Anatomie du Li-ion : éviter l’emballement thermique
Imaginez que vous êtes en train de recharger votre téléphone et que celui-ci, après avoir émis un son bizarre, commence à se craqueler, enfler et finisse par émettre de la fumée, voire exploser. Aussi impressionnants soient-ils, ces incidents sont pourtant très peu probables. Reste que, comme toutes les technologies, les batteries lithium recèlent des risques qu’il faut bien connaître pour ne pas qu’ils se concrétisent !
Une batterie lithium est composée de deux pôles. L’un positif, la cathode, généralement en dioxyde de cobalt ou en manganèse, et l’autre négatif, l’anode, constitué de graphite. L’échange d’ions lithium entre ces deux pôles permet le stockage et la restitution d’énergie.
L’architecture d’une batterie lithium-ion
Les anodes et les cathodes sont très réactives et sont isolées par un séparateur perméable. Lors du premier chargement une couche se forme sur le séparateur, appelée « Solid Electrolyte Interphase » ou SEI. Cette réaction chimique consomme 5 % du lithium de la batterie mais permet en retour d’augmenter la durée de vie de la batterie en renforçant la couche du séparateur et en empêchant ainsi sa rupture.
Pour cette raison, il est recommandé d’effectuer un cycle de charge long lors de la première utilisation. Une mesure inutile pour vous puisque la charge initiale a très probablement déjà été effectuée en usine.
En effet, The International Air Transport Association (IATA) et la Federal Aviation Administration (FAA) américaine demandent à ce que tous les packs lithium transportés soient au moins à 30 % de charge. Il s’agit de tenir compte du temps et des conditions de transport qui peuvent réduire cet état et occasionner des risques.
L’importance de la carte électronique
Pour contrôler la réaction chimique, les batteries lithium sont nécessairement accompagnées d’une carte électronique (qui dans certains cas est contrôlée par un programme informatique). Cette carte est appelée « Battery Management System » (BMS). On en trouve sur les téléphones, les ordinateurs, les véhicules, etc. Elle permet de réguler l’utilisation, la température de la batterie et les phases de chargement.
En effet, contrairement à d’autres batteries, le lithium est le métal qui a le plus de potentiel de perte d’électrons, ils peuvent donc aller très rapidement d’un pôle à l’autre (permettant ainsi une charge rapide). Le mouvement entre les deux pôles dégage de la chaleur. Cette chaleur ralentit le passage des ions. Pour que la réaction soit optimale, il faut donc d’abord que la batterie soit froide. Elle peut alors se charger rapidement. Il faut que cet état demeure et on a vu que le chargement générait de la chaleur, il faut donc refroidir la batterie ou éviter qu’elle ne chauffe trop.
Le phénomène d’emballement thermique
Une batterie chaude en chargement pourrait endommager les cellules mais surtout conduire au fameux emballement thermique, ce moment où la réaction chimique devient incontrôlable, c’est-à-dire entre 150 et 180 °C.
Il faut avoir à l’esprit que les ions de lithium baignent dans un bain électrolytique, une sorte de gelée d’hydrocarbures, qui ont leurs propres caractéristiques physicochimiques. Avec la chaleur, ce bain se modifie et peut émettre des gaz ou modifier la nature du séparateur, qui lui-même subit des contraintes…
Il existe différents types de carte électronique, ou BMS. Dans tous les cas, il s’agit de réguler les épisodes de charge et de décharge pour éviter des écarts entre les cellules. En effet, toutes les batteries sont composées de plusieurs cellules. Chacune recèle une partie de l’énergie de la batterie, c’est à ces endroits que les ions se fixent. Pour des raisons physiques d’agencement dans la batterie, ces cellules ne subissent pas les mêmes contraintes.
