Sécurité civile. PredictOps : un modèle prédictif d’intervention des sapeurs-pompiers à base d’intelligence artificielle
À l’initiative du Sdis du Doubs et en partenariat avec le laboratoire de recherche Femto-ST, une équipe développe un algorithme à base d’intelligence artificielle permettant de prédire les interventions des forces de secours. Nous avons interrogé le capitaine Guillaume Royer-Fey, pilote métier de PredictOps au Sdis 25, sur les objectifs visés et l’état d’avancement du projet.
Pourriez-vous nous présenter le projet PredictOps ?
Guillaume Royer-Fey. L’idée est d’exploiter un système d’intelligence artificielle afin de garantir une qualité constante de service public dans l’intervention des forces de secours. Le projet comprend deux volets. Le premier consiste à définir un nouvel indicateur de performance du service public, afin d’améliorer la qualité de service des secours. Il est basé sur une cartographie dynamique. Il s’agit d’identifier pour chaque intervention si la réponse du service était au niveau de celle souhaitée en matière de délai de distribution des secours. En évaluant les retards, voire les ruptures de service sur chaque mission, et en menant une recherche des causes, l’on peut dégager des axes d’amélioration.
Le deuxième volet est prospectif et repose sur l’intelligence artificielle. Il a pour objectif de construire un outil opérationnel de prédiction des interventions à venir, en précisant leur échéance temporelle, leur localisation et leur nature : secours d’urgence à personne, lutte contre l’incendie, secours routier, lutte contre les risques naturels et technologiques, opérations diverses. Le but de ce modèle prédictif serait notamment de disposer au niveau du Codis d’un outil opérationnel sur une base cartographique pour anticiper les crises avant qu’elles n’arrivent. L’idéal serait de pouvoir faire une affirmation du type : « sur tel secteur dans 3 heures, les forces de secours devraient être confrontées à tel type d’intervention ».
« Au niveau macroscopique, c’est-à-dire au niveau de données agrégées à grande échelle, le modèle donne des résultats très satisfaisants »
Comment ce modèle prédictif fonctionne ?
G. R.-F. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle permet de faire mieux que les lois de probabilités arithmétiques concernant l’analyse prédictive, car elle est auto-apprenante. Nous avons développé un algorithme basé sur 1300 variables externes pouvant affecter l’activité du Sdis. Comme les données météorologiques, le trafic routier, les hauteurs de cours d’eau, l’épidémiologie… La méthode du machine learning, en analysant les événements passés tout en les combinant avec ces variables, aboutit à un classement de la pertinence de ces variables au regard du déroulement des faits. C’est ce que l’on appelle le scoring des variables : le système, au cours de l’apprentissage, apprend à attribuer un certain poids aux variables.
Différentes méthodes de machine learning ont été testées et leurs performances respectives comparées, en mesurant l’écart entre le prédit et le réel sur une période dont on connaît déjà le résultat. Une fois aboutit, ce modèle prédictif pourrait être utile non seulement aux Sdis pour leurs interventions, mais aussi au secteur préhospitalier. Ou encore aux agences régionales de santé. En estimant le nombre de secours et le type d’intervention sur un secteur précis, il permettrait d’anticiper la disponibilité des ressources sur les centres impliqués.
Comment un laboratoire de recherche universitaire a pu être associé à ce projet ?
G. R.-F. Depuis 2018, il y a eu un rapprochement entre le Sdis 25 et plusieurs acteurs. Le professeur Guyeux d’abord, au travers de l’institut de recherche Femto-st de l’université de Franche-Comté associé au CNRS, était intéressé par l’étude des processus de machine learning. Il a été convenu de lui donner accès à la base de données émanant du système de gestion opérationnelle du Sdis 25.
Le 15 janvier 2020, un accord a été signé entre l’université de Franche-Comté, le Sdis 25 et l’association nationale de recherche et de technologie pour solliciter une subvention en faveur d’une doctorante data- scientist, sur trois ans. Enfin, un partenariat a été noué avec une PME afin de passer l’étape de pré-industrialisation de l’outil, notamment le codage du machine learning, afin d’aboutir à une maquette opérationnelle qui puisse être testée. Au sein du Sdis 25, le groupe de travail mobilise trois personnes : une experte métier ingénieure informatique, un expert des modes d’engagement et un pilote métier.
Où en est le développement de PredictOps ?
G. R.-F. Nous en sommes toujours au niveau expérimental. L’interface homme-machine du logiciel est dans sa première version. Au niveau macroscopique, c’est-à-dire au niveau de données agrégées à grande échelle, le modèle donne des résultats très satisfaisants. Notre volonté est d’affiner la prédiction, en diminuant l’échelle au niveau du territoire et en prenant en compte toutes les types d’intervention.
Cela fait près d’un mois qu’une version Beta de PredictOps tourne. Les prédictions sur le secours d’urgence à personnes peuvent être exploitées opérationnellement. Pour les autres natures d’activité, les prédictions doivent encore être affinées. Mais nous suivons quotidiennement la différence entre le prédit et le réel, le scoring. Cette partie devrait nous occuper trois mois, et nous permettre de déterminer les variables pertinentes afin d’améliorer le modèle prédictif. Durant cette période, notre objectif est de trouver d’autres Sdis partenaires. Plus importants que le Sdis 25. Il va falloir élargir et enrichir notre base de données, car il y a un certain nombre de risques que nous ne rencontrons pas dans le Doubs, comme les épisodes cévenols en termes de pluviométrie.
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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