Mise en sécurité : quand la sûreté impose de nouveaux réflexes
Alors que les consignes de sécurité et l’évacuation incendie semblent bien ancrées en France, c’est beaucoup plus flou en cas d’action violente. Quand doit-on évacuer ? Quand doit-on se mettre à l’abri ? Les responsables sécurité doivent jongler avec des logiques qui semblent parfois opposées. On fait le point.
Attaque du 25 septembre 2020
Vers 12 h, rue Nicolas Appert à Paris, devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, l’alerte est donnée et le quartier bouclé alors que deux personnes ont été attaquées au hachoir. Des milliers d’élèves de plus d’une centaine d’écoles des 3e, 4e et 11e arrondissements sont confinés, par mesure de sécurité. Vers 15 h, la préfecture de police de Paris annonce sur Twitter que les parents des élèves confinés peuvent venir chercher leurs enfants. Les mesures de précaution sont levées.
Se mettre à l’abri a pris une tout autre dimension depuis les attentats de 2015. La menace terroriste, que l’on pensait lointaine, s’est soudainement invitée sur le devant de la scène. Dans les entreprises, dans les établissements recevant du public (ERP), dans les établissements de soins, elle doit désormais faire partie intégrante de l’analyse de risque.
Pour rappel, plusieurs facteurs peuvent justifier la mise en sécurité des personnes présentes dans un bâtiment : si on pense avant tout à l’incendie, et désormais à un attentat ou une action violente, cela peut aussi concerner une fuite de produit/gaz toxique, ou une catastrophe naturelle. Dans tous les cas, après analyse de risques, il faut s’interroger sur les notions d’alarme (prévenir les occupants) et d’alerte (prévenir les secours), les consignes et plans d’évacuation, les points de rassemblement et zones de confinement, et prévoir des exercices et mises en situations. Tout occupant d’un bâtiment doit connaître la conduite à tenir face à ces événements.
La problématique sûreté
« Il y a encore quelques années, quand on parlait de mise en sécurité, la focale était sur le risque incendie. Les attentats de Paris en 2015 ont changé la donne, remarque Gilles Courchay, responsable des formations à l’évacuation chez CNPP. Ça ne veut pas dire qu’avant, les agents ne s’occupaient pas de sûreté. Il a toujours été question de prévenir les vols ou les intrusions. Mais si on regarde bien, un bâtiment protège surtout ses occupants pour qu’ils évacuent en toute sécurité en cas d’incendie. Dans l’évacuation traditionnelle, on applique les consignes de sécurité. Évacuation verticale, horizontale, vers les EAS [NDLR : espaces d’attente sécurisés] si besoin, on sait faire. Mais dans le cas d’une action violente, nous n’avons pas les réflexes en France. »
Hormis pour les établissements scolaires (via les plans particuliers de mise en sûreté – PPMS) et les établissements de santé (via les plans de sécurisation d’établissement – PSE), la réglementation n’impose pas de réelle préparation ni de mesures à mettre en œuvre en cas d’action violente. Les consignes données en France sont cependant celles du plan Vigipirate, à savoir :
- s’échapper ;
- se cacher ;
- alerter.
Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité national (SGDSN) a par ailleurs publié des fiches spécifiques, à destination des ERP par exemple, sur l’organisation d’un confinement face à une menace terroriste.
En cas d’acte violent ou d’attaque terroriste, il faut penser avant tout à sa sécurité. La priorité n’est pas l’alerte ou encore le respect absolu des procédures. « La priorité, c’est de sauver sa vie, explique François Briard, en charge des formations opérationnelles sûreté-malveillance à CNPP. Il faut toujours garder en tête que la conduite à tenir est celle où l’on prend le moins de risques possibles afin de se préserver physiquement. Selon les cas et en fonction de ses capacités, il faut évacuer (s’échapper, fuir), ou se mettre à l’abri (se cacher, se protéger). En sûreté, on ne parle pas vraiment de confinement mais plutôt de mise à l’abri. Il y a très peu de bâtiments équipés pour un confinement. »
Il faut mettre les téléphones portables en mode silencieux, ne pas donner d’informations sur les réseaux sociaux et aider les autres si c’est possible. Une fois en sécurité, il est primordial d’alerter en interne et vers des secours extérieurs.
S’échapper
En cas d’évacuation, il faut identifier l’endroit où se trouvent le ou les terroristes et il ne faut surtout pas rallier les points de rassemblements mais se disperser et rejoindre les postes de police ou se cacher. « Si les assaillants sont éloignés, on peut imaginer évacuer via les chemins d’évacuation et issues de secours traditionnels, mais il faut évoluer avec la plus grande prudence, conserver des distances entre les personnes, rester silencieux, ne pas stationner derrière les portes et fenêtres, stopper et observer à chaque changement de zone, vérifier la sortie avant d’évacuer et sortir individuellement ou par groupes à quelques secondes d’écart », conseille François Briar.
Si les assaillants sont proches, il s’agit de fuir et non plus d’évacuer. « Si vous êtes au rez-de-chaussée ou au premier étage, sortez par les portes de services, les fenêtres… courez et dispersez-vous, rejoignez un abri », ajoute-t-il. Le toit est parfois le seul moyen de s’échapper, avec les risques de chute que cela engendre.
