L’Atex sous l’œil de l’expert

1 mars 20209 min

L’actualité le rappelle bien souvent, le risque d’explosion est indissociable de l’activité industrielle. Ingénieur chimiste et expert pour le Centre d’études et recherches de Charbonnages de France (Cerchar) puis pour l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) pendant près de 40 ans, Jacques Chaineaux partage avec nous sa connaissance des mécanismes de l’explosion, ses retours d’expériences et ses conseils.

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Comment définiriez-vous une Atex ?

Jacques Chaineaux. Une atmosphère explosive, ou Atex, est le mélange avec l’air, dans certaines proportions, d’un produit inflammable ou combustible, qui peut être un gaz, une vapeur, un liquide dispersé sous forme d’aérosol ou un produit pulvérulent (une poudre fine en suspension dans l’air). Il faut que la proportion du produit combustible dans l’Atex appartienne au domaine d’explosivité qui est compris entre les limites inférieure d’explosivité (LIE) et supérieure d’explosivité (LSE) du combustible dans l’air.

Les explosions d’Atex représentent les deux tiers des explosions accidentelles. Le dernier tiers correspond aux trois autres types d’explosion :

  • la décomposition explosive d’une substance ou la réaction chimique explosive de deux substances ;
  • l’éclatement d’un récipient sous l’effet d’une pression interne trop élevée ;
  • la vaporisation brutale d’un liquide froid au contact d’un corps très chaud (l’acier et l’eau par exemple).

L’explosion d’une Atex résulte de la réaction de combustion entre le produit inflammable ou combustible et l’oxygène de l’air. On parle d’explosion de gaz quand le combustible est un gaz, une vapeur ou un aérosol, et d’explosion de poussière pour un pulvérulent. Une fois la réaction de combustion amorcée, la flamme se propage à tout le volume de l’Atex et entraîne l’explosion.

« Les explosions d’Atex représentent les deux tiers des explosions accidentelles. »

Jacques Chaineaux, ingénieur chimiste et expert Atex.

Jacques Chaineaux - Expert Atex - Crédit DR

D’où vient l’amorçage de l’explosion ?

J. C. Il faut que l’Atex reçoive localement une quantité suffisante d’énergie pour déclencher son inflammation (entre moins de 1 mJ et plusieurs centaines de mJ selon les combustibles). Parmi les sources d’inflammation les plus fréquemment mises en cause dans les explosions accidentelles, on peut citer :

  • la flamme nue, d’un briquet, d’un chalumeau, d’un brûleur… ;
  • une étincelle de friction (exemple du meulage) ;
  • le phénomène d’arc ou d’étincelle électrique, dû à un court-circuit par exemple ;
  • une étincelle de décharge électrostatique ;
  • l’auto-inflammation, qui apparaît lorsque l’Atex est chauffée à une température telle qu’elle s’enflamme spontanément, sans autre apport d’énergie que celle provenant de sa propre température.

Quels sont les effets d’une explosion d’Atex ?

J. C. Outre que les explosions peuvent entraîner des dégâts humains, en tuant ou blessant les personnes soumises à ses effets (blessures par bris de vitre, choc par projection au sol ou chute, lésions aux tympans, aux poumons, brûlure…), elles produisent des dégâts de nature mécanique ou thermique sur les structures, dont la gravité varie selon la nature et la quantité du combustible mis en oeuvre. Les dégâts sont d’autant plus étendus que la masse de combustible est importante.

Par ailleurs, une explosion survenant dans une installation industrielle peut produire des dégâts économiques si importants (perte d’exploitation, réparation, reconstruction…) qu’elle peut mettre en péril la survie de l’installation ou même l’activité pratiquée sur le site industriel.

Les entreprises ont-elles bien conscience du risque ?

J. C. Tout le monde sait que le gaz explose et connaît l’explosion d’AZF. Mais le retour d’expérience des explosions accidentelles montre que beaucoup auraient pu être évitées. On note à la fois de bonnes connaissances du risque d’explosion pour les produits combustibles classiques (gaz naturel, propane, butane…) mais aussi de vraies lacunes concernant certains autres produits (poussière de bois, farine, autres pulvérulents de l’industrie agroalimentaire ou pharmaceutique). Pratiquement toutes les industries sont concernées, dès lors que des produits combustibles y sont mis en œuvre.

Jacques Chaineaux - Expert Atex - Crédit DR

« L’erreur la plus courante consiste à négliger de faire une analyse exhaustive des risques d’explosion, qui est destinée à identifier les circonstances dans lesquelles une Atex pourrait se former, puis à définir des moyens de prévention et de protection appropriés. »

Jacques Chaineaux, ingénieur chimiste et expert Atex.

Quelles sont les erreurs les plus courantes que commettent les entreprises ?

J. C. L’erreur la plus courante consiste à négliger l‘analyse exhaustive des risques d’explosion, qui est destinée à identifier les circonstances dans lesquelles une Atex pourrait se former, puis à définir des moyens de prévention et de protection appropriés. Or, elles sont nombreuses dans les installations dès lors que des produits combustibles y sont mis en œuvre. Il peut s’agir d’une fuite de gaz inflammable par suite d’une mauvaise étanchéité d’une installation contenant ce gaz sous pression, du risque d’épandage accidentel d’un liquide inflammable sous la forme d’une flaque, de l’aspiration d’un pulvérulent isolant qui génère de l’électricité statique…

De plus, la réglementation impose de classer en zones les emplacements où des Atex peuvent se former, afin de n’y installer que des matériels protégés contre les explosions. Mais l’exploitant procède généralement à un classement simpliste sans le faire précéder d’une analyse des risques sérieuse.

