « bureau d’enquête accident » avait été émise dès février 2020 par Elisabeth Borne, lorsque la ministre avait présenté pour la première fois le plan d’actions post-Lubrizol du Gouvernement. (Photo Sdis 76)

Extinction incendie Lubrizol Rouen. Crédit : Sdis76

À quelles sortes de conclusions aboutiront les rapports d’enquête ?

J. G. Au travers du mode collaboratif évoqué, l’objectif sera d’être garant de la recherche des causes profondes des événements, en poussant la réflexion le plus loin possible, notamment sur le facteur humain ou l’organisation. Un autre volet consistera à s’interroger sur les pratiques de l’administration. Nous ne prétendons pas faire mieux que ce qu’il se faisait jusqu’à présent, mais nous allons apporter de la méthode et de l’indépendance. L’objectif de l’enquête technique est de rechercher les causes d’un accident, pas les responsabilités. Tout ceci débouchera sur des recommandations, qui s’adresseront aussi bien aux industriels qu’à l’administration elle-même.

Prenons l’exemple de l’incendie de Rouen du 26 septembre 2019. Le fait de savoir si le départ de feu a eu lieu chez Normandie Logistique ou chez Lubrizol est un élément essentiel pour l’enquête judiciaire : c’est ce qui va conditionner les responsabilités. Pour l’enquêteur technique, le simple fait de constater que l’on entreposait des produits combustibles de l’autre côté de la clôture d’un site Seveso, avec une possibilité d’effet domino, nous suffit. Peu importe d’ailleurs que cela soit à l’origine de l’accident, ou non. Si au cours de l’analyse, nous nous apercevons qu’il y a un élément qui a pu contribuer à l’accident, nous formulerons des propositions pour améliorer cette situation.

Jérôme Goellner, préfigurateur du BEA-RI - Crédit: Studio Bontant

« Nous ne recevrons pas d’instructions du ministre, ni de personne d’autre, dans le déroulement de l’enquête. Nous serons libres des propositions que nous ferons. »

Jérôme Goellner, ancien directeur de la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (Driee) de l’Île-de-France, a été chargé de la mise en place du BEA-RI par la ministre Élisabeth Borne.

Quelles sont les garanties d’indépendance du travail d’enquête que va mener le BEA-RI ?

J. G. Notre autorité de rattachement est le CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable), l’organisme d’inspection du ministère, et non pas la DGPR (Direction générale de la prévention des risques), pour satisfaire à ce critère. Cela signifie que l’on se posera aussi des questions sur l’adéquation de la réglementation ou sur l’organisation du contrôle. Si un accident met en lumière une inadaptation ou l’insuffisance de la réglementation, ou une mauvaise priorité de contrôle, il nous appartiendra de le dire. C’est aussi en cela que ce bureau doit apporter quelque chose de supplémentaire par rapport à la situation antérieure.

Par ailleurs, les règles du jeu sont claires : nous ne recevrons pas d’instructions du ministre, ni de personne d’autre, dans le déroulement de l’enquête. Nous serons libres des propositions que nous ferons. Notre rapport d’enquêtes et ces propositions seront systématiquement rendus publics. Tous les autres BEA fonctionnent de cette manière.

Quels sont les critères définissant le(s) type(s) d’accidents dont s’occupera le BEA-RI ?

J. G. Nous partons sur une quinzaine ou une vingtaine d’enquêtes par an. L’idée est de couvrir les accidents les plus graves. A cet effet, on trouve des critères de déclenchement dans l’annexe 6 de la directive Seveso. Cette dernière définit des seuils de gravité au-delà desquels un accident doit faire l’objet d’une notification auprès de la Commission européenne, selon des critères évalués en fonction des victimes, des dégâts matériels ou des atteintes à l’environnement. Tout ce qui relèvera de cette annexe 6 devra faire l’objet d’une enquête accident. En moyenne, cela représente 5 à 6 événements par an en France. Cela nous laisse la capacité d’en faire 10 ou 15 de plus.