Le BMS permet d’éviter de trop grands écarts de charge entre ces cellules. L’énergie est ainsi dissipée entre les différentes cellules. Dans certains cas, le BMS peut éteindre l’appareil si la température extérieure est trop importante ou si un risque de court-circuit est possible. Dans le cas de véhicules électriques, le système de refroidissement actif des cellules peut se déclencher, etc. Il permet également de « mobiliser » les cellules convenablement et de libérer l’énergie au bon moment sans les endommager. En phase d’accélération, par exemple.
Le design d’une cellule lithium-ion peut adopter une forme cylindrique. On remarque aisément qu’une fragilité au choc mécanique ou un défaut de conception peut vite amener à un court-circuit interne.
Un seuil minimal de charge
En dessous d’un certain seuil de charge, une batterie lithium est plus dangereuse car plus instable. Soumis à des contraintes comme la chaleur, des changements de pressions ou encore un choc, le séparateur qui isole les pôles peut se détériorer et conduire à une réaction violente : explosion dans le pire des cas, ou bien emballement thermique.
Il est difficile d’observer la mise en défaut interne de la batterie. Dans le meilleur des cas, le BMS va rendre inopérante la batterie. Mais si vous constatez un gonflement ou une déformation de l’enveloppe externe de la batterie, ce n’est pas bon signe !
Prolonger la durée de vie
Contrairement aux batteries à « mémoire », comme les batteries au plomb, il est recommandé de charger sa batterie plus souvent car cela n’affecte pas sa durée de vie, bien au contraire. Faire descendre le niveau de charge en dessous de 20 % peut endommager le séparateur de la batterie ou le bain électrolytique. Lorsque la batterie atteint le seuil de décharge profonde (autour de 5 %) à de nombreuses reprises, un processus d’inversion se produit et les cellules peuvent s’endommager et ne plus se recharger.
Le design de la batterie
Le design de la batterie est très important dans la manière dont celle-ci intègre le stress (chocs, températures extérieures…) auquel elle peut être soumise.
Il existe principalement trois formes de batteries, avec trois types de dispositions. Les cellules sont organisées en cylindre, en poche ou bien en prisme. Les batteries sont généralement « roulées », un peu à la manière d’une pâtisserie. On appelle d’ailleurs ces dernières les « jelly roll », rouleau de gelée.
Le constructeur Tesla a choisi d’opter pour un ensemble de petites batteries (cylindre) reliées entre elles sur un plancher en nid d’abeille, tandis que d’autres constructeurs comme Honda, Ford ou Chevrolet ont préféré opter pour un bloc batterie plus « classique », avec une batterie de forme prismatique. Le choix de la disposition de la batterie tient compte de la motorisation et des systèmes de transmission.
Contrairement à certaines batteries plomb-acides, les Li-ion sont scellées et il n’est pas prévu qu’elles émettent des gaz. Elles doivent être étanches car le lithium réagit avec l’eau et l’air.
Le design joue aussi sur la possibilité d’éclosion d’un incendie. En multipliant les cellules et en les isolant (voire dans certains cas en les refroidissant indépendamment les unes des autres), on évite que l’emballement d’une cellule ne se propage à une autre.
Des évents de surpression
Conscients des risques, les constructeurs ont aménagé, particulièrement dans le cas des véhicules électriques, des « évents », capables de dissiper les éventuels dégagements gazeux et, en cas d’emballement thermique, de « diriger » les flammes et la fumée dans un sens qui ne serait pas pénalisant pour l’occupant du véhicule.
Un choc peut déformer l’enveloppe, endommager le séparateur, faire couler l’électrolyte et libérer les ions lithium qui, on l’a vu, s’enflammeraient spontanément. Une température trop importante modifie la chimie de la batterie. Dans le meilleur des cas, le plus courant, elle l’endommage et réduit sa durée de vie.
Toutes ces situations sont évidemment prévues par les normes internationales qui testent les batteries sur tous ces aspects, y compris en les soumettant à des chaleurs élevées, des vibrations et des chocs. Ces derniers peuvent aussi révéler et accentuer des défauts internes de conception.