Par ailleurs, la méconnaissance du risque d’explosion fait que beaucoup d’explosions ont une cause humaine. Dans plusieurs cas que j’ai eu à expertiser, l’opérateur a engagé une action qui ne tenait pas compte de ce risque. Par exemple, pour les travaux en zone Atex, un opérateur ne doit pas négliger le signal d’alarme fourni par son explosimètre portatif et j’ai vu des opérateurs négliger ce signal ou même éteindre l’appareil qui les gênait.

Quelles sont les bonnes pratiques à mettre en place ?

J. C. En premier lieu, il faut faire une analyse des risques complète pour envisager les différentes situations où une Atex pourrait se former, y compris lors de pannes ou d’opérations de maintenance au cours desquelles les conditions diffèrent de celles de l’exploitation.

Il faut ensuite mettre en face les moyens de prévention et de protection adéquats. Cela passe notamment par la sensibilisation et la formation du personnel à l’appréciation des risques d’explosion, par la mise en œuvre de moyens de prévention des explosions, tels que l’utilisation d’appareils électriques protégés contre les explosions (matériel antidéflagrant, limitation des températures de surface des appareils, usage d’explosimètres), ainsi que des moyens de protection (évents d’explosion pour limiter la surpression, extincteurs déclenchés pour étouffer une explosion naissante, port de chaussures à semelles antistatiques et plus généralement d’EPI adaptés…).

« Il faut identifier toutes les situations où une Atex peut se former en milieu confiné, même si cette formation paraît improbable. »

Certains cas vous ont-ils particulièrement marqué lors de votre carrière ?

J. C. Une explosion survenue dans le ciel d’une cuve de pâte à papier, alors qu’un opérateur était en train de tronçonner une canalisation en acier, à environ 1m en amont de son point de raccordement au toit de la cuve. La surpression a déchiré le toit, entraînant la chute mortelle de l’opérateur. Lors de l’expertise, il a été mis en évidence un dégagement d’hydrogène, probablement dû à une fermentation bactériologique de la pâte, en quantité suffisante pour qu’une Atex se forme rapidement dans le ciel de la cuve et s’y maintienne. L’Atex a diffusé à l’intérieur de la canalisation en cours de tronçonnage et a été enflammée par une étincelle de friction produite lors de cette opération.

L’une des leçons à tirer est qu’il faut identifier toutes les situations où une Atex peut se former en milieu confiné, même si cette formation paraît improbable. Dans ce cas, l’explosion aurait pu être évitée si le dégagement d’hydrogène avait été mis en évidence et si un débit continu d’air avait été introduit dans la cuve, pour diluer l’hydrogène.

Un autre cas marquant est une explosion qui a tué deux personnes dans une installation d’extraction d’huile contenue dans des déchets agricoles, au moyen d’un solvant inflammable. Pour remédier à une panne, l’exploitant a défini une procédure d’intervention inhabituelle, sans faire une analyse des risques sérieuse, de sorte que ni la présence certaine d’une Atex dans l’extracteur, ni le risque élevé d’inflammation de cette Atex par une étincelle de décharge électrostatique n’ont été identifiés. De plus, au cours de l’intervention, les opérateurs ont négligé de tenir compte des signaux d’alarme fournis par leurs explosimètres portatifs.

Pourquoi avoir décidé d’écrire un livre sur le sujet ?

J. C. L’expérience montre qu’il existe une multitude de situations où une atmosphère explosive peut se former et exploser, notamment en milieu industriel où tous les types d’industrie sont concernés.

Lorsqu’une explosion survient, il faut déterminer le système explosif qui s’est formé et la quantité de système explosif mise en jeu, puis comprendre comment il est apparu et comment l’explosion a été amorcée. Cette démarche est indispensable, car il faut en tenir compte pour éviter que de nouvelles explosions se produisent. Il faut donc établir le mécanisme de l’explosion, en partant à la fois de ses circonstances et de l’intensité des effets qu’elle a produits. Il faut faire ce que j’appelle « l’expertise de l’explosion ». C’est ce que j’ai voulu expliquer.

Le livre est destiné aux acteurs de la prévention des risques professionnels, à savoir les ingénieurs de prévention, les bureaux d’analyse de risques, les responsables de la sécurité des procédés, les exploitants d’installations classées, les CHSCT… mais aussi aux experts judiciaires et d’assurance ainsi qu’aux formateurs.

Explosions Accidentelles-Jacques Chaineaux-CNPP Editions

Les explosions accidentelles – 27 cas pour comprendre les mécanismes d’une explosion – Jacques Chaineaux – CNPP Éditions – Décembre 2019.


Article extrait du n° 560 de Face au Risque : « Atex : éviter l’explosion » (mars 2020).

Gaëlle Carcaly – Journaliste

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