Suppression du risque chimique à la source chez Eiffage Infrastructures
Le 12 novembre 2019 restera comme une date symbolique pour Eiffage Infrastructures. Ce jour-là, le groupe remportait l’une des six distinctions de la campagne « Maîtriser les substances dangereuses – Lieux de travail sains », lancée et organisée par l’Agence européenne de santé et sécurité au travail (EU-Osha) au cours de l’été 2018. Une distinction inédite pour une entreprise française du BTP, qui récompensait bien plus que les dix mois de collaboration entre le groupe et l’agence européenne.
Un formidable encouragement
« Pas grand-chose a changé » depuis le 12 novembre 2019 pour Eiffage Infrastructures. C’est ce que nous confie Erick Lemonnier, directeur de la prévention branche Infrastructures, au sein de laquelle le groupe Eiffage a regroupé l’ensemble de ses activités liées aux métiers de la route, du génie civil, du métal et du rail. « Si ce n’est que le prix de l’EU-Osha est la reconnaissance du travail qui a été accompli depuis plus d’une décennie sur la maîtrise des substances dangereuses par un certain nombre de collaborateurs et d’équipes, poursuit-il.
Eiffage Infrastructures distingué le 12 novembre 2019 à Bilbao (Espagne) par l’EU-Osha lors de sa campagne « Lieux de travail sains ».
C’est une fierté et un formidable encouragement. Cette distinction était le moyen de récompenser nos équipes qui s’étaient penchées sur ce dossier. »
La prise en compte du risque chimique
C’est au cours des années 2000 que la volonté d’inclure plus fortement le facteur chimique parmi les risques pour la santé au travail a pris un tournant majeur.
« Auparavant, il s’agissait essentiellement des risques accident du travail. Et pour les risques différés, les plus observés étaient ceux qui étaient liés aux maladies et douleurs conséquentes aux postures ou au port de charges », rappelle notre interlocuteur.
Plusieurs éléments ont néanmoins favorisé la prise en compte du risque chimique chez Eiffage. « Il y a eu le contexte légal, avec la parution d’un certain nombre de décrets sur le sujet, mais il y a aussi deux autres clés : notre activité, plus particulièrement l’activité routière où nous sommes à la fois concepteur, fabricant et utilisateur des produits chimiques au sens légal du terme. Et puis parce que la prévention des risques professionnels ne peut pas se limiter uniquement à la prévention de l’accidentalité. »
Durant de nombreuses années, c’est en premier lieu par le biais de campagnes nationales et internationales – en grande partie menée par l’ancienne Union des syndicats de l’industrie routière française (ex-Usirf, devenue Route de France en 2018) – que Eiffage apporte ses contributions. « Ces campagnes-là, en partenariat avec les médecines du travail, les Carsat ou l’INRS, étaient très liées aux fumées bitumes », relate Erick Lemonnier. Jusqu’au développement et la mise en place d’Acces en 2008.
Des outils à la hauteur des ambitions
Acces, c’est le logiciel d’Analyse des composants chimiques environnement et sécurité, dont le but est « l’évaluation du risque sanitaire et environnemental des produits et composants chimiques que l’on utilise dans nos différents métiers ». Lancé en 2008, il devait répondre à une attente majeure précise-t-on chez Eiffage : « Utiliser de façon prioritaire des produits en impact sanitaire faible. »
Grâce à la méthode « Analysis Safe » qu’Eiffage a développé avec plusieurs partenaires, le groupe BTP a supprimé depuis 2018 le perchloroéthylène, solvant classé CMR, de ses analyses nécessaires aux formulations d’enrobés bitumineux.
Plutôt que de se contenter de réduire le risque, cette ambition est allée au-delà en cherchant à « supprimer le risque à la source ».
C’est-à-dire en substituant un produit à impact sanitaire élevé par un autre à impact sanitaire faible. Et ce, plutôt que de simplement réduire les quantités d’un produit à impact sanitaire élevé. En l’espace de douze ans, ce sont désormais plus de 6 000 produits référencés et évalués qui sont fichés sur cette base de données.
« Cela a permis de travailler avec un certain nombre de partenaires, de fabricants et de fournisseurs.
Lorsque nous ne trouvions pas de produit de substitution sur le marché, nous revoyions la composition de produits dont les composants étaient à l’origine de la classification au-delà de l’impact sanitaire faible. Certains fabricants ont
joué le jeu. Au final, nous étions tous gagnants : les fabricants car ils mettaient sur le marché un produit à impact sanitaire faible, et nous car nous avions trouvé ce produit qui n’existait pas auparavant. »
Dans la foulée, un module « Santé au travail » est créé dans un cursus de formation interne intitulé « Savoirs maîtrisés de sécurité ». « En 2011, nous nous sommes aperçus que nous n’évoquions pas la santé au travail de manière directe. Nous avons donc créé un module spécifique sur cette thématique qui aborde l’ensemble des points de la santé au travail. »
Plus que la prévention du risque chimique, ce module laisse également place à d’autres sujets comme la nutrition. « En observant les chiffres de certaines de nos activités, nous avons constaté un pic d’accidentalité aux alentours de 10 heures du matin. Nous en avons trouvé l’origine – l’absence de petit-déjeuner le matin – en discutant avec les équipes sur le terrain. »
Des méthodes de recherches toujours plus efficaces
Quelque temps plus tard, la méthode normalisée « Analysis Safe » est mise en place. « Nous avons développé cette méthode très innovante avec l’Ifsttar (Ndlr : Ex-Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux, devenu l’Université Gustave-Eiffel depuis le 1er janvier 2020) et le Cerema2 (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). Elle permet de caractériser les agrégats d’enrobés pour pouvoir les réemployer par la suite. »
Dans le courant de l’année 2018, cette méthode conduit par exemple au remplacement du perchloroéthylène, classé depuis 1995 « cancérogène probable pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).