Recyclage : l’incompatibilité entre les batteries
Une fois lancé, l’emballement thermique n’est pas possible à arrêter. Surtout il peut, selon les circonstances, conduire à une série de réactions en chaîne ou d’effets dominos.
Les accidents sont rares, sans être anodins, justifiant ainsi qu’en septembre 2018, le Barpi édite un flash spécial sur la question du recyclage des piles et accumulateurs.
La lecture des incidents dans la base de données Aria livre plusieurs situations mettant en oeuvre des produits différents. C’est l’un des principaux problèmes. Les accumulateurs et les piles présentent des technologies très différentes : plombs, Ni-Mh, lithium… Leur température de conservation optimale, comme leur résistance aux contraintes, sont très éloignées les unes des autres. L’une des premières recommandations est de bien isoler les produits en fonction de leur typologie. Mettre tous les accumulateurs ensemble, c’est à la fois cumuler les risques et produire des opportunités de réactions chimiques.
Le recyclage et l’élimination des accumulateurs usés nécessitent des mesures spécifiques pour prévenir l’emballement thermique, les rejets toxiques ainsi que les mélanges de substances chimiques dangereux.
Stockage et entreposage
Dans le cadre d’un entrepôt, il y a deux situations : les batteries neuves qui répondent aux normes de transport (voir plus haut) et ne posent – sauf défaillance, chocs ou sources de chaleur – a priori pas de problèmes, et les batteries utilisées tous les jours dans l’entrepôt pour le faire fonctionner.
Dans ce cas, il existe des logiciels spécifiques de gestion de flotte de batteries. Les batteries peuvent ainsi être chargées et monitorées en temps réel. Ces systèmes permettent de savoir quand la batterie est en charge maximale, quand elle tombe à plat et si un dysfonctionnement est constaté.
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Le cas des retours clients
En entrepôt, il peut exister un troisième cas de figure, plus délicat, qui est celui des retours de clients (dysfonctionnement de l’appareil ou de la batterie…). Ce sont des cas à risque et il est conseillé d’isoler le produit et de vérifier que le dysfonctionnement à l’origine du retour n’est pas lié à la batterie. Il est nécessaire dans ce cas de disposer sur site de personnes formées et disposant d’outils pour examiner l’appareil et appliquer, si besoin, des mesures de protection spécifique.
Un guide NFPA
Le 25 août 2019, la NFPA a publié un référentiel pour les installations fixes de stockage d’énergie. Il s’agit d’installations permettant de maintenir le courant en cas de rupture soudaine d’alimentation électrique, par exemple pour les hôpitaux, les data centers ou mêmes les immeubles d’habitations. Ces installations, désignées souvent sous les termes d’UPS, Uninterruptible Power Supply, sont traditionnellement des groupes de batteries plomb-acides.
Avec l’arrivée du lithium, il existe maintenant des alternatives, plus onéreuses mais aussi plus légères, qui nécessitent moins d’entretien et peuvent être plus facilement monitorées.
Le guide NFPA, d’une soixantaine de pages, est consultable librement en ligne après identification.
Attention aux risques météorologiques
Ce guide peut être intéressant lorsqu’il s’agit de construire un bâtiment qui reçoit des batteries, car tous les types de batteries sont répertoriés avec leurs risques associés.
La mise en place d’air conditionné peut se révéler très intéressante dans un stockage. 15 °C est la température optimale de conservation de toutes les batteries. Dans une région soumise à des vagues de chaleur ou des changements brusques, ce peut être un système de prévention efficace.
À tout mesurer, les risques des batteries lithium apparaissent beaucoup moins importants que ceux présentés par d’autres sources d’énergie. Et c’est sans doute le plus impressionnant.
La caméra thermique braquée vers le pack batterie reste l’un des moyens les plus sûrs pour vérifier la présence d’un échauffement interne, pouvant conduire à l’emballement thermique.
Article extrait du n° 566 de Face au Risque : « Lithium-ion : faut-il craindre l’emballement ? » (octobre 2020).
David Kapp – Journaliste
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