L’ambition est de se pencher sur les cas les plus intéressants, c’est-à-dire les plus susceptible de nous apporter des enseignements, et non pas nécessairement les accidents les plus graves. Dans les futures dispositions législatives, il devrait en outre être prévu que la décision de déclencher une enquête se fasse, comme pour les autres BEA, soit sur la demande de la ministre, soit sur décision du BEA-RI, qui peut s’autosaisir de manière autonome.

Le 1er décembre 2020, un incendie s’est produit sur une station de stockage d’énergie par batteries lithium-ion au sein d’un poste de transformation de RTE à Perles-et-Castelet, dans l’Ariège. Le BEA-RI a déclenché une enquête. (Photo Sdis 09)

Incendie Ariège 011220 - Crédit: Sdis 09

Concernant les accidents graves, comment vont évoluer l’enquête menée par le BEA et l’enquête judiciaire : n’y-a-t-il pas un risque que l’une vienne empiéter sur l’autre ?

J. G. Il y a un risque et c’est pour cela que l’on a besoin de dispositions législatives pour définir l’articulation entre l’enquête technique et l’enquête judiciaire. Une proposition de loi a été déposée en ce sens en septembre 2020 par le député Damien Adam, le rapporteur de la mission « post Lubrizol ». C’est cette loi qui devra prévoir que nous ne pourrons pas faire n’importe quoi au cours de notre enquête technique, qu’il faudra l’accord des autorités judiciaires par exemple pour garantir que les droits de la défense puissent être défendus.

C’est aussi dans cette loi qu’on expliquera que le BEA-RI doit avoir accès au dossier d’enquête judiciaire et que l’on ne nous opposera pas le secret de l’instruction. Ces dispositions législatives ont pour vocation à régler les éventuelles difficultés qui pourraient naître entre l’enquête administrative et l’enquête judiciaire. Sachant que je n’ai jamais, au cours de ma carrière, rencontré de situation tendue avec la justice, comme cela a pu être le cas avec AZF.

Avez-vous déjà commencé à travailler sur des cas concrets ?

J. G. Le BEA-RI est opérationnel depuis le mois de décembre 2020. Nous avons commencé à travailler sur trois événements, qui ne sont pas « graves » mais nous paraissent intéressants. Le premier concerne une installation expérimentale de stockage d’électricité par batteries lithium-ion, dans l’Ariège. Avec la transition énergétique, c’est un type d’installation soumis à déclaration ICPE qui va être amené à se multiplier. La question des règles de sécurité applicables et les types de matériel mis en jeu sont intéressants. L’enquête va concerner également les conditions d’intervention d’urgence, par des pompiers internes ou externes. Car c’est de la qualité et de la rapidité de cette intervention qu’un incident ne devient pas un accident. On sait dans le cas évoqué, que les pompiers éprouvent parfois des difficultés pour intervenir sur des feux de batterie lithium-ion.

Bien loin d’un site Seveso, le deuxième cas concret concerne une ferme d’élevage bovin dans l’Aube, soumise à déclaration, où un incendie a pris dans la paille entreposée. Ce qui nous a interpellés, c’est qu’il y avait 120 tonnes d’engrais stockés à côté, dont des ammonitrates haute concentration. Il nous a semblé important et intéressant de voir comment cela s’était passé, quel pouvait être l’impact d’un incendie de ce type sur un stockage d’ammonitrates, même si l’installation est en dessous des seuils.


A ce jour, le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour les risques industriels, a publié un premier rapport d’enquête (rejet d’ammoniac sur une usine Borealis Seveso à Grandpuits – Seine et Marne), et travaille sur huit enquêtes techniques en cours.

Dans le cadre de la loi Climat, un amendement proposé par le Gouvernement a été adopté le 19 mars 2021 par l’Assemblée Nationale en vue de préciser notamment les rapports de l’enquête administrative menée par le BEA-RI et l’enquête menée par l’autorité judiciaire sur un même sinistre.


Article extrait du n° 569 de Face au Risque : « Plan d’actions post-Lubrizol : l’impact sur l’industrie » (février 2021).

Bernard Jaguenaud, rédacteur en chef

Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef

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