« Nous nous sommes demandé s’il était possible de développer une alternative sans utiliser ce produit. On a trouvé une méthode qui permet de se passer du perchloroéthylène dans la caractérisation des agrégats. En plus de supprimer ce risque à la source, nous nous sommes aperçus que cela nous amenait un gain de temps dans le processus de caractérisation des enrobés. Alors qu’il nous fallait 2 heures auparavant, nous sommes aujourd’hui capables de le faire en 10 minutes. »
Souhaitant en premier lieu améliorer la santé des travailleurs, Eiffage a proposé la méthode Analysis Safe « à l’ensemble de la profession ainsi qu’aux organismes qui homologuent et certifient les méthodes ». « Ce qui est intéressant, c’est que les recherches menées par Eiffage bénéficient à la santé de nos opérateurs ainsi qu’à l’ensemble de la société au sens large », explique Erick Lemonnier.
En parallèle, le programme « Formula Safe » a également vu le jour sur la période 2017 – 2018. L’utilité de cet outil ? Notre interlocuteur nous l’explique.
« La conjugaison de plusieurs produits est une véritable difficulté car deux produits peuvent en créer un troisième ou un quatrième. C’est quelque chose qu’il faut regarder de très près. Nous avons conçu un outil, « Formula Safe », pour la conception des formulations. Bien souvent dans des laboratoires, avant de concevoir un produit, il y a des expérimentations avec des produits et des mélanges qui peuvent durer des jours, voire des semaines.
Le logiciel que nous avons développé pour nos équipes en français, en anglais et en espagnol, modélise le mélange que l’on souhaite concevoir et définit, de manière virtuelle et avant toute manipulation physique, s’il s’agira d’un mélange à impact sanitaire faible, modéré ou élevé. Ce qui permet de ne pas prendre de risque au moment de la manipulation. »
Une collaboration nécessaire et avantageuse
En cette année 2020, et à moins que la crise sanitaire liée à la Covid-19 ne retarde l’échéance, un tout nouveau projet devrait être dévoilé. « Il a été initié il y a trois ans et demi/quatre ans et devrait aboutir cette année », confie Erick Lemonnier.
Si aucune information précise ne nous a été donnée sur le sujet, le projet conserve les mêmes caractéristiques que les précédents. « L’objectif reste toujours de supprimer le risque à la source et il est également mené avec une expertise extérieure. » Et l’intéressé de préciser à propos de ces collaborations antérieures :
« Toutes les actions qui ont été menées ont toujours été réalisées en partenariat. Ce qui permet de regrouper les compétences les plus précises, les plus techniques, les plus pointues pour les additionner et aller plus loin que là où nous serions allés seuls.
Aux équipes d’Eiffage Infrastructures s’ajoutent des expertises extérieures, qui peuvent changer selon les thématiques et les objectifs fixés. Le syndicat de l’industrie routière française a été très actif sur le risque chimique depuis plus d’une décennie. De même que la Cramif (Caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France), les Carsat, l’INRS, l’Ifsttar, le Cerema, le CHU de Grenoble ou certains de nos clients également, comme des maîtres d’ouvrage.
Tout cela ne peut pas se faire seul. C’est toujours l’addition de compétences qui permet d’atteindre l’objectif. »
Influencer l’avenir des risques différés
Contrairement à bien d’autres domaines, les premiers retours quant aux effets de ces mesures ne sont pas quantifiables sur le court terme.
« Dans la majorité des cas, une maladie professionnelle nécessite de nombreuses années d’exposition. Son apparition survient généralement très longtemps après l’exposition. Très souvent des dizaines d’années plus tard. C’est pour cela que l’on parle de risques différés. Il est donc très difficile de pouvoir chiffrer l’apport immédiat de ces mesures. Mais il ne faut pas se fixer sur ces chiffres. Ils seront forcément au rendez-vous dans 10, 15 ou 20 ans. »
En dépit de cela, Erick Lemonnier insiste :
« Il faut agir tout de suite. La seule ambition ou le seul objectif qu’il faut se fixer c’est le confort et la protection de la santé des collaborateurs, de l’environnement et du public à proximité des ouvrages et des travaux que l’on effectue.
On voit bien, ces dernières années, qu’il y a un autre regard qui est porté sur la prévention du risque professionnel, avec une ouverture particulière sur les risques différés, les risques liés à la santé…
La santé au travail, c’est le sujet qui va se développer dans les années à venir. Le risque chimique est débattu partout dans le monde, aussi bien dans le cadre professionnel que personnel ou environnemental. Il est temps que chacun agisse dans le cadre qui lui est imparti, professionnel ou personnel. »
Eitel Mabouong – Journaliste
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