En cas d’alerte terroriste, il ne faut surtout pas rallier les points de rassemblements mais se disperser et rejoindre les postes de police ou se cacher.
Se cacher
Si la fuite est impossible, il faut se cacher sur place, dans un local prévu ou dans un local tiers, et bloquer la porte au plus vite (verrouillage, bloc-porte, table, meuble, ceinture…). Une procédure avec codes peut être mise en place en amont pour que les occupants déjà à l’abri laissent entrer de nouvelles personnes.
« Coupez les téléphones et éteignez les sources de lumières et autres. Attention, si les assaillants sont très proches, ne touchez à rien pour ne pas signaler votre présence, précise François Briar. Certains vides sanitaires, gaines techniques, faux-plafonds… peuvent aussi permettre de se cacher. Il est important de garder à l’esprit que se cacher peut être à double tranchant et se transformer en prise d’otages, même si cela reste la règle si on ne peut pas s’échapper. »
Pour que ces comportements deviennent des réflexes, il est nécessaire de former et informer le personnel sur les moyens d’alerte, les chemins et ouvrants possibles d’évacuation-fuite, les zones de mise à l’abri et sur ces consignes : s’échapper, se cacher, alerter. « Les responsables sûreté ont tout un scénario à écrire. On part d’une base et on s’adapte. Il faut développer de nouveaux réflexes chez les collaborateurs. En Europe, nous n’avons pas cette mentalité comme aux États-Unis », ajoute-t-il.
Attention aux fausses alertes !
D’autant plus que ces réflexes sûreté peuvent être opposés à ceux à mettre en œuvre en cas d’incendie. Si on prend l’exemple d’une évacuation incendie, avec tous les occupants d’un bâtiment qui se retrouvent au point de rassemblement, c’est tout sauf la bonne solution sous l’angle d’une action violente. Les salariés regroupés au même endroit représentent une cible idéale. Surtout qu’ils peuvent y rester un certain temps, la réintégration des locaux reposant sur une autorisation qui garantit la sécurité des personnes.
D’un point de vue sûreté, il faudrait fractionner les évacués et identifier plusieurs points de rassemblement. On peut aussi imaginer que l’alerte incendie soit déclenchée de façon malveillante, comme cela a été le cas dans un lycée de Parkland, en Floride aux États-Unis.
En février 2018, un ancien élève renvoyé de l’établissement avait déclenché l’alarme incendie pour faire sortir élèves et enseignants des classes et les attirer dans les couloirs. 17 personnes avaient été tuées. Dans ce cas, des bruits de tir, une explosion, des cris, une rumeur d’attentat doit entraîner un changement dans la manière d’évacuer et la conduite à tenir. On passe alors d’une évacuation traditionnelle à une évacuation de sûreté ou d’urgence, voire à une mise à l’abri si on ne peut pas s’échapper.
Si les assaillants sont éloignés, il est possible d’évacuer mais avec beaucoup de prudence et en conservant ses distances.
Une approche globale
Pour toutes ces raisons, Gilles Courchay est persuadé qu’une approche mixte serait la meilleure. « Il faut une approche globale qui intègre les risques sécurité et sûreté. Par des exercices et mises en situations pour développer les gestes réflexes, mais aussi sur la question des matériels. Il existe bien des matériels qui permettent d’informer d’une action violente dans un bâtiment, mais ils ne sont pas normés, intégrés comme le matériel incendie. Et tout l’enjeu est de ne pas créer de confusion dans les messages à faire passer. »
Un point de vue que partage le commandant Didier Rémy, chef du service Prévention du Sdis16 et animateur de la commission Prévention incendie de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF). D’après lui, les attentats de 2015 et la logique de sûreté font revoir la totalité des règles du jeu. Et il faut assurer l’intégration des systèmes d’alarme sécurité incendie et sûreté afin qu’ils ne puissent pas se neutraliser, voire provoquer des actions inappropriées. Le plus simple serait, selon lui, la diffusion d’un message codé par haut-parleur, connu par tous les personnels. Il faut donc éviter de diffuser une alarme sans levée de doute.
« Aujourd’hui, on s’aperçoit que les équipements de sécurité incendie peuvent être détournés et utilisés à des fins malveillantes. Les plans d’intervention à l’entrée du bâtiment, de plus en plus précis et visibles par tous sont un exemple parlant. Ils pourraient plutôt être présentés dans un classeur quand les secours arrivent, cachés derrière un panneau, visibles avec un système de ficelle et ressort qu’on tire ou encore accessibles par un QRCode. On demande aussi, suite à la fusillade de Parkland, que les déclencheurs manuels ne soient plus visibles par le public, mais seulement par le personnel », détaille-t-il. Il cite également la barre antipanique, fragilité de sûreté, qu’il conseille de remplacer par un bouton moleté.
« Le problème est qu’il n’y a pas de consensus entre les différents acteurs, conclut Gilles Courchay. Il faut réfléchir conjointement pour trouver une solution techniquement et financièrement acceptable pour tout le monde. La vision doit être à 100 % pragmatique. Il faut s’atteler à regarder la problématique dans les établissements. »
Article extrait du n° 567 de Face au Risque : « Menaces et mise en sécurité des personnes » (novembre 2020).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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